De Suspiria à Drive, de Valérian à Atomic Blonde : le phénomène de l'esthétique néon

La Rédaction | 20 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 20 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La sortie du très bourrin et très fluo Atomic Blond nous fournit une occasion idéale pour ressortir notre dossier sur une esthétique néon très en vogue. Du giallo au polar, du thriller au film fantastique, de l'underground au mainstream : retour sur la mode des néons au cinéma et à la télévision.

 

Photo Charlize Theron, Sofia Boutella

Photo Charlize Theron

 

L'ESTHÉTIQUE-NÉON, C'EST QUOI ?

S'il y a bien une tendance très populaire au cinéma en ce moment, et surtout chez les jeunes spectateurs, c'est celle du néon. Vous devez tous voir ce dont il s'agit, mais pour les plus distraits d'entre vous : c'est cette tendance à déployer à l'image des couleurs primaires et ultra-saturées pour créer une esthétique agressive et dans-ta-face, rappelant des espaces comme Tokyo ou Las Vegas, remplis de lumières artificielles et colorées.

En somme : cette esthétique se créé sur une volonté de retranscrire à l'image l'atmosphère et la dimension visuelle de la métropole contemporaine, agressive, bariolée, un peu vulgaire mais également très séduisante. Ce genre de film travaille la dimension hypnotisante de ce type d'esthétique (d'où sa popularité évidente, au-delà des genres), tout en la plaçant dans un cadre un peu mortifère et malsain.

  

Photo Ryan Gosling

bande-annonce Cannes

Photo Eva MendesOnly God Forgives (2013), The Neon Demon (2016) et Lost River (2015)

 

Le réalisateur qui a remis cette approche sous le feu des projecteurs et séduit le public comporain est sans aucun doute Nicolas Winding Refn avec son Drive (2011). Une tendance qu'il poussera encore plus loin avec Only God Forgives (2013) et le bien-nommé The Neon Demon, sorti l'année dernière.

Son acteur fétiche, Ryan Gosling, marchera sur les mêmes plates-bandes pour son premier film en tant que réalisateur, Lost River (2015). Mais il ne pas oublier le Français Gaspar Noé qui a travaillé cette esthétique-néon avant Refn avec Irréversible (2002) et surtout Enter the Void (2009). Ryan Gosling lui a d'ailleurs piqué son directeur photo, Benoît Debie, pour Lost River. Pas très inspiré Gosling, vous dites ? 

 

Photo Paz de la HuertaEt avant tout ça : Irréversible (2002) et Enter The Void (2009) 

 

Benoît Debie est aussi le directeur photo d'un autre film très représentatif du mouvement : Spring Breakers (2013) d'Harmony Korine. Vous suivez toujours ? Ok très bien, parce qu'on peut aussi citer d'autres exemples, et notamment du côté de films plus mainstream qui ont assimilé ce style, conscients de son pouvoir de séduction.

Citons donc Tron : L'héritage (2011) de Joseph Kosinski, Skyfall (2012) de Sam Mendes, Nerve (2016) de Henry Joost et Ariel Shulman, et John Wick 2 de Chad Stahelski, sorti cette année. Dans les années 2010, l'action se décline ainsi en bleu. 

 

Photo

Photo Daniel Craig

Photo Dave Franco

trailerTron : Legacy (2011), Skyfall (2012), Nerve (2016) et John Wick 2 (2017)

 

EIGHTIES IS THE NEW BLACK

Mais au-delà de l'esthétique-néon, il y a plus généralement une large tendance à se référer à l'iconographie et le style des années 80. Du cinéma grand public au film d'auteur, du drame au film d'horreur, c'est une véritable mode, mise en valeur dans la promotion (notamment les affiches, quitte à ne pas réellement refléter l'oeuvre elle-même) et le grand retour des sonorités musicales eighties (synthétiseurs et compagnie). Ça attire, ça fait vendre, c'est dans l'air du temps.

 

Montage dossier néons

Petit panel du retour des années 80 et de l'esthétique néon au cinéma 

 

Mais alors, pourquoi cette décennie ? Parce que si Gaspard Noé est le premier à avoir exploré l'esthétique-néon de façon quasi-fétichiste, et si Nicolas Winding-Refn est celui qui a propulsé le style dans la culture contemporaine, cette esthétique prend en fait véritablement racine dans les années 80.

On la retrouve dans quatre grands piliers stylistiques du cinéma des années 80 :

- le giallo italien en fin de course : Suspiria en 1977 ou Inferno en 1980, réalisés par Dario Argento.

- le néo-noir américain : Le Solitaire de Michael Mann en 1981, Police fédérale, Los Angeles  de William Friedkin en 1985.

- les films et séries d'animation japonais : Cobra de Osamu Dezaki en 1982, Akira de Katsuhiro Ôtomo en 1988.

- le cinéma du look français : Diva de Jean-Jacques Beinex en 1981, ou Subway de Luc Besson en 1985.

Quatre grands pôles distincts, mais qui se rejoignent sur certains points.

 

Photo

Photo

Photo

Photo

Inferno (1980), Police fédérale, Los Angeles (1985), Diva (1981) et Akira (1988)

 

GIALLO, MON AMOUR

Le giallo italien est un croisement stylisé entre le film d'horreur et le thriller, qui s'étend du début des années 60 à celui des années 80. Dans ses dernières années et sous l'impulsion du réalisateur Dario Argento, le genre est entré dans une période d'expérimentation esthétique à base de couleurs primaires et excessives.

Dans une approche maniériste, fétichiste, baroque et au final très italienne de l'image cinématographique, Argento cherchait à créer des plans dotés d'un pur impact visuel au-delà de servir l'histoire. Le giallo constituait donc un croisement parfait entre cinéma de genre et tendance esthétisante, chose très courante aujourd'hui.

 

Photo

PhotoSuspiria (1977) et Inferno (1980)

 

NOIR DÉSIR

Mais ce n'était pas le seul. Bien avant le giallo existait le film noir, qui illustrait des récits policiers à travers une esthétique expressionniste, faite de perspectives angoissantes et d'espaces en noir et blanc contrastés. Tout cela pour exprimer visuellement une certaine vision de l'existence urbaine contemporaine, solitaire et désespérée.

Le film noir fut réinventé de diverses façons après son âge d'or (devenant alors le néo-noir), et notamment dans les années 80 où le noir et blanc est remplacé à l'opposé par les couleurs vives et artificielles des grandes villes contemporaines : tout semble faux et mortifère, et la corruption morale passe par la séduction vulgaire des mégalopoles américaines, remplies d'images publicitaires et de néons blafards.

 

Photo

Photo William PetersenLe Solitaire (1981) et Police fédérale, Los Angeles 1985)

 

FRENCH LOOK

L'esthétique publicitaire, le fétichisme des produits de consommation et des œuvres culturelles, ce sont tant de choses également au coeur du cinéma dit « du look », qui a régné en France pendant les années 80.

Ce cinéma post-moderne (comprenez très référentiel et auto-réflexif) utilisait aussi, à l'image du giallo, une approche ultra-esthétisante du cinéma. Tout cela pour exprimer un monde pris dans les images (celles des pubs, du cinéma, de la pop-culture en général) et qui est encore à l'époque un concept nouveau. Luc Besson, Leos Carax et Jean-Jacques Beinex en sont les fiers représentants.

 

Photo

SubwayDiva (1981), Subway (1985),

 

NÉO(N)-TOKYO

Cette vision des villes qui se sont remplies de néons publicitaires, de nouvelles technologies et d'espaces bariolés, les japonais ne pouvaient que l'adopter puisque leur capitale, Tokyo, était et est encore la reine dans le genre. Leur cinéma d'animation utilisait alors souvent la science-fiction comme un moyen d'élaborer sur ses espaces réels, en imaginant dans le futur de nouvelles villes et de nouvelles technologies plus radicales, plus bariolées, plus excessives. Et surtout s’immisçant de manière beaucoup plus directe dans nos vies. Tout ce cinéma d'animation exubérant déferla sur le monde durant les années 80.

  

Photo

PhotoCobra (1982) et Akira (1988)

  

SCIENCE-NÉON

Dans une moindre mesure, on pourrait ajouter à ces quatre grandes sources d'influences certains films de science-fiction américains des années 80, comme Terminator (1984) de James Cameron ou Robocop (1987) de Paul Verhoeven. Un peu à la croisée du néo-noir et de la science-fiction japonaise, ce genre de film explore des espaces urbains malsains dans lesquels se déploie de nouvelles technologies. Technologies qui menacent directement la race humaine, ou lui font se poser des questions sur son identité. L'utilisation d'une luminosité artificielle prend donc une certaine place dans leur esthétique. 

 

Photo

PhotoTerminator (1984) et Robocop (1987)

 

Mais bien sûr, dans la science fiction des années 80, c'est surtout Blade Runner (1982) qui est la source d'inspiration principale, puisque le film de Ridley Scott se trouve au confluent de toutes les notions et styles que nous avons cités.

L'oeuvre culte emprunte la voie de l'esthétique baroque et colorée pour développer son récit, au même titre que le giallo ; revisite aussi le film noir en l'abordant sous l'angle de la ville moderne, excessive et même futuriste, où se mélange les objets culturels et les publicités déployées de façon ostentatoire comme dans le cinéma du look ; et emprunte aussi à la culture japonaise, ultra-présente dans le film. Blade Runner, c'est donc un peu la Bible de l'esthétique-néon.

 

PhotoBlade Runner (1982)

 

VOTEZ NÉON

En bref, voilà les origines de l'esthétique-néon qu'on s'arrache aujourd'hui. Une mode qui va d'ailleurs bien au delà du cinéma, puisqu'on la retrouve partout : elle est devenue un vrai argument de vente dans les jeux vidéo (Hotline Miami en 2012 et sa suite en 2015), les séries (Moonbeam City en 2015, l'épisode San Junipero de la saison 3 de Black Mirror sorti l'année dernière, ou encore Stranger Things), dans des courts-métrages diffusés sur internet (Kung Fury en 2015, bien évidemment), et de manière plus générale dans toute la pop-culture internet et le fan-art.

Ce type d'esthétique a pu être rejeté dans les milieux « sérieux », qui l'associaient à du bêtement vulgaire, du tape-à-l’œil, et une manière d'envisager le cinéma comme une extension de la publicité. Mais les temps ont changé : certaines oeuvres ont été réhabilitées, certains cinéastes érigés au rang d'artistes majeurs, et le succès critique de films profondément inscrits dans cette esthétique a prouvé ces dernières années que le néon a été adopté. Il est devenu un repère pour certains, un objet d'étude pour d'autres. Et rien de plus normal : ces couleurs rétro, agressives, nostalgiques, tour à tour envoûtantes et vulgaires, ce sont celles de notre époque, plus que jamais.

 

Dossier de Clément Lepape.

 

Dossier néons

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
eqcq
22/03/2022 à 05:24

Rorov94 : c'est dommage de tout voir au simple prisme de la technique

corleone
21/08/2017 à 17:56

Cobra, Akira oui mais aussi Nicky Larson.

Lafamily
21/08/2017 à 09:52

Parler du néon au cinéma sans faire référence à Wong Kar Way qui l'utilisait presque dans tous ses films, bien avant toutes les références que vous citez...montre votre pauvre culture...
C'est Christopher Doyle (Le Chef Op) et Wong Kar Way qui ont participé à lancer cette mode du Néon qui a inspiré beaucoup de réalisateurs dans le monde !

Mickael
20/08/2017 à 20:47

Suspiria & Inferno ne sont pas des Gialli !!!

Totempkof
23/04/2017 à 10:52

"Remettre les choses en perspective", ce serait plutôt voir que l'esthétique néon, a donné du bon et du pas bon. Selon les cinéastes, les films, les ambitions. Ce n'est ni "bien" ni "pas bien" par essence, pas plus que n'importe quelle autre esthétique. Après, c'est de l'ordre du pur subjectif (sur l'esthétique elle-même, ou sur le rejet de cette tendance revenue sur le devant de la scène que plein de gens aiment, et que donc plein de gens vont détester)

Grift
23/04/2017 à 10:25

Merci Rorov94 pour nous remettre les choses en perspective : L'esthétique néon c'est dégueulasse. L'article a failli nous avoir.

Quel talent d'ailleurs des réalisateurs pour avoir tout de même réussi a faire des chef d'oeuvre comme tu dis maigres cet esthétique ignoble. A croire qu'ils n'avaient aucun gout, contrairement à toi, mais que par magie ils ont réussi à pondre quand même un super film.

Vinnie
23/04/2017 à 09:27

Cette fois j'en doute plus, vous etees le meilleur site ciné français, et cela de très loin ! Vos dossiers sont de plud en plus impeccables de passion…

Rorov94
22/04/2017 à 19:30

Cette critique ne s'applique pas à ROBOCOP,TERMINATOR,BLADE RUNNER
Cela va de soi.

Rorov94
22/04/2017 à 19:26

Enfin un bon sujet la rédac'....il était temps!
Non,non et non;
L'esthétique néon c'est dégueulasse et ça a plombé un tas de chefs d'oeuvres des 80'
(Voir liste ci-dessus)sauf akira qui relève de l'animation donc calibré picturallement pour des couleurs et luminosité saturées.
Sinon,ça servait surtout à cacher la misère esthétique des plans extérieurs.
Et c'était aussi le reflet d'une époque,les néons pullulaient partout dans l'urbanisme.
La règle mathématique était simple:
1 rubik cubs vendu=2 néons posés.
Vous ne verrez aucun chef op'digne de ce non aimer l'esthétique 80'.

stivostine
22/04/2017 à 17:44

pareil que les autres, excellent !!

Plus