Presque 50 ans après le cultissime Magicien d’Oz, Disney a tenté de lui offrir une suite à la hauteur, accouchant d’un film fascinant aux coulisses infernales : Return to Oz.
Il n’a peut-être pas la même résonance culturelle en France, mais outre-Atlantique, Le Magicien d’Oz a acquis un statut de monument. Le film réalisé par Victor Fleming et sorti en 1939 a conquis des générations entières, devenant un classique intemporel notamment grâce à sa diffusion répétée à la télévision. Le long-métrage a été maintes fois pastiché, parodié, ou référencé, est constitue une pierre angulaire de la pop culture américaine.
Pour autant, peu de nouvelles adaptations de l’univers des romans de L. Frank Baum ont vu le jour au cinéma depuis. On pourra citer la dernière en date, Le Monde Fantastique d’Oz, un prequel réalisé par Sam Raimi, ou encore le fameux The Wiz de 1978 avec Michael Jackson. Mais il existe bien une vraie suite, oubliée et presque enterrée par Disney, considérée par certains comme l’adaptation la plus fidèle des romans de Baum : l’étrange Return to Oz, sorti en 1985 après une production rocambolesque.

Le monument d’Oz
Disney et Oz, c’est une histoire longue et contrariée, depuis que le studio a perdu les droits d’adaptation du premier roman face à MGM (qui a produit le film de 1939). On peut d’ailleurs retracer l’offensive de MGM au succès éclatant de… Blanche-Neige et les Sept Nains, premier grand classique de Disney. Le Magicien d’Oz est la première adaptation du roman de Baum réussie, mais si la critique est conquise, le film est un échec sur le plan financier.
Avec un univers aussi ambitieux, l’entreprise est de toute évidence risquée, mais Walt Disney ne lâche pas l’idée d’un jour le porter à l’écran sous sa bannière. En 1954, le studio achète les droits d’adaptation des 13 suites au roman de 1900. Un projet est rapidement monté, du nom de Rainbow Road to Oz, mais il est vite rattrapé par son ambition démesurée. Le film est prévu pour la télévision, puis le cinéma, avant d’être annulé à la fin de l’année 1957.

En bref, Oz n’est pas le succès tranquille que Disney pensait s’offrir. Plusieurs décennies après l’achat des droits, le grand film du studio n’a toujours pas vu le jour. Au tournant des années 80, la firme se cherche un nouveau souffle, notamment après l’échec de sa réponse à Star Wars, Le Trou Noir. En pleine restructuration, Disney offre l’opportunité à plusieurs jeunes talents de proposer un projet.
Parmi eux, un certain Walter Murch, monteur de légende d’Hollywood tout juste auréolé d’un Oscar du meilleur mixage de son pour Apocalypse Now. Il ne s’est jamais essayé à la réalisation, mais a une idée qui intrigue le studio : offrir une suite au Magicien d’Oz. Un plan qui ravit Disney, alors que son option sur les droits d’adaptation expire sous peu. Il n’en faut pas beaucoup plus pour convaincre tout ce petit monde de se lancer. Return to Oz (ou Oz, un Monde Extraordinaire en VF) est né. Du moins sur le papier.

Murch jouit d’une liberté totale et d’un budget de 20 millions de dollars (imposant pour l’époque, à titre de comparaison, L’Empire Contre-Attaque a coûté environ 18 millions de dollars, sans prendre en compte l’inflation).
C’est donc presque un film de circonstance pour Disney, désireux d’enfin réaliser le rêve de son fondateur en adaptant Oz au cinéma. Un défi immense, ultra ambitieux… et très risqué sur le papier, alors que le long-métrage original possède une cote de popularité encore au plus haut. Et la suite de l’histoire va malheureusement le confirmer.

Un Monde fantastique… et chaotique
Comment faire une suite au Magicien d’Oz ? C’est là le principal défi de Murch évidemment, qui souhaite se démarquer du film de 1939. Le projet n’est pas conçu comme une continuation de celui-ci, mais plutôt une adaptation plus fidèle des romans de Baum. Murch utilise comme base de travail les deuxième et troisième livres de la série, Le Merveilleux pays d’Oz et Osma, Princesse d’Oz, comme il le détaille dans une interview réalisée en 2000 pour Film Freak Central.
L’objectif est donc d’en faire un projet plus terre-à-terre et moins coloré. L’aspect musical est abandonné. Murch entend également tourner une majorité de scènes dans des décors en extérieur, et utiliser les nouvelles techniques d’effets spéciaux en vogue. Plus le temps passe, plus son film devient ambitieux. Alors que des scènes doivent être tournées en Algérie et en Italie, le tournage se cantonne finalement presque uniquement en studio au Royaume-Uni.

Le budget explose à près de 28 millions de dollars (soit environ 81 millions en prenant compte de l’inflation). L’équipe se retrouve également confrontée aux lois britanniques sur le travail des enfants, alors que la jeune actrice Fairuza Balk occupe presque tous les plans du film, ce qui rend le tournage plus long que prévu. En retard et trop coûteux, Return to Oz est jugé comme une catastrophe en puissance par Disney. Le visionnage des premières images conforte le studio. Après 5 semaines de tournage, Walter Murch est viré et le film est en passe d’être annulé.
Ce serait oublier les amis du réalisateur, qui a fait ses gammes en montant au service des plus grands. Rapidement, plusieurs cinéastes, dont Steven Spielberg et Francis Ford Coppola, interviennent auprès de Disney pour permettre le retour de Murch. Son grand ami George Lucas (avec qui il a travaillé sur THX 1138) rentre même de son voyage au Japon pour personnellement sauver le film. Il s’engage même à prendre en main la production en cas de nouveau problème, ce qui aurait eu le don de rassurer les exécutifs selon Murch. Quelques jours plus tard, il est de retour à sa chaise de réalisateur.

Et si le film doit se délester de beaucoup de ses idées, il reste, au moins sur le plan technique, une petite prouesse : animatroniques, animation géniale et idées de réalisation… Return to Oz est visuellement impressionnant, malgré cette production infernale. Et, pour le meilleur et pour le pire, selon les sensibilités, accomplit son objectif : il n’a rien à voir avec Le Magicien d’Oz.

Magicien d’Oz ou du pauvre ?
L’une des principales idées de Walter Murch avec son film était de s’affranchir de la palette colorée et candide du film de 1939. Return to Oz prend un chemin bien différent, reprenant plutôt l’iconographie dérangeante des romans qu’il adapte. Non seulement le film est sombre, mais il est également thématiquement bien plus nihiliste, et offre plusieurs grilles de lecture assez fascinantes.
On pourrait y voir une réflexion sur les rêves et l’imagination, sur la volonté de ne jamais grandir quand on est enfant, voire même sur le post-colonialisme et les effets de l’impérialisme (oui oui). En bref, un étonnant et déroutant capharnaüm d’idées… absolument pas adapté pour le jeune public visé. Ou, du moins, selon les standards érigés par Disney.

Il n’y a qu’à voir les 20 premières minutes du long-métrage pour constater que Murch n’a aucunement envie de faire une simple suite au Magicien d’Oz. Dorothy, désireuse de retourner au pays d’Oz, est envoyée dans un hôpital psychiatrique par sa tante, à son insu. Des couloirs inquiétants et une tentative de lobotomisation plus tard, elle retrouve un Oz dévasté et ses amis devenus des statues de pierre. Une sacrée profession de foi, qui dit tout de l’échec du long-métrage, mais aussi de sa formidable ambition.
Son bestiaire est d’une richesse folle, entre les étranges “Wheelers”, les femmes sans tête, les bestioles qui accompagnent Dorothy (dont l’adorable Jack Potiron) et bien sûr les gnomes, principaux méchants du film. Le tout sublimé par des effets spéciaux à la pointe, qui donnent du corps aux décors parfois effrayants de l’entreprise (mention spéciale accordée à la scène de transformation du Roi des Gnomes, bluffante visuellement).

Malheureusement, et sans grande surprise, la critique est loin d’être conquise. Avec seulement 11 millions de dollars récoltés aux États-Unis, c’est un échec cuisant. Jugé trop sombre et difficile à vendre, le film est délaissé par Disney (qui a encore changé d’état-major). Seule bonne nouvelle, cela permet à Murch, que le tournage a laissé épuisé, d’obtenir un final cut officieux. Plusieurs années plus tard, le long-métrage trouvera son public à sa sortie en vidéo, un peu à la manière de son illustre prédécesseur, devenu monument grâce à la télévision.
Walter Murch ne s’essaiera plus jamais à la réalisation, et Disney attendra 2013 pour adapter de nouveau l’univers au cinéma, avec Le Monde Fantastique d’Oz. Là encore, un semi-échec critique (mais bien plus lucratif). Ce qui nous ferait presque questionner la portée mythique du Magicien d’Oz, tellement ancré dans les mémoires que s’y attaquer relèverait de l’impossible. Ça tombe bien, Wicked sort en cette fin d’année 2024, avec peut-être un nouvel élément de réponse.
Vu et revu à l’époque VHS/vidéo club. Sorti en DVD il y a quelques années.
J’ai eu la chance de le voir au cinéma étant petit.
Je me souviens de plusieurs scènes marquantes, notamment celle du couloir.
Un moment d’angoisse digne d’un film d’horreur.
JE me souviens avoir vu ce film assez jeune, en l’ayant loué en VHS, et il m’avait fait une forte impression. Moi qui adorais l’ambiance légère et lumineuse du Magicien d’OZ, j’ai été un peu cueilli à froid par ce retour dans un pays dévasté et en ruines, mais franchement avec le recul, je me souviens de plusieurs scènes marquantes et de personnages assez hauts en couleur. Pour moi, ce n’est donc pas une suite honteuse mais plutôt un bel ajout à l’univers de Frank Baum au cinéma.