3h10 pour Yuma : une bande-originale qui fait mieux qu'Ennio Morricone ?

Judith Beauvallet | 19 janvier 2023 - MAJ : 19/01/2023 11:18
Judith Beauvallet | 19 janvier 2023 - MAJ : 19/01/2023 11:18

En 2007 sortait le remake de 3h10 pour Yuma réalisé par James Mangold. Cette nouvelle version du western apportait beaucoup d’excellentes surprises, en particulier sa musique.

3h10 pour Yuma, c’est d’abord une nouvelle d’Elmore Leonard écrite en 1953. Adaptée une première fois en 1957 par Delmer Daves, elle raconte l’histoire d'un modeste cowboy chargé d’accompagner un redoutable bandit jusqu’à une gare lointaine où un train l’emmènera vers la potence. Seul problème : ledit bandit dispose d'une farandole de truands prêts à tout pour libérer leur chef au cours du transfert.

Quand il décide de réaliser sa propre version de l’histoire avec Christian Bale et Russell Crowe sous le bras, James Mangold ajoute de nombreuses facettes aux deux personnages principaux et opte pour une fin beaucoup plus tragique (et belle). Homosexualité latente, masculinité toxique, vengeance passionnelle... Le film joue avec les thématiques indéboulonnables du western tout en les sublimant. Et en parlant de sublimer : la bande-originale n’y est pas pour rien, loin de là. Pour mettre en musique sa bromance du Far West, Mangold fait appel à Marco Beltrami, à l’époque jeune compositeur versé dans le cinéma de genre.

 

3h10 pour Yuma : photoÀ cheval gendarmes

 

Marco Beltra... Qui ?

Après avoir été mentoré par le légendaire Jerry Goldsmith, Marco Beltrami fait passer la cinquième à sa carrière en 1996 quand il compose la bande-originale de Scream, le slasher révolutionnaire de Wes Craven. Devenu emblématique de la saga, son morceau Trouble in Woodsboro épouse à merveille le regard méta que le film a sur son propre genre : les cris et les onomatopées se font notes de musique pour raconter un film d’horreur à eux tout seuls et jouer avec les clichés sonores du genre.

Suite à ça, Beltrami va confirmer sa préférence pour l’horreur et les thrillers en poursuivant la collaboration avec Wes Craven, en composant aussi pour Guillermo Del Toro et en s’aventurant du côté de Resident Evil ou Underworld 2. Après 3h10 pour Yuma, il deviendra le compositeur favori de Mangold et travaillera avec des noms toujours plus prestigieux, de Kathryn Bigelow à Bertrand Tavernier. Mais c’est bien avec cette première collaboration qu’il s’essaye au genre du western, un univers qui le change des Hellboy, Ghostface et compagnie.

 

Scream : Photo, Drew BarrymoreÇa va couper

 

Qui dit “musique de western” dit “Ennio Morricone” et dit surtout “impossible de passer après le maître”. Car le regretté Morricone est bien évidemment célèbre pour avoir composé un nombre impressionnant de thèmes musicaux sublimes ayant marqués l’histoire du cinéma, à commencer par sa contribution au western italien et son mariage artistique avec Sergio Leone. Après des films comme Il Était une fois dans l’Ouest ou Le Bon, la Brute et le Truand, les images de plaines désertiques et de saloons sont devenues, de facto, associées au lyrisme cuivré des musiques de Morricone plutôt qu’à celles de westerns américains traditionnels.

Beltrami choisit de marier ces deux héritages (ses origines italiennes l’auront-elles influencé ?) pour apposer sa patte sur un scénario qui lui aussi, dans sa version revisitée, appelle à la modernité. Mais n’est pas Morricone qui veut. Beltrami qui, dans sa carrière, a été parfois brillant, parfois transparent, pouvait-il se mesurer au maestro ? Au fond, c’est peut-être de ce défi que le compositeur avait besoin pour éclore totalement.

 

Il était une fois dans l'Ouest : photo, Charles BronsonHarmoniquoi ?

 

Les trompettes de la mort

3h10 pour Yuma est un film qui a pour dynamique principale la tension. Le suspens y est presque constant et le personnage de Dan vit chaque seconde dans l’attente d’une embuscade meurtrière (c’est même dans un contexte similaire que son personnage est introduit, dès la première séquence du film). La bande-originale de Beltrami comporte donc de courts morceaux de percussions nerveuses et de cordes précipitées qui évoquent un cœur qui bat la chamade et l’urgence de la survie.

En parallèle, les moments de silence pesants quand le suspens est à son paroxysme répondent à l'orchestre et lui permettent de mieux frapper le spectateur à chacun de ses retours. Ces instants de faux répit laissent aussi la place au bruitage des objets clefs dont s’inspire la partition de Beltrami : le tic-tac d’une montre, le sifflet du fameux train...

 

 

 

Mais le plus fascinant est la manière dont la musique semble porter en elle toute l’histoire du film avant qu’on ne la connaisse. Souffrant d’un handicap à la jambe, fermier désargenté utilisé par une justice lâche pour faire barrage à bien plus fort que lui, Dan est un David qui mène un combat impossible contre Goliath, et la musique fait peser la menace de la défaite sur toute l’histoire.

L’aspect tragique en est largement renforcé puisqu’on voit notre héros vulnérable mettre tout en œuvre pour accomplir dignement sa mission et gagner l’estime de son fils, alors que la musique nous chante que ses efforts sont (peut-être) perdus d’avance. Les accents mélancoliques et le ton sentencieux qui se marient à un lyrisme vibrant racontent à eux tout seuls une tragédie grecque, et c’est dans ces moments-là que la filiation avec Morricone se fait le plus sentir.

 

 

 

Au milieu d’une orchestration de western italien typique, la trompette passe de plaintive à lumineuse, et les violons d’abord pleureurs deviennent enthousiastes. Parce que, comme chez Morricone, il s’agit ici de célébrer la beauté dans la tragédie. La beauté de l’honneur, du sacrifice... et même (surtout ?) de cette forme d’amour naissant et ambigu entre Dan Evans et Ben Wade, qui, en attente de l’acte final, s'amusent presque de se retrouver ensemble dans une suite nuptiale. 

Chacun admiratif de l’autre et surpris par sa droiture insoupçonnée, leur accomplissement respectif sera d’avoir connu la meilleure version d’eux-mêmes dans ce dénouement, grâce à leur affrontement fraternel. C’est toute cette imbrication de sentiments et de destinées irréconciliables que Beltrami parvient à exprimer avec une beauté saisissante.

 

3h10 pour Yuma : photo, Russell CroweLes misters de l'Ouest 

 

S’il ne fallait garder qu’un morceau

La note d’intention du film est incarnée dans le morceau référence de la bande-originale, sobrement intitulé The 3:10 to Yuma. La composition conclut le film et ouvre le générique, après avoir chapeauté de ses notes le reste de la bande-originale. Elle terrasse par sa gradation impressionnante qui reprend les quelques mêmes notes lancinantes en y ajoutant à chaque reprise des cordes et des trompettes. Le rythme et le ton sont évidemment proches de la géniale musique composée par Morricone pour Le Grand Silence de Sergio Corbucci.

 

 

 

Le morceau termine dans une fanfare mi-mélancolique mi-épique qui taquine les glandes lacrymales et semble prolonger l’arc narratif des personnages. La musique de Beltrami nous dit que les personnages qui restent seront durablement marqués parce qu’ils viennent de vivre, de la même manière que l’esprit du spectateur restera imprimé par cette mélopée. La bande-originale de 3h10 pour Yuma est encore à ce jour l’une des plus belles œuvres de son compositeur, et lui a d’ailleurs valu une nomination aux Oscars en 2008.

Tout savoir sur 3h10 pour Yuma

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commentaires
Aktayr
21/01/2023 à 21:06

@Handtown
C'est marrant que tu dises ça parce que tout comme toi, la bo ne m'avait pas spécialement marqué la première fois que j'avais vu le film, même si quelques musiques m'avaient interpellées.
Et après avoir écouté l'album qui est juste incroyable, j'ai trouvé que certaines scènes n'atteignaient pas la puissance des thèmes associés. Ce qui n'enlève rien au fait que le film est réussi du début à la fin. Et ce final !

Handtown
20/01/2023 à 22:08

Et bien s'est marrant parce qu'à la sortie j'ai trouvé que le seul défaut du film était justement...la bande son... par trop inexistante de mon point de vue, manquant souvent de souffle dans les moments clefs...

Ethan
19/01/2023 à 18:02

Qui est cette jeune actrice au cheveux courts ? :)

Enniopio
19/01/2023 à 17:04

Belle musique et tres beau final en effet.
Peut être assez proche de ce qu'aurait pu écrire le Maître...

Tom’s
19/01/2023 à 16:34

Et la BO de Mort ou Vif de Sam Raimi,revu il y’a peu, elle est signée Alan Silvestri, gros hommage( pompage ) à Morricone lol, elle reste en tête mais, elle n’est pas subtile.

saiyuk
19/01/2023 à 15:00

Mangold fait partie de ses très bon réalisateur pour lequel la bande son est toujours tres bonne (Logan, Le man 66...) que ce soit musique ou bruitage. fait plaisir a lire cet article

Saiyuk
19/01/2023 à 14:59

Mangold fait p

Cooper
19/01/2023 à 14:40

Vu y a longtemps, je sais que j’avais aimé mais j ai plus beaucoup de souvenir, faut que je révise ça.

Kyle Reese
19/01/2023 à 14:16

Mince toujours pas vu ! Je dois réagir ! ^^

Judith Beauvallet - Rédaction
19/01/2023 à 12:59

@Aktayr @ttopaloff2
Avec grand plaisir !

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