The Batman : pourquoi la musique de Michael Giacchino est une BO incontournable

Antoine Desrues | 26 février 2023 - MAJ : 27/02/2023 10:10
Antoine Desrues | 26 février 2023 - MAJ : 27/02/2023 10:10

Qui dit The Batman dit nouveau thème musical pour le Chevalier Noir de Robert Pattinson. Mais comment Michael Giacchino est-il parvenu à se dépasser ?

De tous les super-héros, Batman est celui qui a connu le plus de réinterprétations différentes au cinéma. Par extension, cela implique un petit paquet de thèmes musicaux, qui n'ont (presque) jamais déçu. De Danny Elfman à Hans Zimmer et James Newton Howard en passant par Elliot Goldenthal, le Chevalier Noir a toujours été accompagné par des compositeurs inspirés.

 

 

Mais dès janvier 2022, The Batman a fait sentir qu'on allait assister à quelque chose de spécial. Le nouveau thème principal de l'homme chauve-souris, cette fois incarné par Robert Pattinson, a été dévoilé sur les réseaux sociaux, avec pour ritournelle quatre notes inquiétantes, martelées à la manière d'une musique de film d'horreur. Le morceau, composé par Michael Giacchino, a connu un étonnant succès malgré son avance sur la sortie du long-métrage (à l'heure de l'écriture de cet article, la vidéo YouTube comptabilise 3,8 millions de vues, et 15 millions en février 2023, un fait rare pour la chaîne officielle WaterTower Music).

Depuis, l'album complet, et ses 1h55 d'écoute, ont bien confirmé que l'on fait face à l'une des plus belles et riches bandes-originales de récente mémoire. Qu'est-ce qui fait de la musique de The Batman la meilleure BO du Chevalier Noir ?

 

 

 

Qui a fait ça ?

Malgré des études dans le domaine de la production, Michael Giacchino a toujours eu envie de faire de la musique une priorité. Alors qu'il obtient un poste à Disney Interactive après ses études, il y voit l'opportunité de s'engager lui-même sur la bande-originale de jeux vidéo. Résultat, en travaillant sur le jeu officiel du Monde Perdu : Jurassic Park, la richesse de sa composition, clairement inspirée par le travail de John Williams, impressionne Steven Spielberg. Étant donné que le titre est prévu pour la première PlayStation, le réalisateur propose d'utiliser le potentiel du format CD (et son stockage de données plus important que sur cartouche) pour enregistrer la partition avec un véritable orchestre.

À partir de là, Giacchino fait son trou dans l'industrie, notamment via le succès de Medal of Honor. Sa rencontre avec J.J. Abrams lui permet de plancher sur les séries Alias et Lost, avant d'accompagner le réalisateur sur Mission : Impossible 3 et ses Star Trek. C'est d'ailleurs via Abrams qu'il rencontre Matt Reeves, pour lequel il compose toutes les bandes-originales depuis le thème final de Cloverfield.

 

Photo Zachary QuintoAttention, on entre dans une zone de thème épique mon capitaine !

 

De Pixar (Les Indestructibles, Là-Haut) à Marvel (Doctor Strange, Spider-Man : No Way Home) en passant par Jurassic World, Michael Giacchino est aujourd'hui un nom incontournable des plus grandes franchises du cinéma, qu'il (ré)investit avec un sens de la mélodie quelque peu disparu à l'aune des approches plus minimalistes et expérimentales d'Hans Zimmer et de ses héritiers.

D'ailleurs, la générosité du compositeur ne se limite pas à la force de ses morceaux, mais aussi aux titres qu'il leur donne. Une fois passés les noms de code temporaires à l'enregistrement, Giacchino s'amuse toujours à mettre le plus de jeux de mots improbables dans ses albums, et The Batman n'y coupe pas (Crossing the Feline, For All Your Pennyworth).

 

Michael Giacchino : photoLe maître, fier de son dernier calembour

 

Préparer le terrain

De manière générale, la production cinématographique tend à déconsidérer de plus en plus le travail autour de la musique. Les compositeurs sont régulièrement convoqués à la dernière minute, qui plus est lorsque le processus de montage et de mixage est déjà hautement avancé. Plutôt que de créer une relation, un va-et-vient avec le réalisateur dont il est censé sublimer le travail, le musicien est contraint de juste adapter sa créativité à un assemblage d'images auquel il n'apporte parfois pas grand-chose (surtout si le metteur en scène fait l'usage de pistes musicales temporaires, ou temp-tracks en anglais, pour rythmer son montage).

Fort heureusement, au fil des relations privilégiées qu'il tisse avec certains cinéastes, Michael Giacchino parvient quand il le peut à éviter ce système de production. Alors que les sœurs Wachowski lui ont demandé de composer une symphonie pour Jupiter : le destin de l'univers pendant la pré-production du film, Matt Reeves a également fait appel à ce collaborateur privilégié pour The Batman dès 2019, avant même que Robert Pattinson ne soit choisi pour le rôle.

 

The Batman : photoPom Pom Pom Pooooom

 

Des propos de Reeves et même de Pattinson, ce travail préliminaire a vraiment permis à l'équipe de trouver le ton du film sur le tournage. Avec ses inspirations tirées du film noir et du néo-thriller fincherien, The Batman puise dans une noirceur et dans un désespoir qui donnent corps à sa vision de Gotham City. La mise en scène du cinéaste, qui cherche le plus possible à adopter le point de vue de ses héros, ne peut alors qu'être sublimée par la manière dont Giacchino aborde leurs tourments intérieurs.

Ainsi, le nouveau thème de Batman peut être divisé en deux parties. D'une part, on a ces fameuses quatre notes, dont l'aspect martial n'est pas sans évoquer la Marche impériale de Star Wars. Que le leitmotiv soit réarrangé par les graves pénétrants d'un piano ou par des cuivres, il fait du super-héros un véritable boogeyman, créant la peur au point de s’incruster dans la tête des criminels.

 

 

 

Michael Giacchino traduit de la meilleure manière la quête de vengeance obsédante et obsessive du personnage, surtout lorsque la répétitivité de ses notes le dépeint comme une force inarrêtable (notamment dans An Im-purr-fect Murder, qui accompagne la scène où le justicier traverse un couloir dans l'obscurité, strié par les rares rais de lumière des fusils-mitrailleurs ennemis).

D'autre part, on a une proposition plus douce et mélancolique, dont le lyrisme est plus approprié à la dépression d'un Bruce Wayne qui se cherche. La harpe est notamment employée par petites touches, comme pour symboliser la profonde solitude de l'orphelin. La montée en puissance de l'orchestre amène cependant un espoir soudain, surtout vers la fin de la bande-originale (The Bat's True Calling, All's Well That Ends Farewell, deux bijoux absolus), quand Batman comprend sa véritable valeur de super-héros, censée rassembler un peuple apeuré et déchiré.

 

 

 

I'm in the Bat-Zone

Dans la même veine, Michael Giacchino a également travaillé en amont les thèmes de Catwoman (Zoë Kravitz) et du Riddler (Paul Dano). Pour la première, le compositeur a assumé l'inspiration de Chinatown (l'un des modèles de Matt Reeves pour le film) et son jazz hypnotique. Évitant toutefois le saxophone, le musicien fait avancer son piano à pas feutrés, avant d'y ajouter de sublimes violons lancinants, qui s'accordent parfaitement à la nature de femme fatale de Selina Kyle.

Pour ce qui est de l'antagoniste principal, on sent là aussi que les discussions préliminaires entre le compositeur et Matt Reeves ont porté leurs fruits. Si l'Ave Maria de Schubert sert de mélodie inquiétante, voire pavlovienne, pour définir le Riddler, Michael Giacchino en reprend les bases pour son thème, porté par des voix d'enfants.

 

 

 

Tout le passé lourd et fragile du personnage remonte à la surface en même temps que les mensonges de Gotham, tandis que le film conforte sa dimension de marche funèbre. La réorchestration de cette phase musicale par des cuivres violents (A Bat in the Rafters, Pt. 1) magnifie avec brio la menace que représente ce méchant en tant que fatalité qui s'abat sur la ville qui a fait de lui un monstre.

Pour le reste, Michael Giacchino prouve plus que jamais à quel point la richesse de son orchestration n'a rien à envier à ses modèles, de John Williams à Jerry Goldsmith. Tous ses thèmes se mêlent et s'adaptent avec une fluidité renversante, en particulier sur les morceaux d'action, où le compositeur déploie une énergie toujours en accord avec les rushs d'adrénaline de notre cher Bruce Wayne (Escaped Crusader, Highway to the Anger Zone).

 

 

 

S'il ne fallait en garder qu'une...

Avec ses montées et descentes de gamme, la douce tristesse qui émane de la bande-originale de The Batman pioche régulièrement dans la beauté ténébreuse du piano, y compris pour mettre en valeur le thème à quatre notes du Chevalier Noir. Mais pour sublimer cette démarche, Michael Giacchino s'est amusé à conclure l'album par une sonate magnifique (Sonata in Darkness), où un piano seul vient réinterpréter les principaux leitmotivs du long-métrage.

 

 

 

Si l'on en entend une partie durant le générique de fin, le morceau complet fait immédiatement dresser les poils sur l'épiderme, en plus de condenser toute la logique d'une démarche artistique brillante. Quoi de mieux qu'un tel coup de maître pour marteler la sortie de l'une des plus belles bandes-originales de ces dernières années ?

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commentaires
Eusebio
27/02/2023 à 16:08

@saeba_san
Marrant de critiquer les inspirations en citant John Williams comme contre-exemple... J'adore ce que fait ce mec, mais entre The Planets (Mars) de Holst pour le thème de Darth Vader, ou le générique de King's Row par Korngold, c'est assez hallucinant de similarité harmonique.
Après, en ce qui me concerne, ça ne me dérange pas : on s'inspire toujours de quelqu'un, d'une œuvre, d'un style... Et ça peut même être une vraie démarche artistique. J'aime beaucoup ce que fait Giacchino, qui ne cherche pas à réinventer la roue, mais qui réussit à imposer un vrai sens mélodique à une industrie hollywoodienne qui traite la musique pire encore que les effets visuels... Une IA pourrait donner le même résultat, et c'est d'une tristesse absolue.

fredisdead
27/02/2023 à 09:18

Saeba_san il faut se détendre, les mêmes Nirvana avaient pompé allègrement le Eighties de Killing Joke et personne n'a foutu le feu à la tignasse approximative de Kurt Cobain.

Le "recyclage", ou l'hommage, ou les similarités sont nombreuses en musique, et en tout cas la pseudo créativité n'est pas non plus une référence de qualité ou de créativité. (sinon tu peux mettre à la benne 1 instru de hiphop sur 2 ou 80% de la musique éléctro).

Saeba_san
16/10/2022 à 01:23

Euh.. on parle bien du compositeur qui a composé le thème de star trek 2009 ( https://www.youtube.com/watch?v=hFDj7rsN0KQ ) qui ressemble étrangement à celui qu'il a composé pour Doctor Strange I ( https://www.youtube.com/watch?v=O6Gkdme2bck ) ?
Du coup pour The Batman dans le thème du Batman il brode autours des 4 notes de Something de Nirvana et on cri au chef d’œuvre ? Alors honnêtement ça donne l'impression que l'auteur de l'article n'a pas de culture musicale ( dommage Something passe deux fois dans le film... ).
Je ne pense pas que l'on retrouve ce genre de chose chez John Williams ou Jerry Goldsmith de réutiliser un thème d'un film pour un autre.
A mes yeux ce compositeur jouit d'une réputation galvauder et tombe dans la facilité. De plus la BO de ce Batman ne m'a pas transporté plus que ça, la seule fois ou j'ai eu des frissons c'est sur la première fois où j'ai entendu Something de Nivrana parce que j'ai trouve que oui la noirceur de ce morceau correspond au Batman du coup c'est même pas un morceau composé par Michael Giacchino.
Je ne crois pas que le plagiat soit une inspiration assumée...

Bilbo
10/03/2022 à 21:37

Essayé de le commander direct en sortant de la salle de ciné mais rupture de stock sur les sites marchands...deg

Olvers974
10/03/2022 à 01:14

ça n'inspire tellement que très peu Batman malheureusement, en soit, la musique reste belle, mais pas pour ce film, bien trop inspiré De Elfman.
Christopher Drake a pour moi plus de talent. Ce n'est pas du tout la même musique, mais dans CE registre !
https://www.youtube.com/watch?v=QcWhM5snNGw
Alors certes tout est fait au niveau élec, pas d'orchestre on le sent ...
Mais je pense que si on lui donnait les moyens ...
Juste la musique pour TDKR ...
Nick Arundel aussi ils ont clairement compris l'esprit !
https://www.youtube.com/watch?v=TB-GkwdxkAg
Shirley Walker ...
Mais pour une fois, ça ne colle pas mais alors pas du tout ... j'ai ré écouter l'album en 24Bits avec une bonne installation, mais clairement pas, c'est la première BO qui ne me fait pas penser à Batman d'un film Batman ... c'est juste dingue

Kyle Reese
09/03/2022 à 23:17

@ Rakis

Rah les BO en k7, j’ai bien connu ça pour pouvoir à l’époque me replonger dans un film en fermant les yeux et patienter avant de le revoir en vhs 1 an ou plus après sa sortie.
L’un de mes tous premiers choc de BO fut l’écoute du vinyl d’Il était une fois dans l’Ouest de ma mère des années avant d’avoir vu le film à la tv des Années plus tard en fantasmant sur l’affiche de la pochette et les quelques images à l’intérieure. Et ensuite le double vinyl noir Star Wars juste après sa première diffusion à la tv. Maintenant j’ai arrêté l’écoute des BO depuis que je peux avoir le film en vidéo sauf exception La dernière que j’ai écouté plusieurs fois fut celle de
Tenet. En BO je peux encore écouter des musiques expérimentales, atmosphérique, électronique etc , comme les BO de Cliff Martinez ou celle de Thom York pour Suspiria, mais les symphoniques plus vraiment même si j’ai adoré celle de The Batman qui est juste magnifique.

Rakis
09/03/2022 à 19:52

Ohlala, encore les rageux qui se déchaînent... Je trouve cet article sur une BO (et les précédentes) fort intéressant, et ce n'est pas facile à aborder. Je suis un passionné de BO, et je dois dire hélas que cela fait longtemps que je ne suis pas sorti d'une salle en voulant absolument acheter la BO (ce que je faisais de façon frénétique il y a déjà 30 ans, en K7 d'abord, puis en CD). Pas vraiment sensible à la vision de Batman façon Zimmer. Il y a du poids, certes, de la menace, mais guère d'émotion (bon, Zimmer...). Elfman, c'était monstrueux. Là je suis curieux, car pas encore vu le film (et pas eu envie de me gâcher le plaisir en écoutant la BO sur le net) et assez fan de Giacchino (j'écoute fréquemment Star Trek et surtout Rogue One). En bref, merci EL ! Je fus un temps rageux, et vous avez raison, si on n'aime pas, on ne clique pas pour le plaisir de s'exciter et on consulte les articles qui plaisent, même si des fois, il faut bien l'avouer, on se fait avoir par un titre racoleur qui ne donne sur rien.

alulu
09/03/2022 à 18:37

Déjà à l'époque de la première BA, j'avais trouvé que ça sonnait un peu comme Star Wars par moment.

Un truc inintéressant pour compléter les "déjà-vus"

https://www.youtube.com/watch?v=wooO1A4z9CM

Morcar
09/03/2022 à 17:23

@Geoffrey, j'avais bien noté en effet qu'il y a surtout l'un d'entre vous qui ne parle que de The Batman à la machine à café depuis une semaine ^^

Pour ma part, j'adore les BO de films ! Pour vous dire, je n'écoute que ça dans ma voiture, au point que mes enfants bluffent les parents de copains à eux quand ils lancent un blind test de musiques de films et que mes enfants les battent ^^ Donc je n'ai rien contre d'autres articles du genre. J'aime assez l'idée de cet article parsemé de vidéo illustrant mélodiquement les écrits.

@Vincent, je clique en connaissance de cause, c'est sûr. Mais je me dis que mon simple clic permet peut-être au site de gagner un peu plus de la pub, donc c'est un mal pour un bien ;) Ca ne m'empêche pas de taquiner la rédac' pour autant.

Geoffrey Crété - Rédaction
09/03/2022 à 17:00

@Vincent (the goat)

Si on joue à ce jeu, à peu près tous nos articles sont facultatifs, et il y aura toujours quelqu'un pour le penser (ou penser le contraire, même sur cette news en question)
Mais tous ces articles participant, à différents degrés, à l'existence et la survie du site, l'idée de "facultatif" est très relative ;)

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