Knock Knock : qui est Eli Roth, le saigneur d'Hollywood ?

Simon Riaux | 23 septembre 2015
Simon Riaux | 23 septembre 2015

Le grand public n’a plus entendu parler d’Eli Roth (ou presque) depuis Hostel II et son réjouissant jeu de massacre. Pourtant le réalisateur découvert avec Cabin Fever est loin d’avoir chômé ces dernières années. A tel point que son nouveau film, Knock Knock est peut-être le manifeste d’une maturité nouvelle chez l’auteur.

 

Un genre de sale gosse

Dès Cabin Fever, Roth va se faire méchamment remarquer, pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’il vendra le film et sa personne sur une citation laudatrice de David Lynch, manifestement exagérée, qui excitera autant qu’elle agacera.

Déjà on sent la rouerie et le talent pour la tchatche d’un metteur en scène parfaitement conscient des outils de communication à sa disposition. Une maîtrise de ce que l’on n’appelle pas encore le buzz qui le rapproche déjà de Tarantino, ou d’un certain Rodriguez.

Mais déjà Roth fait montre d’une surprenante capacité à marier humour, agressivité et amour pour le genre. Cabin Fever enchaîne les références et les citations, Evil Dead étant probablement la plus évidente, tandis que ses personnages se désagrègent, sous les assauts de rednecks tout droit sortis de Delivrance. Quant à l'univers déployé, il est voisin de celui d'un Stephen King, certains remarqueront d'ailleurs que la tonalité de cette première incursion dans l'horreur rappelle fortement une de ses nouvelles, Le Radeau, dont il emprunte la gestion de la peur, et un traitement aussi inquiétant que ludique de la sexualité des personnages.

 

Oh my Gore

Le cinéma d’Eli Roth est aussi un digne héritier du divertissement frappadingue des eighties, du gore égrillard et décomplexé. Hostel enfonce le clou et déverse quelques kilos de tripailles à l’écran. Si le film est trop long à démarrer et ressemble par endroits à une version touristique d’American Pie, il n’épargne pas le spectateur dès que la violence surgit.

C’est la fête de la viande. Le réalisateur ne se calmera pas dans sa formidable séquelle, un Hostel II qui marie l’aridité du néo-réalisme et la folie du gore le plus échevelé. Le temps d’un arrachage de testicules particulièrement vicieux, on réalise soudain qu’en dépit de ses airs de petit malin et malgré tous ses défauts et clins d’œil qui peuvent agacer, Eli Roth est un des metteurs en scène les plus radicaux de sa génération.

Pour ne pas dire le plus enragé. En effet, malgré la vague du torture porn (dont il demeurera clairement le maître), les auteurs intéressés par l'essence du gore, à savoir un mélange de pure transgression, de grand guignol et d'art du grotesque, se font de plus en plus rare. Mais Eli porte haut le flambeau des intérieurs révulsés et des hectolitres d'hémoglobines. Pour un peu, on dirait que c'est l'espèce d'idéal qui transcende son cinéma, le momentum que cherchent à atteindre tous ses films.
On repense ainsi à l'inoubliable scène du "bain de sang" d'Hostel II, où l'artiste révèle à ceux qui ne l'auraient pas encore compris que sa cruauté, sa sauvagerie, ne sont finalement que le vernis derrière lequel se planque un plasticien et un cinéaste dont l'oeil fait régulièrement des merveilles. Une sorte d'anti-Robert Rodriguez, qui aurait la délicatesse de se faire passer pour un vilain dilettante, quand il est avant tout un cinéaste, maître de son médium.

 

Politique des entrailles

On aura tout entendu sur le cinéma de Roth. Qu’il était adolescent et stupide, qu’il dressait un portrait xénophobe de l’Europe de l’Est et de ses habitants, et déjà des pétitions apparaissent pour réclamer le boycott de Green Inferno, qui ne rendrait pas justice aux habitants d’Amazonie…

Voilà une interprétation inexacte de son œuvre, mais surtout une vision borgne du message véhiculé par son travail. Car les critiques, caricatures ou dénonciations que charrient ces récits ultra-violents sont toujours à double-tranchant.

Les gamins arrogants de Cabin Fever ne sont en rien supérieurs aux ploucs qui les prennent en chasse et n’ont pas besoin d’eux pour s’entretuer. Les Slovaques d’Hostel sont certes impitoyables, mais ne font que retourner contre eux le mépris, le libéralisme et le cynisme déployés par les touristes américains. Il va plus loin dans le deuxième épisode, en faisant de ses bouchers les protagonistes du film et littéralement, les miroirs déformants de ses malheureuses héroïnes.

Dans Green Inferno, les abominables anthropophages sont autant un délire cinéphile que des monstres engendrés par la bêtise crasse et colonialistes d’activistes 2.0 gangrénés par leur propre narcissisme. Les « barbares » répondent au « barbares ». Et les digèrent, dans tous les sens du terme.

 

Trop vieux pour ces conneries ?

Voilà qui nous amène à Knock Knock, où officie Keanu Reeves et qui débarque sur nos écrans le 23 septembre 2015. Si le mauvais esprit, l’humour juvénile et le ton politiquement incorrect du métrage s’inscrivent totalement dans l’œuvre d’Eli Roth, c’est néanmoins un film très différent de tout ce qui a précédé.

Il faut comprendre que depuis presque deux ans, son Green Inferno prend la poussière. Mal reçu, pas ou peu distribué, le film est précédé d'une mauvaise réputation, pire, on commence à le voir comme le vilain eptit canard d'une filmo pas si dense que ça. Situation injuste et difficilement compréhensible, d'autant plus que le projet est sur le papier le projet rêvé de Roth. Alliant dénonciation de l'opportunisme bon teint, critique acerbe, ultra-violence, humour potache et références à gogo, la chose devrait exciter les fans et attiser la curiosité des cinéphiles.

Mais non. Comme si ce pur délire Rothien ne pouvait plus prendre. Comme si Eli n'était plus tout à fait cet électron libre ravageur.

C’est que depuis plusieurs années, l’artiste est loin de s’être limité à la réalisation. Comédien pour Alexandre Aja et Tarantino, il est aussi un producteur prolifique. Son C.V. recèle ainsi une série pour Netflix (Hemlock Grove), de belles réussites comme Le Dernier Exorcisme, et une tripotée de productions « sympatoches » et bien bis sur les bords, comme Aftershock.

Bref, Eli Roth n’est plus du tout un outsider, ni même un sale gosse. S’il n’a rien perdu de son mordant, il est désormais un ponte de l’horreur, un maître comparable à ceux dont il s’inspirait voilà quinze ans.

Et du coup Knock Knock prend une toute autre saveur… On se demande ainsi s’il n’y a pas un peu d’Eli Roth dans le personnage de Keanu Reeves. Cet homme, rangé, mûr, qui jouit d’une belle réussite, mais ne peut totalement dissimuler son goût pour le risque fait bien sûr penser au metteur en scène, dont le statut a changé ces dernières années.

Ainsi ce n’est peut-être pas un hasard si le film est le premier à accueillir une star d’envergure internationale, ou à renoncer au goût immodéré de son auteur pour le gore. On se dit également que dans ce contexte, sa décisiond ‘enchaîner avec Meg, film au budget conséquent, produit par la Warner, fait sens.

Un peu comme si, avant d’assumer totalement son statut de réalisateur accompli, amené à gérer des projets plus imposants et ambitieux, Eli Roth nous offrait un dernier frisson à l’ancienne. Alors que rien n’indique qu’il pourra conserver son humour corrosif, salace voire scato, l’artiste nous adresse un clin d’œil avec Knock Knock, sorte de retour du refoulé mal élevé et plein de hargne. On aurait tort de lui fermer la porte au nez.

Tout savoir sur Knock Knock

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
DJ Fest
28/09/2015 à 13:47

Tu as une drôle de façon d'être Charly.

charly
26/09/2015 à 01:06

un film qui aurait du être interdit non par le sexe mais l'horreur qui peut le devenir avec ces scènes véhiculées sur de la jeunesse en perte de repères et aggravée parce film à vomir, abjecte, comme s'il n' avait pas assez de sensationnel au quotidien, les quelques rires en salle montre le déséquilibre intellectuel auquel on est arrivé. On ne tombera pas plus bas

DJ Fest
24/09/2015 à 15:06

Vu KNOCK KNOCK hier.

J'adore Roth (HOSTEL 2 en tête) et là j'ai juste trouvé le film moyen, sans être déplaisant. La première partie quand Keanu joue au kéké sur ses platines est très bien vue, mais ensuite les péripéties s'enchaînent sans grande imagination.

Par contre la conclusion est un petit coup de génie, je me marrais tout seul comme un bossu dans la salle.

Hâte de découvrir GREEN INFERNO maintenant.

Boddicker
23/09/2015 à 12:34

Hormis le sympathique Cabin fever et quelques (courts) bon moments dans le premier Hostel je trouve que c'est un cinéaste ultra surestimé qui n'a rien apporté au genre qu'une bâtardisation dégénérative de plus après le triste épisode Scream, en cédant à la facilité du nivellement par le bas.
Cheers.

sylvinception
23/09/2015 à 11:56

Le Malick du ciné qui tache.
Et là tout est dit.