Gérardmer 2014 : Jour 3

Simon Riaux | 2 février 2014
Simon Riaux | 2 février 2014

Rares sont les journées à s'ouvrir sur un entretien matinal avec l'écrivain Alain Damasio et à s'achever sur le débarquement au sein d'une salle obscure d'une tripotée d'individus interlopes déguisés en squales. Science-fiction hexagonale, frayeurs enfantines et nanar cosmique, voilà l'étonnant grand écart que nous a offert le 21ème Festival du film fantastique de Gérardmer au cours d'une journée rien moins qu'hallucinante.


Le Grand Hôtel s'éveille. Une poignée de festivaliers entame une pénible transhumance éthylique sous l'œil méfiant des rares civils à oser s'aventurer au-delà de leurs chambres. Les exhalaisons douceâtres de vodka-redbull presque dissipées, le lieu aspire à une brève renaissance. Maîtres d'hôtel, gardiens, portiers et serveurs semblent savourer l'apparente accalmie. Un enfant se risque à gazouiller innocemment, bave sur la moquette molletonnée qui accueillait quelques dizaines de minutes plus tôt la crème de la crème du journalisme hirsute. Soudain, un escogriffe à la démarche chaloupée et aux verres teintés fait irruption, c'est Benoît Delépine, producteur d'Ablation, qui sera présenté d'ici deux petites heures à la masse odorante des cinéphages impénitents. Une famille bat en retraite devant le trublion, attrape au passage son rejeton babillant. Le Grand hôtel n'aura pas retrouvé son ramage de vieille dame trop respectable plus d'une trentaine de minutes.

Et votre serviteur, lui, rit sous cape en engloutissant un demi-litre de café et trois guronzan. Il est temps de faire connaissance avec les derniers membres du jury. La réputation d'Alain Damasio n'est plus à faire, tant l'auteur de La Horde de Contrevent s'est imposé au fil des années comme un des conteurs français les plus atypiques, véritable défricheur d'un genre souvent délaissé par les artistes français. Scénariste du récent Remember me, jeux vidéo remarqué produit par un studio Lyonnais, dont l'univers et la narration firent très forte impression au sein d'une année marquée par l'avènement de franchises installées et le déferlement d'une nouvelle génération de consoles.

 

L'homme est curieux, modeste et formidablement accessible. Philosophe de formation, il entretient avec le cinéma un rapport simple, évident dont il parle avec un enthousiasme contagieux comme une source d'inspiration essentielle pour un artiste dont le sujet d'expertise étant l'élaboration conceptuelle. Actuellement occupé à écrire et mettre sur pied l'adaptation de La Horde de Contrevent avec Jan Kounen, l'écrivain voit dans ce qui prendra la forme d'un colossal diptyque une occasion inespérée de trahir son œuvre, de la réinventer tout en la confiant à un artiste dont l'éclectisme n'est pas la moindre des qualités. Mais cette ambitieuse fresque n'est pas le seul projet qu'Alain Damasio et Jan Kounen développent, puisque le metteur en scène souhaite également porter au cinéma un autre texte de l'auteur, encore inédit, dont nous vous dirons prochainement quelques mots.

Par charité chrétienne et parce qu'on aime bien Benoît Delépine, nous ne reviendrons pas sur Ablation, que l'on attendait comme la potentielle sensation française de la sélection. Impossible en revanche de ne pas s'attarder sur Babadook, de Jennifer Kent. Précédé d'un excellent buzz en provenance d'un Sundance encore frais, le film s'était facilement imposé comme l'un des plus attendus de cette édition, aux côtés de The Sacrament. Quelques heures après le visionnage de la chose, force est de constater que Ti West aura bien du mal à déloger Babadook dans le cœur des spectateurs.

D'une intensité folle et servi par une esthétique aride mais remarquablement maîtrisée, le premier film de Jennifer Kent a laissé plusieurs centaines de spectateurs sur les rotules. Œuvre hybride, où cohabitent et s'enrichissent horreur, chronique du deuil, radiographie de la maternité et un croque-mitaine très porté sur les adultes, le métrage ne souffre que de rares scories et de la volonté de son auteur de surligner par endroit son message. Nous revenons en détail ici sur cette excellente surprise.

Justement, dans la catégorie surprise, notre entretien avec Vahina Giocante s'est posé là. Parce qu'on n'a pas tous les jours l'occasion d'échanger une heure durant sur les strates hallucinogènes des odyssées Dickiennes, avant d'évoquer Moëbius ou de tacler nonchalamment quelques vaches sacrées abonnées des palmarès cannois. Parenthèse enchantante et nécessaire avant de rejoindre les hordes de festivaliers prêts à en découdre avec un triple programme de haute volée : Sharknado, Big Ass Spider et Bounty killers. Une triplette de bon goût, promesse d'une overdose d'effets numériques blasphématoires, de blagues potaches et de seconds couteaux affutés qui n'a pas manqué de déclencher une hystérie parfaitement comparable avec celle de la meute de journalistes présentement accoudée au zinc du grand hôtel. Rien de plus normal quand de facétieux organisateurs ont eu la brillante idée de jeter dans la foule assoiffée de nanar un quarteron d'individus déguisés en requin.

 

L'auteur de ces lignes ignore encore le nombre de victimes de ce réjouissant spectacle et s'en va expérimenter un hypnotique cocktail à base de schnaps. Bonjour chez vous, comme dirait l'autre.

 

 

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