Coupez ! n'a finalement pas été un (si) gros bide

Simon Riaux | 4 septembre 2022
Simon Riaux | 4 septembre 2022

Coupez !, dernier film de Michel Hazanavicius est sorti sur les écrans le 18 mai 2022. Sa présentation à Cannes lui a-t-elle assuré les faveurs du box-office ? 

Les comédies françaises font souvent office de poids lourd au box-office hexagonal et il n'est pas une année qui passe sans que quelques représentants du genre se hissent dans les premières marches du podium des plus gros succès. Présenté en ouverture du Festival de Cannes 2022, le film, remake de la pépite Ne coupez pas !, a bénéficié d’une très large couverture médiatique, ainsi que d’une réception critique favorable. Ces augures auront-ils suffi pour lui assurer de rencontrer un large public ? Rien n’est moins sûr. 

 

 

POUR LA BONNE COUPE 

Avant d’entrer dans des considérations et comparaisons plus techniques ou économiques, constatons que les 282 712 entrées du film sont une bonne nouvelle, cinéphilement parlant. En effet, le cinéma de genre étant historiquement mal distribué et peu plébiscité par le public français, ces chiffres laissent à penser que le long-métrage a touché un public qui n’est pas si fréquemment exposé à des œuvres différentes, ou comme dans le cas présent, à une production leur rendant clairement hommage. 

De même, la curiosité médiatique autour de Coupez ! a été synonyme de mise en avant de Ne Coupez pas !, le film éminemment sympathique dont il s’inspire. En effet, la comédie japonaise, pour culte qu’elle soit parmi les amateurs de curiosité et de proposition originale, avait bénéficié d’une quasi-sortie technique en 2019, n’attirant que 2 281 spectateurs.

 

Coupez ! : photoPas facile d'être à la tête d'un succès

 

Dans ces conditions, on peut estimer (espérer) sans trop s’avancer que beaucoup (plus) de gens ont entendu parler de cette petite pépite. Et s’il y a bien quelque chose qui est capable de rendre un remake sympathique, c’est quand il permet de mettre en lumière l'œuvre qui l'a précédé.

Mission accomplie de ce côté-là, d'autant plus que la relecture de Michel Hazanavicius ayant fait l'ouverture de l'édition 2022 du Festival de Cannes, on peut raisonnablement avancer l'hypothèse selon laquelle ce partage sera allé bien au-delà des strictes limites de l'Hexagone, permettant au film débrouillard de Shinichiro Ueda d'atteindre les contrées de cinéma où il n'avait pas encore eu l'opportunité de se faire une belle réputation.

 

Ne coupez pas ! : photoLes yeux plus gros que le ventre ?

 

LA COUPE EST PLEINE 

Pour établir si Coupez ! est un succès ou non, peut-être faut-il en premier lieu choisir à quoi le comparer ? Le mettre sur la même ligne de départ que les mastodontes français de la comédie n'aurait pas beaucoup de sens. En effet, leurs budgets et leurs relais médiatiques sont si éminemment différents qu'ils ne jouent pas dans la même cour, ne visent pas exactement le même public et n'ont donc pas les mêmes définitions du succès ou de l'échec. En effet, difficile de traiter comme équivalents Coupez ! et ses 4 millions d'euros de budget, et RAID dingue, réalisé par Dany Boon, qui aura coûté quelques 32 millions d'euros.

Et quand bien même on laissera de côté les plus richement dotés du rire à la française, les deux derniers opus des Tuche ont respectivement coûté 14 et 17 millions d'euros. Ces dernières années, comme le révèle Le Parisien dans son bilan des années 2017/2018, les comédies françaises sont nombreuses à aligner des budgets parmi les plus dotés de la production locale.

Il n'est ainsi pas surprenant de croiser des Nicky Larson et le Parfum de Cupidon budgété pour 18 millions d'euros, un Mystère à Saint-Tropez et ses 14,8 millions ou un All Inclusive à 15,8 millions d'euros. Pour autant, on trouve bien quelques productions du genre éminemment plus modestes, telles Maison de retraite, dont le succès apparaît d'autant plus retentissant que le film n'aura coûté "que" 5,23 millions d'euros.

 

Ne coupez pas ! : photoUne coupure nette

 

Il serait sans doute plus logique de comparer le score de Coupez ! aux autres films présentés en ouverture au Festival de Cannes. Certes, leur budget et leur genre sont bien différents, mais leur mode de présentation leur confère une campagne promotionnelle et un mode de sortie extrêmement comparables, pour ne pas dire identiques. En la matière, le long-métrage de Michel Hazanavicius témoigne du relativement faible intérêt du grand public pour les oeuvres présentées à Cannes, en cela qu'il est de mémoire récente... un de ceux qui auront attiré le moins de spectateurs.

Seul Annette aura moins rassemblé que lui, avec 227 000 curieux (quand sa proposition était nettement plus casse-gueule). Le reste de la comparaison est sans appel. Everybody Knows a attiré plus de 820 000 spectaeurs, La Tête haute quelques 715 000, et même les plus confidentiels The Dead don't die ou Les  Fantômes d'Ismaël auront rassemblé respectivement 385 000 et 333 000 curieux. Pas une douche froide, certes, mais franchement tiédasse. même s'il faut évidemment toujours souligner une chose : il y a l'avant et l'après-Covid au cinéma.

 

Coupez ! : Photo Bérénice Bejo, Matilda Lutz, Finnegan OldfieldSaigner les marches

 

SUCCÈS ZOMBIE

Quand on met la comédie zombie face aux autres films de son auteur, à première vue, le constat est une nouvelle fois plutôt négatif. Il n'y a guère que Le Redoutable (135 394 entrées) et le bide stratosphérique The Search (69 936 entrées) qui ont fait moins bien que la production qui nous intéresse. Les scores de ses autres aventures filmiques apparaissent sans commune mesure. The Artist, projet au concept loin d'être évident, à savoir un film muet, lui aussi présenté au Festival de Cannes, a enchanté 3 millions de spectateurs. OSS 117 : Rio ne répond plus en aura régalé 2 520 000.

 

Coupez ! : Photo Romain DurisHacher l'échec

 

Quant au Prince oublié, en dépit de sa réputation de spectaculaire plantage, avait su convaincre 921 000 roturiers de le découvrir, soit une audience presque trois fois supérieure. Pourquoi fut-il, lors de sa sortie en 2021, qualifié d'échec ? La faute à un budget musclé de 24 millions d'euros. Et c'est justement ce qui permet de grandement relativiser les entrées modestes de Coupez !, nanti d'un budget de 4,8 millions d'euros, il est bien plus économe que les autres longs-métrages de Michel Hazanavicius. Loin d'être un succès assuré, le premier volet des aventures d'OSS 117 avait su réunir presque 15 millions d'euros de budget.

Celui de Coupez ! n'en représentant qu'un tiers, il est évident que pour apparaître comme un succès économique, il n'est pas tenu de rassembler autant de spectateurs. Représentatif du budget moyen des productions françaises depuis 2017 (source CNC/Le Parisien), compris entre 4 et 5 millions d'euros, il lui aurait fallu vendre 1 000 000 d'entrées pour être rentable sur les seules salles de cinéma. Le long-métrage en est loin, tandis que la contraction continue des ventes vidéo pourrait faire craindre le pire.

 

Coupez ! : Photo Grégory Gadebois, Matilda LutzAller chercher le public avec les dents

 

RÉSURRECTION TRANCHANTE ?

Attention toutefois, le film bénéficie dans sa manche de deux atouts loin d'être anodins. Vendu à l'international par Wild Bunch, le film a été acheté sur pas moins de 19 territoires étrangers d'après Unifrance. Or, le cinéma hexagonal jouit d'un marché extérieur solide, notamment en Europe. D'après Unifrance, le film doit encore être exploité, entre autres, en Italie, au Japon et en Allemagne, trois marchés où les comédies françaises se taillent historiquement la part du lion.

 

Z (Comme Z) : Photo Bérénice BejoJeu de massacre ?

 

À cela s'ajouteront les diffusions télévisées ou aux plateformes, dont les retombées sont encore à déterminer, mais qui pourraient être tout sauf anodines, du fait de l'identification du film sur plusieurs marchés ainsi que de la visibilité acquise sur la Croisette. Autant de pistes qui pourraient amener à grandement nuancer son parcours en demi-teinte dans les salles obscures.

En effet, Coupez ! ne peut être assimilé aux foirades intégrales qui émaillent chaque année le box-office, à savoir les dizaines de productions se cassant les dents bien en deçà de la barrière des 100 000 entrées. Il a joui en plus d'une visibilité autant que d'une réception positive de la presse comme du public qui devraient lui permettre de finir son exploitation (au-delà des salles) sans pertes notables, voire positivement, à défaut de se métamorphoser en succès éclatant.

Tout savoir sur Coupez !

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commentaires
Tchkita
04/09/2022 à 21:29

Sujet Ô combien épineux relancé par les déclarations récentes de Mathieu kassovitz, qui s'est tout de même bien gardé de répondre aux provocations des chroniqueurs des "grandes gueules".

La cible visée par ce film est trop restreinte pour ne pas être en accord avec Monsieur kassovitz.

J'attends plus, j'attends mieux, j'attends des nouveaux talents, j'attends de la qualité et de l'audace... Mais je crois que je peux toujours courir lol.

hawaii
04/09/2022 à 17:03

Je ne me permet pas de parler de la qualité du film, mais maintenant si un film français qui fait à peine 280 000 entrées est un succes même pour un budget de 4 millions d'euros, sachant que la recette du ticket ciné est divisé en 2 et sans compter la part du CNC qui finance le cinéma français ...

La Classe Américaine
04/09/2022 à 15:07

@Prisonnier: +1. Larchau et Gastambide et les Qu'est-ce qu'on a Fait ont tué le game de la comédie française. Hazanavicius, c\est aujourd'hui trop intello aux yeux d'un public qui préfère le rire gras.

Ankytos
04/09/2022 à 14:50

Ce film était un vrai moment de plaisir. Je suis ressorti avec la banane et cet agréable sentiment que donne la bricole en coulisse pour qu'un spectacle, une performance, fonctionne. Une belle lettre d'amour au monde du spectacle.

Prisonnier
04/09/2022 à 14:43

On se rassure comme on peut

Hadrien
04/09/2022 à 13:34

Tout a fait d’accord, le film est
Un bol d’air frais hommage au cinéma, un OVNI qu’helas trop peu de gens ont saisi. Se pose aussi la question de comment vendre et presenter au public un tel film. Le teaser par exemple de 3000 ans a a t’attendre est horrible en comparaison du film qu’est absolument génial.

Pieriku
04/09/2022 à 11:24

C'est bien dommage que le film n'ait pas mieux marché. Je ne suis pas du tout un adepte des films de zombie mais je dois avouer que j'ai rarement autant rit que devant ce film. C'est rare que je me mette à pleurer de rire comme ça.