L'Année du dragon : misogyne, raciste, ultraviolent... le voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino

Simon Riaux | 6 mars 2022
Simon Riaux | 6 mars 2022

L'Année du dragon n'est pas le polar à la violence gratuite et au propos scandaleux dénoncés à sa sortie, mais un incroyable voyage au bout de l'enfer, auquel nous convient Michael Cimino et Mickey Rourke.

Adaptation d'un best-seller écrit par Robert Daley, supervisée d'une main de maître par Oliver Stone, produite par le légendaire Dino De Laurentiis, pour un budget solide, menée à bien par une équipe artistique de très haut vol, L'Année du Dragon possède plusieurs atouts dans sa manche. Son interprète principal est un jeune comédien qu'Hollywood remarque et propose ici une des performances incandescentes qui ont presque instantanément forgé sa légende. Son réalisateur enfin, n'est autre que Michael Cimino. On lui doit notamment Voyage au bout de l'enfer, classique instantané qui emporta trois oscars et transforma sur-le-champ son auteur en réalisateur de premier plan.

Et pourtant, le polar urbain qui nous intéresse n'est pas resté dans les mémoires comme le flamboyant morceau de pellicule qu'il est, bien au contraire. En 1985, quand il arrive sur les écrans, on trouve bien une poignée de critiques pour saluer l'ampleur et l'audace du film, ou encore son analyse des fractures américaines, mais la presse y voit avant tout un brûlot raciste, caricaturant la communauté sino-américaine, sans se priver de quelques saillies misogynes particulièrement corsées. Quarante ans plus tard, il semble évident que la réception du film était - encore - passée à côté du travail de Cimino, cinéaste maudit et sacrifié par l'industrie.

L'heure est venue de lui rendre son insigne.

 

L'Année du dragon : affiche

 

L'ENFER EST A LUI

S'il fut le petit malin qui orchestra un pré-buddy movie avec Jeff Bridges et Clint Eastwood à l'occasion du Canardeur, puis le génie cosmique qui devait encapsuler le traumatisme de la guerre du Viêtnam avec Voyage au bout de l'enfer, au début des années 80, l'aura de l'artiste s'est éteinte. Il a entre temps réalisé un film dont l'échec s'est transformé en légende urbaine puis en quasi-scandale, tandis que le petit génie révéré se métamorphosait en vilain petit canard pestiféré. Ce film, c'est La Porte du paradis, symbole indépassable de l'échec du Nouvel Hollywood, dans ce qu'il révéla de l'hubris de son metteur en scène, des tâtonnements industriels des studios, ou encore du désamour du public.

Fort de ses récents succès internationaux, il se lance alors dans un western désespéré, qui narrera l'entreprise de vol et de massacre systématique des migrants originaires d'Europe de l'Est par quelques grands propriétaires terriens, en Amérique du Nord. Le projet est pharaonique, et son chef d'orchestre ne freine devant aucune dépense. Il outrepasse largement son budget, est en retard, jusqu'à ce que l'inflation de la chose menace directement la survie économique de l'emblématique studio baptisé United Artists. Qu'à cela ne tienne, il se radine sur la Croisette avec un montage avoisinant les quatre heures, convaincu de tenir son grand oeuvre.

 

L'Année du dragon : photo, Mickey RourkeLe regard dans le vague d'un homme perdu

 

Manque de pot, non seulement les spectateurs internationaux passent largement à côté de cette création mégalomane, géniale et exigeante, mais les Américains, eux, sont vent debout. Dans une industrie beaucoup plus conservatrice qu'elle n'aime à se peinturlurer, les caprices de stars ont parfois mauvaise presse, et quand le résultat final est perçu comme foncièrement antiaméricain, on peut assister à un déferlement de haine. Le Nouvel Hollywood a engendré une génération d'auteurs perçus comme critiques, mais jamais aussi radicalement que Cimino, qui traque ici une sorte de péché originel américain, contrevenant ainsi frontalement aux mythologies telles que la Destinée Manifeste, et autres déterminismes symboliques.

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commentaires
Ciminolover
16/02/2024 à 15:50

Excellent film

The insider38
10/03/2022 à 15:35

Simplement un de mes polar 80 préféré.
Un sans faute pour mikey rourke.. tombé bien bas..

Hasgarn
09/03/2022 à 16:19

Il se dégage un truc de ce film, c'est une vision un peu halluciné d'un New York interlope, gluant, crasseux.

C'est marrant, j'aime bien ce film, mais pas plus que ça. Pourtant, impossible de ne pas le considérer comme un grand film, un chef d'œuvre et d'être hanté par ses images

Pat Rick
07/03/2022 à 21:35

Un des meilleurs polars du cinéma des années 80.

Hocine
07/03/2022 à 09:07

@Simon Riaux
Voyage au Bout de l’Enfer a remporté 5 Oscars

L’Année du Dragon est un des meilleurs polars des années 80.
Selon Tarantino, il figure même parmi les 5 meilleurs films policiers des années 80, avec Scarface de Brian De Palma, Le Sixième Sens de Michael Mann, Huit Millions Façons de Mourir de Hal Ashby et Police Fédéral Los Angeles de William Friedkin.
Mickey Rourke y tient le rôle de sa vie. Le film transcende le genre du film policier, pour être une grande fresque dramatique, comme le cinéma américain n’en fait plus, hélas.
Quant à Michael Cimino, il reste un des réalisateurs américains les plus importants de ses 50 dernières années.

Sanchez
06/03/2022 à 18:15

Le cinéma hollywoodien c’était mieux avant

bidule
06/03/2022 à 16:56

Mickey Rourke y était extraordinaire... mais aussi (en ce qui me concerne : surtout) John Lone, qui était sans doute encore moins connu à l'époque. On peut regarder le film pour leur seul affrontement. Les personnages qu'ils interprètent ont un début, un milieu et une fin. L'un et l'autre vont devoir se battre contre eux-mêmes, leur entourage, la société -- et aller au bout d'un destin dont ils connaissent l'un et l'autre l'issue.

J'ai toujours aimé voir dans le personnage de John Lone le véritable héros, sombre, torturé, tragique du film (un chef d'oeuvre, évidemment).

Kikou
06/03/2022 à 15:03

Un pur chef d’œuvre !

Hank Hulé
06/03/2022 à 13:33

Bon film. Avec mes morceaux de gras mais bon film, infaisable de nos jours.

Tauxi
06/03/2022 à 12:38

J'avais jamais fais gaffe que Mickey Rourke (jeune) avait des faux airs de Bruce Willis (jeune)...

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