Pixar sera-t-il sauvé par Pete Docter, le dernier grand génie derrière Toy Story ?

Déborah Lechner | 7 août 2022
Déborah Lechner | 7 août 2022

Pete Docter est longtemps resté dans le quasi-anonymat, mais l'artiste touche-à-tout de Pixar a pourtant une carrière aussi exceptionnelle que fascinante. C'est aussi celui qui pourrait sauver le studio.

Contrairement à son ami et mentor John Lasseter, Pete Docter est longtemps resté dans l'ombre des cadors et autres têtes pensantes de Pixar, alors même que sa carrière est aussi longue que passionnante et atypique. L'artiste recense neuf nominations aux Oscars, trois statuettes dorées, plus de deux milliards de dollars récoltés box-office mondial, énormément de rires et autant de larmes.

Tout ça avec seulement quatre longs-métrages co-réalisés, Monstres & Cie, Là-hautVice Versa et Soul, qui font partie des favoris du public (et ont d'ailleurs une belle place dans notre classement de tous les films Pixar). Autant dire que la filmographie de Pete Docter est pavée d'or et qu'il est devenu le véritable génie du prestigieux studio à la lampe dont il a activement participé à l'essor et qu'il arrivera peut-être à sauver du désastre. 

 

 

 

LES NOCES DE PERLES

Comme beaucoup d'artistes en herbe, le jeune Pete Docter se sentait différent et isolé du reste de la société, jusqu'au jour où il a poussé les portes du studio Pixar : "J'étais un geek. Je ne parlais à personne et je m'apprêtais à finir ma vie de cette façon, uniquement obsédé par les films d'animation. Chez Pixar, je me suis dit que je n'étais pas seul au monde". En fait, le prodige de 21 ans s'est tellement senti à sa place qu'il n'est tout simplement jamais parti. Cet Américain originaire du Minnesota a aujourd'hui 53 ans et fait partie des meubles dans ce studio qu'il côtoie depuis 32 ans

Pete Docter a rejoint la compagnie en 1990, le lendemain de sa remise de diplôme au California Institute of the Arts après avoir été conseillé à John Lasseter par un de ses professeurs. Il a donc connu Pixar lorsque la boîte était encore une société de matériel informatique appartenant à Steve Jobs, qui faisait des courts-métrages d'animation (Les Aventures d'André et Wally B., Tin ToyKnick Knack ou Luxo Jr.) et tentait de renflouer les caisses et d'éviter la faillite en produisant des publicités. Il était alors le 10e employé et le 3e animateur, ainsi qu'une des personnes les plus jeunes et inexpérimentées à avoir été engagée.

 

Pete Docter : photoPete Docter, au centre

 

Il est aujourd'hui le seul auteur d'origine à être resté pleinement actif, contrairement à Andrew Stanton (1001 pattes, Le Monde de Nemo) qui s'éloigne progressivement de l'écriture et de la réalisation des longs-métrages de la firme ou à John Lasseter qui a été poussé vers la sortie après les accusations de harcèlement à son encontre. 

De plus, hormis sa participation aux dialogues anglais du Château ambulant d'Hayao Miyazaki dont il est un immense fan, Pete Docter ne s'est jamais engagé ailleurs que chez Pixar. Cette longévité et cette fidélité - aussi bien au studio qu'à l'animation - sont donc un cas rare, sinon unique, dans l'industrie actuelle qui mêle les gros noms aux gros sous dans une éternelle course de relai.

 

Pixar : photoLe début d'une grande aventure 

 

LA FIGURE DE L'OMBRE

Avant de s'imposer comme un précurseur du cinéma d'animation et un mastodonte de l'industrie, Pixar est passé par de sérieux problèmes de trésorerie, au point où son futur était plus qu'incertain (encore plus qu'aujourd'hui). À cette époque, Disney avait la mainmise sur le marché occidental et venait de se relever du long passage à vide survenu après la mort de Walter Disney grâce à La Petite Sirène

La société aux grandes oreilles représentait ainsi un partenaire financier idéal pour se remettre en selle et se faire une place de choix dans le cinéma d'animation. En mai 1991, les deux entités ont donc signé un premier contrat pour la co-production de trois longs-métrages d'animation distribués par Disney, le premier étant un certain Toy Story.

C'est comme ça que quelques mois seulement après avoir rejoint le navire, Pete Docter s'est retrouvé à façonner l'avenir de l'entreprise et à assurer sa prospérité. Aux côtés de John Lasseter, qui lui a appris toutes les ficelles du métier, du regretté Joe Ranft et d'Andrew Stanton, il a participé à l'écriture du scénario et à l'élaboration des jouets, donnant de sa personnalité - et plus particulièrement son perfectionnisme maladif - à Buzz l'Éclair, en plus de superviser toute l'animation et les story-boards.

 

Toy Story : photoPas dégueu comme premier scénario de long-métrage

 

C'est également à cette période que lui et les autres ont mis sur pieds le Braintrust, une réunion des créateurs majeurs du studio qui se tenait environ tous les deux mois pour suivre minutieusement l'évolution des projets en cours. Selon Ed Catmull, un des cofondateurs de Pixar, le but était alors de "pousser vers l'excellence et d'éradiquer la médiocrité". 

Ce leitmotiv et cette exigence ont évidemment participé à l'image d'orfèvre du studio, mais aussi forgé l'esprit artistique et créatif de Pete Docter à qui il est difficile de ne donner qu'une seule casquette. Après le succès phénoménal du premier Toy Story, célébré pour être le premier long-métrage d'animation entièrement en 3D et celui du court-métrage, Le joueur d'échecs, qu'il a animé, il a ainsi travaillé sur les story-boards de 1001 pattes avant de plancher sur le scénario d'un autre succès décisif pour la compagnie : Toy Story 2.

 

Toy Story 2 : photoCarrière en plein décollage

 

PREMIERS PAS SOUS LES PROJECTEURS

En plus d'être entièrement dévoué à son studio, Pete Docter a participé à son rayonnement et à sa réputation (Cars 2 n'étant qu'une hallucination collective). Mais il a tout de même fallu attendre le génial Monstres & Cie en 2001, soit près d'une décennie après son arrivée au studio, pour que Pete Docter repasse à la réalisation (crédité avec David Silverman et Lee Unkrich) après que John Lasseter lui a appris toutes les ficelles du métier. 

Monstres & Cie, le premier des quatre films du catalogue à ne pas être co-réalisé par Lasseter, était alors le plus gros succès commercial de Pixar avec un beau pactole de 579 millions de dollars au box-office mondial (pour 115 millions de budget hors inflation). La consécration a suivi aux Oscars avec une première nomination dans la catégorie du meilleur film d'animation - ce qui deviendra vite une habitude - et une première statuette pour la chanson originale de Randy Newman (en plus de l'Oscar Spécial qu'avait reçu John Lasseter pour la prouesse technique de Toy Story).

 

Pixar : photoSans oublier son court-métrage dérivé, La Voiture de Bob, nommé aux Oscars l'année suivante

 

Avant Monstres & Cie, Pete Docter n'avait rien réalisé depuis ses trois courts-métrages d'étude, WinterPalm Spring et Next Door pour lequel il avait d'ailleurs été récompensé par son école. S'ils sont très éloignés dans la forme, ces premiers travaux en 2D dessinés à la main préfiguraient déjà les thématiques récurrentes de son cinéma, ses principales sources d'inspiration et sa créativité peu commune.

Dans Winter, il a par exemple détourné une anecdote sur sa petite soeur que ses parents emmitouflaient tellement en hiver que la pauvre pouvait à peine jouer dans la neige. Dans Next Dooril a créé un monde plus conceptuel afin d'illustrer les caractères et sonder l'imagination, tout en jouant sur les formes et leur signification. Tous ces éléments et cet ancrage au réel se sont ensuite retrouvés dans ce premier long-métrage, qu'il a imaginé après son bouleversement suite à la naissance de son premier enfant. Il y a donc une part intime de Pete Docter dans le personnage de Sulli qui remet son monde et ses certitudes en question par amour pour Bouh.

 

Monstres & Cie : Photo Sully et BooÇa donne encore plus envie de chialer tout ça

 

La même démarche a été adoptée pour son chef-d'oeuvre de 2009, Là-Haut, le vieux Carl étant directement inspiré de son caractère réservé, de son malaise social et son besoin de respirer loin de la foule. Résultat : un nouvel Oscar du meilleur film d'animation et une des oeuvres les plus ambitieuses et émotionnelles du studio. Rebelote en 2015 avec son autre triomphe, Vice Versa, qui vulgarise la psychologie et découle quant à lui des humeurs changeantes de sa fille alors âgé de 11 ans. 

Enfin, Soul, son dernier long-métrage événement de 2020, est un hommage touchant à sa famille de musiciens, en plus d'un nouveau pas en avant en termes d'inclusivité et de représentativité, deux causes pour lesquelles il n'a cessé de s'interroger et de se remettre en question. En plus d'aborder son art d'une manière très personnelle en se nourrissant de sa vie, de son ressenti ou de son entourage, Pete Docter a réussi l'exploit de voir tous les longs-métrages qu'il a co-réalisés être récompensés aux Oscars et presque tous ceux sur lesquels il a travaillé, comme l'incroyable Wall-E dont il a écrit le scénario, être salués et sélectionnés en compétition. Même si Soul a un peu déçu la rédaction, on ne peut qu'applaudir son parcours quasi sans faute. 

 

Là-haut : photoUn des plus beaux et grands Pixar, tout simplement

 

RETOUR À L'OMBRE ?

Pete Docter a découvert la passion du mouvement et de l'animation lorsqu'il avait huit ans, quand il a commencé un flipbook dans son livre de maths. Difficile alors d'imaginer que le petit garçon maladroit et introverti qui avait du mal à se faire des amis deviendrait l'héritier légitime d'un tel empire, John Lasseter l'ayant en quelque sorte formé à être son successeur peu de temps après son recrutement. Au moment du rachat de Pixar en 2006, Docter est donc logiquement devenu le vice-président créatif de Pixar aux côtés d'Andrew Stanton.

Il s'est alors impliqué dans la production exécutive de Rebelle et Monstres Academy (les rares "tacherons" sur lesquels il s'est impliqué), avant d'être naturellement promu directeur de la création en 2018 par Bob Iger après l'éviction de John Lasseter, le départ en retraite d'Ed Catmull et la restructuration du studio. C'est ce nouveau rôle qui l'accapare depuis plus d'un an déjà et continuera de l'accaparer durant les prochaines années. 

 

 

 

En janvier 2021, Pete Docter a déclaré à The Hollywood Reporter qu'il souhaitait se mettre en retrait de la réalisation pour se concentrer sur la production et ses nouvelles fonctions au sein de cette entreprise dont il doit préserver le génie après avoir participé à son envol. Sa prochaine mission sera donc de redynamiser Pixar après son essoufflement et ses bouleversements internes. Le studio a dû accuser le coup dès le début de la pandémie avec En Avant qui, au-delà de sa carrière fauchée par la crise sanitaire, a été en deçà des attentes critiques. Trois autres projets ont également été validés avant sa prise de fonction : Luca et Alerte rouge qui ont connu une sortie plus confidentielle sur Disney+, ainsi que Buzz l'Éclair.

Le nouveau spin-off de Toy Story est sorti au cinéma en juin dernier et est devenu le plus gros échec (mérité) de Pixar. Le film a été pensé comme un des premiers blockbusters estivaux à même de rameuter les familles en salles. Mais Buzz l'Éclair n'a pas été l'événement escompté et n'a donc pas su renouer avec la tradition des rendez-vous en salles.

 

Buzz l'éclair : photoPasser de Toy Story à Buzz l'Éclair...

 

S'il a déjà fait ses preuves comme artiste et conteur, son premier vrai défi de directeur de la création concernera le prochain Elemental réalisé par Peter Sohn, qui pourrait enfin signer le retour en force de Pixar au cinéma ou confirmer la mort du studio en salles. Il devra également trouver un équilibre avec la production de contenu Disney+ qui compte d'aussi bonnes choses que les Pixar Popcorn ou la collection des Sparkshorts, mais aussi de premiers exemples de pillages artistiques comme Bienvenue chez Doug ou la prochaine série Cars qui tirera un peu plus sur la corde après le médiocre Cars 3.

Le nom de Pete Docter va donc se retrouver sur la plupart des génériques en attendant que cet artiste passionné, sensible et visionnaire repasse peut-être à la tête d'un film pour une ultime prise de risque : "Je ne sais pas si ça sera suffisant à long terme ou si je vais avoir envie de revenir à la réalisation. On verra"

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commentaires
Morcar
08/08/2022 à 10:34

Un parcours fascinant, en effet !
Mais il met aussi en avant le fait qu'au travers de toutes ces années, les plus grandes réussites artistiques de Pixar ont toujours été en partie menées par l'un des piliers de l'entreprise, qui aujourd'hui passent la main. Il faut espérer que comme Lasseter l'a formé, il a su avec ses collègues transmettre le talent de Pixar à la génération suivante.
Le prochain Pixar sera par exemple réalisé par Peter Sohn, qui auparavant avait mis en scène le court métrage "Passage nuageux" et le long "Le Voyage d'Arlo". Il n'a donc pas encore vraiment fait ses preuves.

Ozymandias
15/07/2022 à 05:23

Merci pour cet article très intéressant, comme toujours ;)