Bilan sur la vague des remakes des classiques de l'horreur des 70-80's

Guillaume Meral | 4 mai 2013
Guillaume Meral | 4 mai 2013

« Encore un... » est le credo que d'aucuns ne manqueront pas d'entonner à l'occasion de la sortie cette semaine dans nos salles du remake d'Evil deadUn air qui risque fort d'être repris dans les mois à venir puisque, outre le film de Fede Alvarez, sont également prévues les nouvelles versions de Carrie, ainsi qu'une énième suite/prequelle de Massacre à la tronçonneuse, sans compter les liftings d'ores et déjà planifiés (Poltergeist, Aux frontières de l'aube, Scanners...). Bref, la moisson n'est pas prête de s'arrêter, malgré une liste d'œuvres à passer sur le billard qui commence sérieusement à s'amenuiser à mesure que le catalogue 70/80 n'en finit pas d'être remis au goût du jour, ce qui ne manque pas d'alimenter les commentaires autour de l'originalité du cinéma américain. Sans relancer le débat sur la qualité intrinsèque des dits films, où même de la légitimité ou non de la notion même de remake (bien que cette pratique ait irrigué l'industrie hollywoodienne depuis ses balbutiements. Jean Renoir lui-même ne plaidait-il pas en faveur d'une certaine conception du plagiat ?), il convient toutefois d'interroger cette tendance non seulement à l'aune des résultats produits, mais surtout ce qu'elle sous-entend à propos de l'évolution du cinéma d'horreur depuis les 70's enflammées.

Voilà dix ans maintenant que le succès rencontré par la relecture de Massacre à la tronçonneuse orchestrée par Marcus Nispel a ouvert une boîte de Pandore dont les retombées immédiatement salvatrices se disputent à des conséquences plus discutables à long terme sur le genre. En effet, pour comprendre en quoi le remake du film de Tobe Hooper, en plus de s'être révélé une bonne surprise, s'imposa également comme une bénédiction pour le cinéma d'horreur, il faut remonter à la fin des 90's, époque où le méta-slasher initié par Scream n'en finissait plus de décliner ses ersatz sur grand écran.

Dévoyé par une autoconscience post-moderne devenue le dénominateur commun de toute l'industrie, le cinéma d'horreur voyait même ses fans les plus endurcis déserter le navire, lassés d'un second degré dédramatisant toute tension, d'un contenu édulcoré et plus généralement de la répétition ad nauseam d'une formule contenant en elle les germes de la décadence du genre. C'est dans ce contexte d'assèchement créatif que Nispel et son producteur Michael Bay ont frappé un grand coup en appuyant plus que de raison la morbidité de leur univers et la violence de l'enfer s'abattant sur ses protagonistes, fraîchement débarqués dans une sorte de quatrième dimension peuplée de rednecks tarés. Une manière de rendre hommage à l'aura ultra-sulfureuse du film de Tobe Hooper tout en s'en démarquant (le film étant finalement beaucoup plus gore que l'original en termes de contenu), et surtout de foutre un grand coup de pied dans une fourmilière ankylosée par des années de merdouillages référentiels pouêt-pouêt.  « Quand tu as perdu ton chemin, il faut revenir à ton point de départ » disait le sage, et de ce point de vue, le film de Nispel et la vague de remakes qui s'ensuivirent s'imposent comme une cure de jouvence du genre, comme s'il fallait puiser dans son âge d'or pour renouer avec les fondements de son imaginaire.

De fait, il n'est guère étonnant que l'avènement du remake « hardcore » s'est parachevé de paire avec le succès du torture-porn (Saw et cie), sorte de parent dégénéré du genre qui embrasse ses composantes les plus intrinsèquement controversées et subversives (la souffrance infligée à autrui, le sadisme, le voyeurisme devant la mort) pour les exacerber jusqu'à en faire sa codification. Pur produit d'une époque qui a appris à s'accommoder à la contemplation banalisée de la violence via les nouveaux supports médiatiques, le torture-porn et la remise au goût du jour des titres les plus emblématiques des 70's semblent participer de cette logique de surenchère visant à fournir aux spectateurs leur catharsis de gore et de chair meurtrie.

On ne s'étonnera donc pas de l'emploi d'une violence souvent débridée dans ces remakes, souvent fruit d'une logique inhérente à l'œuvre d'origine (après tout, La dernière maison sur la gauche, La colline a des yeux et autres MALT sont des œuvres associées dans l'inconscient collectif au scandale qu'ils déclenchèrent à leur sortie). A l'opposé de l'autocensure qui entourait la production des méta-slashers, le gore à fond les ballons participe au contraire à un gage de fidélité des instigateurs au matériau d'origine (ça et un réalisateur qui témoigne invariablement de l'importance revêtue par le film original à ses yeux), le moyen de se mettre les fans dans la poche en déviant d'emblée toute tentative d'aseptisation du contenu. Du moins en  apparence.

En effet, il convient de relativiser la portée des déclarations jurant « fidélité à l'esprit de l'original » et autres avatars au regard du fossé séparant les contextes de production des deux œuvres respectives. Shockers dont la réputation n'a d'égal que la précarité de leurs conditions de tournage, les films originaux sont bien souvent les emblèmes transgressifs d'une époque dont ils incarnent l'exaltation underground, condition qu'ils transpirent souvent par tous les pores de la pellicule. Du cinéma de marginal, empreint d'une énergie créatrice (pour les plus réussis s'entend) façonnée par le besoin et l'urgence, conscient de bousculer les tabous pour un public restreint. A l'opposé, leurs remakes sont quasi-systématiquement le produit de studios, qui plus est dans une époque où la marge sur laquelle s'entassaient les tendances les plus excessives du cinéma d'exploitation a été déplacée jusqu'à voir son existence remise en question par certains. Les films sont tournés avec un budget souvent confortable, dans une logique industrielle qui n'est plus celle des drive-in ou double-séance mais du parc de salles le plus étendu possible. Quant à la violence, elle  n'est plus un argument transgressif (mais avec une valeur commerciale), mais un aspect marketing comme un autre, qui n'est plus destiné à attiser les passions (voir l'inhabituelle clémence de la MPAA durant la dernière décennie). Autrefois vécue comme un acte profondément transgressif, la violence est désormais devenue un enjeu purement esthétique quasiment dénué des pulsions politiques qui animaient autrefois sa représentation à l'écran (voir I spit on your grave, caricature de ce trait d'époque). La question de l'irreprésentable a fait long feu : pour preuve, la scène de l'assaut de la caravane dans La colline a des yeux d'Alexandre Aja, pourtant pas piquée des hannetons, qui a provoqué moins de remous que l'affaire du jaillissement de tétons de Janet Jackson.

Pas vraiment destinés à imprimer l'inconscient collectif de façon aussi prononcée que leurs prédécesseurs, les remakes sont donc contraints d'accepter leur condition de perturbation soigneusement encadrée ; banalisée qui plus est par l'époque dans laquelle ils s'inscrivent. De fait, il n'est guère étonnant que les œuvres les plus réussies soient précisément celles démontrant des partis-pris de mise en scène soucieux de dépasser le stade de la simple scène-choc. Ainsi en est-il de Dennis Iliadis avec La dernière maison sur la gauche, qui ose bousculer le point de vue habituel prédominant au sein d'une diégèse souillée par la gangrène barbare s'abattant sur elle, en  insérant par à-coups une poésie minérale insufflant un lyrisme discret à l'ensemble. Quant à Alexandre Aja, sa conscience aigue du contexte dans lequel il évolue en fait peut-être le réalisateur le plus intéressant ayant émergé de cette vague, ne serait-ce que parce qu'il a su se forger une identité de cinéaste au sein d'un système normé privilégiant les yes-men interchangeables. Sa filiation plus ou moins prononcée avec le cinéma de Paul Verhoeven s'exprime par sa capacité à corrompre les conventions esthétiques et thématiques pesant sur lui par une volonté d'y insérer un discours corrosif qui tend à pousser les représentations dans leurs paroxysmes (la vengeance sanglante et cathartique de La colline a des yeux, Piranha 3D et sa verge recrachée à la gueule du spectateur concupiscent). Dans les deux cas, une façon de rendre à la violence sa dimension transgressive à l'aune des enjeux inhérents aux longs-métrages eux-mêmes.

Plus rare, l'autre solution consiste également à dépraver l'univers tapissé de suggestions du film original en sortant de l'ombre ce qui était auparavant suggéré. Angle adopté par Rob Zombie sur sa relecture d'Halloween de John Carpenter, œuvre beaucoup moins réputée pour sa dimension subversive que les précédents. Ici, Zombie choisit de faire la biographie du ver dans le fruit en explorant la construction de la psyché torturée de Michael Myers au sein d'une famille white trash comme le cinéaste les affectionne. D'où un film émaillé d'éclairs de violence sèche cinégéniques en diable, mais presque parfois contradictoire avec l'aura fantastique de son personnage principal faute de trouver le bon équilibre entre un regard d'anthropologue sur la naissance d'un mal de proximité et l'abstraction nécessaire à la formation d'une telle entité. Un écueil accentué par le second opus, dont l'onirisme délétère appuyé renforce paradoxalement l'humanité de son boogeyman, qui tombe le masque pour l'occasion. Un film que l'on aurait pu intituler « Les visions de Michael Myers ».

Comme le confiait Alexandre Aja à la sortie de son Piranha 3D, les anciens patrons de studios ont désormais été remplacés par des publicitaires, qui voient dans les remakes le moyen de faciliter le marketing de leurs films en capitalisant sur une licence déjà existante. Pas besoin de créer la marque en somme, elle existe déjà et est connue du public, y compris ceux qui n'ont pas vu le film. Une méthode qui en dit long sur la récupération des icônes laminées par la bien-pensance, mais qui aujourd'hui continuent de jouer le rôle qui est le leur sans déborder de la case que leur a prévue le système. A charge pour les cinéastes de questionner l'époque dans laquelle ils évoluent pour mieux transmuter la dimension intrinsèquement transgressive de leur modèle, et proposer de nouvelles possibilités de marges au film de genre. A cet égard, le bilan est mitigé...

 

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