Firefly la série vs. Firefly le film
L'adaptation
de série télévisée au cinéma est un genre à part entière, un numéro
d'équilibrisme scénaristique relativement délicat qui confronte les
adeptes du show TV au bon vieux dilemme de revoir leurs héros favoris
étalés sur grand écran dans un épisode géant de près de deux heures,
avec tous les risques que cela implique. Toutefois, nous ne sommes pas
là pour faire le procès de ce genre de procédés, mais bien pour parler
de Serenity, aka Firely Le Film, vs. Firely La Série, vu de l'il du connaisseur.
À l'inverse des autres séries télé transposées au cinéma, Serenity, l'ultime rébellion
(sous-titre incongru, mais il faut bien attirer le chaland il est vrai)
est confronté à la quadrature du cercle. Là où d'habitude des acteurs
connus endossent les défroques de personnages encore plus connus dans
des situations et intrigues là encore parfaitement maîtrisées du grand
public, Serenity nous présente des comédiens pour la plupart
relativement anonymes (aucun grand nom au générique), incarnant des
personnages évoluant dans une intrigue dont les bases ont été plantées
durant la série. L'auteur
doit donc réintroduire son univers, ses personnages et son histoire
auprès des néophytes afin que ces derniers comprennent quelque chose à
ce qui se passe devant leurs yeux, sans pour autant tomber dans la
redite vis-à-vis des fans et des connaisseurs. Tout cela bien entendu
sans oublier pour autant l'intrigue du film en lui-même.
De l'aveu même de Joss Whedon, sa première version du script était un concentré de Firefly
de plus de 200 pages que seuls les connaisseurs auraient été à même de
comprendre, et surtout d'apprécier. Fort heureusement, la version qui a
été filmée est à des années lumières de cela. Pour faire simple, il se
base sur ses précédents travaux pour concocter une histoire capable de
vivre par elle-même. Il n'est donc pas nécessaire de posséder le savoir
acquis à la vision de la série pour comprendre et apprécier le film.
S'éloignant de la structure narrative des épisodes, Serenity
condense sur deux heures de film la trame narrative qui aurait
théoriquement due être développée lors des deuxième, voire troisième
saisons de Firefly. Conséquence logique, l'obligation de se
concentrer sur l'essentiel ne laisse que très peu de temps pour
s'attarder sur le décor. Plusieurs conséquences, particulièrement en
matière de rythme, en découlent alors :
1 - Des deux principaux aspects de Firefly, à savoir
le space opera et le western, c'est indéniablement ce dernier qui pâtit
le plus du passage sur grand écran. Exit donc les histoires de
transport de bétails ou de redressages de torts en rase campagne. Pis,
Whedon en profite pour ajouter une couche horrifique par flash-back
2 - Les fans comme les non-fans auront l'impression de voir
l'histoire défiler à tout berzingue. Cela part peut-être un peu dans
tous les sens, on joue apparemment à saute-mouton de planète en station
spatiale de façon désordonnée, brouillonne et sans grande logique, mais
en vérité, ces raccourcis dans le fil conducteur de la série
apparaissent inévitables.
3 - Du côté des personnages, certains sont pratiquement relégués
au rang d'accessoires, Book notamment, tandis que l'on se focalise plus
sur River et Mal. Ce dernier est d'ailleurs certainement celui qui
subit l'évolution la plus notable depuis la fin de Firefly, à
tel point que le contraste pourrait bien surprendre plus d'un fan. À
l'opposé, les nouveaux venus pourront se poser des questions sur la
moralité et la nature réelle du personnage tant les côtés sombres de sa
personnalité sont mis en avant.
4 - Nombre de petits détails qui contribuaient à donner un
charme supplémentaire à la série sont passés à la trappe. Par exemple,
les jurons en chinois sont moins présents ainsi que l'humour dans son
ensemble.
Dans ces conditions, que reste-t-il au fan de base pour vraiment se
démarquer des autres spectateurs ? Essentiellement le plaisir de revoir
les personnages et d'apprendre enfin un certain nombre de choses
restées en suspens à la fin de la première et unique saison. Il en
découle une charge émotionnelle lors de passages clefs. Paradoxalement,
le film ne contient que peu de privates jokes ou de références cachées
au passé de la série. Mais il serait fortement exagéré de crier à la
trahison pour autant. Whedon parvient à ménager assez subtilement la
chèvre et le chou, même s'il en résulte certains raccourcis auxquels
les fans pourraient ne pas totalement adhérer.
Les
connaisseurs retrouveront aussi le style assez caractéristique que
Whedon a pu développer au cours des aventures télévisuelles de Buffy et Angel
: une poignée de plans-séquences, des retournement de situations, et
des coups de théâtre qui débarquent sans prévenir. Les scènes de
bagarre sont certainement l'aspect le moins réussi du film par manque
de lisibilité et de dynamisme. À l'inverse, l'auteur s'adonne avec brio
à des imbrications narratives durant l'entame, et il ajoute des
personnages secondaires particulièrement savoureux et bien croqués avec
The Operative (formidable Chiwetel Ejiofor, machiavélique à souhait, implacable méchant de service à la morale unique) et Mr. Universe (épatant David Krumholtz
en concentré de geekitude adepte des poupées électroniques, fruit des
amours contre-nature entre Rupert Murdoch et une Oracle de la Grèce
Antique)
En un mot comme en cent, et sans vouloir déflorer l'histoire, tout est un peu plus marqué dans Serenity que dans Firefly.
Tout va plus vite, tout s'est radicalisé. C'est la rançon de la gloire.
Les méchants sont un peu plus méchants, les clivages se font plus
profonds, les blessures plus difficiles à soigner. Alors certes, tout
n'est pas parfait, loin de là. Certaines scènes moulinent un peu dans
la parlotte (commencer un film de SF par une bonne grosse scène
explicative n'est certainement pas le meilleur moyen pour plonger son
audience dans le bain). On sent bien par moments que le budget était
limité (certains effets visuels s'avèrent à peine passables), et
certains raccourcis scénaristiques auraient mérité d'être un peu plus
développés. Mais l'un dans l'autre, Joss Whedon a réussi son pari.
Il
parvient à donner une deuxième vie à sa création en lui conférant plus
d'ampleur, tant et si bien que l'on se prend à rêver d'un nouvel avenir
pour Firefly / Serenity tout en regrettant le destin
funeste de la série. À la vision du film, on se dit que certaines
scènes auraient parfaitement pu remplir un voire plusieurs épisodes à
elles seules, mais l'histoire fait néanmoins d'énormes bonds en avant
même si des points de détails sont laissés dans l'ombre (notamment tout
ce qui concerne la Blue Sun Corporation, à peine mentionnée dans le
film). Certains chapitres sont clos de fort belle manière tandis que
d'autres ouvrent grand les portes vers de nouvelles aventures, qui sont
conditionnées par les résultats au box-office américain.
Le film y a cumulé 17 millions de dollars en dix jours
d'exploitation, mais il a cependant fini deuxième lors de son premier
week-end avec un tout petit plus de 10 millions de dollars de recettes,
le plaçant ainsi juste derrière un Flight Plan (avec Jodie Foster) en deuxième semaine (15 millions au compteur ce week-end là). Compte tenu du fait que Serenity
s'adresse à une niche relativement étroite (les hommes de 30 ans
essentiellement) et du nombre de salles de cinéma le présentant (un peu
moins de 2200, comparé aux 3500 dévolus à un vrai blockbuster), la
moyenne atteinte est honorable.
Ces
résultats modestes ne sont pas forcément très négatifs vu les attentes
des producteurs, mais disserter sur les possibilités d'une suite relève
de la spéculation pure. En effet, si les critiques sont dans l'ensemble
plutôt bonnes, le film va avoir besoin d'un sérieux bouche-à-oreille et
de très bonnes ventes DVD ensuite pour s'assurer un quelconque avenir.
En conclusion, Serenity, l'ultime rébellion, une réussite ?
Oui, sans l'ombre d'un doute. Même si le film ne révolutionnera pas le
space opera, il est un des plus dignes représentant du genre ayant
atterri sur nos écrans ces dernières années, tout en restant une
adaptation parfaitement réussie de la série dont il est tiré.
PS : Dans une note tout à fait personnelle, un détail échappe toujours à la compréhension de l'auteur de ces lignes. Pourquoi diable l'expression « Les Reavers » a-t-elle été traduite par « Les Termites » ? Un détail déjà présent sur le doublage canadien du coffret DVD zone 1 que l'on retrouve dans le film.