Don't Breathe : pourquoi le Home Invasion revient en force

Sophie Sthul | 5 octobre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Sophie Sthul | 5 octobre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Don’t Breathe est dans les salles. Cet excellent film d’horreur signé Fede Alvarez confronte trois cambrioleurs en herbe à une cible à priori facile : un vétéran aveugle en possession d’une grosse somme d’argent liquide. Mais leur proie va se révéler plus coriace que prévu et enferme le trio dans son domicile, avant de les traquer impitoyablement.

En résulte un home invasion movie inversé (dont vous trouverez la critique ICI), aussi cruel que retors. Soit l'occasion idéale pour revenir sur un sous-genre parmi les plus ludiques et angoissants du Septième Art, tout en essayant de comprendre pourquoi il est aujourd’hui sur le devant de la scène horrifique.

 

Photo

 

Un peu d’histoire

S’il fallait situer l’acte de naissance du Home Invasion, il faudrait probablement remonter jusqu’à L’Etrange Rêve (Blind Alley), réalisé par Charles Vidor en 1939. Un psychiatre y est retenu chez lui en otage par un cambrioleur, qu’il commence à analyser à la volée. Mais c’est bien plus tard que le genre prendra véritablement forme.

Les trois œuvres qui permettent peut-être le mieux d’en appréhender les possibilités et les thèmes sont Les Chiens de Paille de Peckinpah, La Dernière Maison sur la gauche de Wes Craven et plus tardivement le diptyque Funny Games d’Haneke. Quatre longs-métrages qui définissent le terrain de jeu du genre, et expliquent pourquoi il séduit toujours plus.

 

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Petite mise

Il en faut peu pour être malheureux. Une maison, quelques comédiens seulement, et une menace qui n’a pas besoin d’être intrinsèquement spectaculaire pour impressionner la rétine. Jason Blum ne s’y est pas trompé, usant et abusant de ce gimmick, pour atteindre une rentabilité qui a forgé la réputation de sa firme Blumhouse.

Ainsi, ses Paranormal Activity, qui peuvent justement être compris comme des Home Invasion avec spectres en option, ont battu le record de rentabilité de Blair Witch dès le premier chapitre, tandis que la franchise American Nightmare, derrière ses apparats de SF cheap, a débuté comme un pur Home Invasion, histoire justement de dissimuler un budget trop faible pour illustrer vraiment le concept apocalyptique du film.

Un modèle économique attrayant, dont témoignent les trillions de Direct to Video qui débarquent chaque année en reprenant ces codes.

 

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Théorie des genres

En plus de demander une mise de départ potentiellement très faible, le Home Invasion est un dispositif qui autorise à hybrider les genres. Qu’il se teinte de farce sociale dans Le Sous-sol de la peur, qu’il digère les règles du Torture Porn avec The Collector ou qu’il joue la carte du « simple » thriller à la Panic Room, le genre peut se tordre dans tous les sens.

Don’t Breathe en témoigne parfaitement, puisqu’il appartient au genre, tout en en tordant radicalement le point de départ, faisant de la menace initiale une proie, et de l’antagoniste traditionnel le véritable héros du film.

 

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Géographie de la menace

S’il fallait retenir une idée inhérente à tous les Home Invasion, c’est celle d’un extérieur hostile, menaçant, et toujours conquérant. Car il ne suffit pas de se retrancher derrière les barrières de son domicile, du monde connu et familier, pour se couper du danger. Celui-ci vise toujours à infiltrer, pervertir et finalement dévorer l’espace initialement désigné comme sûr.

Dans un monde occidental dont le repli sur lui-même s’accélère, ces problématiques font logiquement écho aux inquiétudes du public. Des corps sociaux minés par la crainte de l’autre, la xénophobie, la peur de l’attentat et autant de menaces souvent abstraites ou anonymisées, le Home Invasion fait figure de parfaite incarnation des peurs.

 

The Strangers (2007)

 

Frisson qui peut revêtir les oripeaux de la peur du même, l'angoisse d'une duplication par un élément extérieur armé d'intentions néfastes. C'est le cas de In Their Skin, où d'inquiétants voisins tentent de prendre la place des protagonistes. La terreur naît aussi d'une menace totalement extérieure, dont la dénomination se suffit à elle-même. Ainsi, dans The Strangers, nous savons dès le titre que l'ennemi est défini par sa non-appartenance à un corps commun. L'enfer, c'est les autres. Et surtout les autres étrangers.

 

Peur 2.0

Au cœur du Home Invasion, on trouve également l’idée que la frontière entre vie privée et vie public s’efface, l’une prenant le pas sur l’autre dans le but de la détruire. Bien souvent, avec la menace physique, ce sont les secrets enfouis et les mensonges inavouables qui refont surface. Un paradigme dont témoigne très bien You’re Next, une attaque à domicile autant qu’une chronique familiale morbide.

 

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Autre angoisse contemporaine : celle du spectateur, que la situation transforme instantanément en voyeur. A ce titre, le passionnant Unfriended fait figure de cas d’école. Il s’agit en quelque sorte d’un Home Invasion dans le Home Invasion, ou comment le terrain de chasse d’une entité malfaisante mais intime consiste avant tout en un écran d’ordinateur, fenêtre indispensable pour passer dans notre monde.

Et le spectateur de regarder, mi-amusé mi-terrifié, une poignée d’adolescents pris à leur propre piège par moniteurs interposés. Le genre questionne ainsi toujours son public sur le désir qui l’anime. Qu’il s’agisse de ce qui se cache derrière la façade des voisins ou des soubresauts de violence qui vont s’abattre sur eux, le Home Invasion adresse ce qui nous pousse à regarder et donc symboliquement, à envahir à notre tour un espace, le violer. Une problématique disséquée jusqu’à l’écoeurement par Michael Haneke dans Funny Games.

 

trailer

 

Economie de moyens, richesse thématique et connexion profonde avec les peurs du monde occidental, le Home Invasion, peut-être plus encore que l’horreur proto-catho reine du box-office, se fait le symptôme d’un cinéma de genre qui a profondément muté après le 11 septembre 2001.

Tout savoir sur Don't Breathe - La Maison des ténèbres

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