Les plus jeunes ne le connaissent peut-être pas, mais Wishmaster fut une merveilleuse surprise sanguinolente des années 90. Et le demeure encore aujourd'hui.
Il est de bon ton de rappeler que les années 90 furent un désert en matière d'horreur et de fantastique. Certes, la période ne fut pas la plus riche en la matière, mais elle eut pour elle de rendre d'autant plus notables quelques bourrines sorties de route. On ne pense pas ici à Scream, plaisanterie méta qui fonctionna en déconstruisant le slasher, mais à une autre création, une revigorante série B, également produite par Wes Craven. Wishmaster, qui, avec ses airs de série B fleurant bon le latex, proposait un sens de la cruauté authentiquement réjouissant et quantité de trouvailles appréciables pour le viandard moyen.
Alors que, contre toute attente et en dépit d'un mode de production serré, pour ne pas dire contraint, le long-métrage demeure aujourd'hui singulièrement populaire, l'heure est venue de lui présenter nos souhaits, et de lui demander pourquoi son jeu de massacre a traversé les âges.
HELL RASOIR
Il est courant, quand on évoque les glorieux Hellraiser et Cabal, réalisés par l'écrivain Clive Barker, qu'une bonne âme débarque pour mentionner Wishmaster, bien souvent présenté comme l'un de ses plus attachants travaux. Il n'en est rien, et le natif de Liverpool n'a pour ainsi dire pas grand-chose à voir avec la choucroute. Pourquoi donc l'aura de son oeuvre plane-t-elle de manière si évidente au-dessus de la fable viandarde réalisée par Robert Kurtzman ? Tout d'abord, parce que le Djinn exauceur de voeux (le Wishmaster donc) qui tire ici les ficelles semble directement échappé des sensuels cauchemars du romancier.
Pensons d'abord à son design. Notre vilaine entité peut recouvrer une apparence humaine, celle du redoutable Andrew Divoff, tout de cabotinage maîtrisé et de voix de stentor, qui se complaît à laisser poindre sous sa vilaine peau et ses prunelles brûlantes, une puissance redoutable. C'est cette dernière qui nous révèle sa véritable nature : un colosse à la peau olivâtre, dont les traits marqués évoquent presque des scarifications, dont les dents paraissent taillées en pointe, et dont les tresses évoquent tantôt les lanières d'un martinet, tantôt des serpents de plomb fondu. Une allure qui ne jure en rien avec le formidable bestiaire de Cabal, où les corps affichent un glorieux mélange de puissance et de difformité, partageant une charte graphique, une tessiture semblable.
Un sourire plein de dents
Une connexion qui se fait jusque dans le rapport dual à la monstruosité. Car si le Djinn évoque les habitants de Midian dans sa forme surnaturelle, on peut aussi le percevoir comme un inquiétant dérivé du non moins inquiétant psychiatre qui officiait en surface, incarné avec délectation par David Cronenberg. Lui aussi détourne les âmes, contourne leurs contreforts et leurs garde-fous, pour mieux les faire tomber dans son escarcelle. De même, on aura tôt fait de l'associer au diabolique Leland Gaunt, le tenancier d'un certain Bazaar de l’Epouvante, mais son inspiration semble toute autre, plus barkerienne et littéraire.
En effet, c'est peut-être du côté d'un des personnages du formidable texte Le Royaume des Devins qu'on trouve un antagoniste à sa mesure, à moins qu'il n'en soit directement l'inspiration. Il s'agit de Shadwell, initialement un factotum de la grande méchante, qui a en sa possession un manteau qui lui permet de faire miroiter sous les yeux de ses interlocuteurs des objets convoités, pour mieux les amener à collaborer avec lui, quitte à vendre leur âme. C'est ce qui lui vaudra son surnom, "le vendeur", et lui permettra de se hisser au rang d'ennemi premier. C'est une figure de tentateur récurrente dans les travaux de Barker, mais qui trouve ici son acmé.
Impossible de ne pas voir, jusque dans les répliques du Djinn, la présence de ce personnage, ou dans ses discours grandiloquents une résurgence du Pinhead d'Hellraiser. Tout comme on retrouve dans la mise en scène de ses sévices, dans leur violence organique, tout l'héritage d'un certain artisanat du genre.
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LE SANG DES ARTISANS
On évoquait plus haut la parentalité entre le grand Prêtre des Enfers imaginé par Barker et Wishmaster. Elle apparaît d'autant plus évidente quand on se penche sur le berceau du film pour en distinguer les bonnes fées gorasses. En effet, on retrouve au scénario Peter Atkins et Robert Kutzman à la mise en scène. Le premier a travaillé avec le romancier dès Hellraiser 2 : Les Écorchés, et se passionnera pour la saga, même quand elle dévissera tragiquement (on le retrouvera crédité, des années durant, à divers courts-métrages connectés à l'univers, y compris après avoir cessé de collaborer aux navrants longs-métrages dérivés). C'est donc tout naturellement qu'il injecte dans cette nouvelle licence les leçons retenues du maître.
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Kurtzman, si son nom n'est pas le plus connu des Hollywoodiens, n'en est pas moins un orfèvre dans son domaine, à savoir les effets spéciaux et maquillages. Il a maintes fois travaillé au façonnage de bébêtes atroces et autres créatures baveuses, si bien qu'on le retrouve dans les équipes de productions aussi sanguinolentes que Maniac cop 3, Phantasm II, Hidden, Re-Animator II, la fiancée de Re-Animator ou encore Misery. Bref, la souffrance en latex et la tripaille qui s'enjaille, il connaît.
D'ailleurs, on reconnaîtra à plusieurs reprises l'expérience engrangée sur le grandiose L'Antre de la folie, comme lors d'une poursuite hallucinée, après que l'incandescente Tammy Lauren ait demandé au Wishmaster de lui dévoiler sa nature. S'ensuit une célébration de prothèses en tout genre, d'intestins luisants de latex, de corps suppliciés, puis une poursuite dont les techniques, mais aussi le découpage renvoient simultanément à l'arrivée de Pinhead dans un certain hôpital, mais surtout, évidemment, à la course-poursuite démente du chef-d'oeuvre de Carpenter, au cours de laquelle Sam Neill est coursé par une tripotée d'abominations lovecraftiennes.
Ce sont ses legs, ces trouvailles et ces réinventions qui donnent à chaque instant le sentiment de retrouver une bande de vieux copains, capables de ressusciter, ou plutôt de synthétiser, les plaisirs mortels d'au moins deux générations.
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MAXI BEST OF ALL INCLUSIVE
La tentation est grande de voir dans le film une queue de comète dégénérée, une sorte de dernier de la classe, un petit canard pas assez vilain pour être oublié. Mais à la réflexion et considérant le pedigree de ses créateurs, peut-être vaudrait-il mieux le regarder comme un John Wick horrifique. C'est-à-dire un long-métrage d'action, fabriqué par des cascadeurs, sur le papier les plus à même de mettre leurs talents en lumière. En effet, le scénario peut difficilement être perçu autrement que comme un prétexte pour dérouler des saillies brutales et de trouvailles aux airs de tortures cauchemardesques : la rencontre d'un pacte faustien avec une turbine à gigot.
C'est précisément le soin avec lequel Atkins comme Kurtzman enrobent cette équation avec une dose d'amour et une connaissance profonde de la meilleure manière de maximiser chacun de leurs effets. Y compris quand le métrage cède aux effets numériques, alors bien loin d'être arrivés à maturité : ils parviennent à limiter les dégâts.
En témoigne cette séquence où le Djinn s'exécute - littéralement - et se fait sauter le caisson pour les beaux yeux de Tammy. Malgré un morphing qu'on pourra qualifier avec indulgence de gerbotronique, l'utilisation d'une bonne gerbasse de sang à l'ancienne, le recours aux fantastiques maquillages du film, couplés à un certain soin en matière de cadre et d'éclairage, permet à la scène de conserver encore aujourd'hui un bel impact, sans s'enferrer dans la vallée de la mort des effets datés.
Prononcer ses voeux, c'est tout un art
Le film s'en donne perpétuellement à coeur joie, multipliant les morceaux de bravoure putrescents, à l'image de la tumeur tentaculeuse que vomit le malheureux Robert Englund, ou du carnage perse commis par notre monstre un peu trop joueur, qui transforme une assemblée d'innocent en un festival d'excroissances, de protubérances et de mâchoires s'entremassacrant. Le type de délices goriffique qui permit à l'ensemble, une nouvelle fois grâce à un savant mélange de techniques, de nous asperger noblement la rétine.
Rétine qui où qu'elle se pose à l'image, retrouve de vieux compagnons d'armes venus se faire découper dans la joie et la bonne humeur. En effet, un des plus émouvants plaisirs de ce jeu de massacre est la générosité avec laquelle toutes les merveilleuses badernes de l'horreur sont venues s'écarteler entre deux rictus.
On le disait, l'interprète légendaire de Freddy est de la partie, mais il est loin d'être seul. Le Tall Man de la saga Phantasm assure la narration de l'ensemble, Tony Candyman Todd ramène sa fraise, au même titre que Ted Raimi, frère de et punching-ball de tous ses films, quand il n'y officie pas comme monstre en chef, mais également Joseph Pilato le soldat fou et démembré du Jour des Morts-Vivants, ou encore le soudard de la série B salissante Dan Hicks.
Et c'est bien ce qui fait la valeur de cette production à la fois modeste et luxueuse, confortable, accueillante, et plaisamment hostile. Tel Keanu Reeves distribuant des tatanes à tous les combattants du cinéma de la bagarre de ces trente dernières années, le Djinn a réuni les Usual Suspects de l'horreur afin de leur faire déborder les entrailles, révulser les globes oculaires, pour que tous, nous profitions des joies de leurs intérieurs. Et pour les amoureux de VHS déglacées au sang, ça n'a pas de prix.
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Le succès du film est surtout dû à la performance du second couteau Andrew Divoff parfait dans le costume du djinn les deux premiers opus sont très sympathiques le troisième est moins réussi
J’avais vu le 1 et le 2, mes souvenirs de ce film sont vraiment très lointain.
Je me souviens que c’était cette bonne « trogne » d’Andrew Divoff qui tenait le rôle principal, mais pour le reste…
C’est drôle, je l’ai revu il y a 2 semaines, l’univers est vraiment cool… Mais alors, c’est un kitch qui a méchamment (mal) vieilli pour ma part. Un peu la version Teen de Candyman (c’était la mode du moment, avec les biens mauvais « cut », broceliande… Face à des choses plus intéressantes comme Jeepers Creepers 1 & 2qui eux, n’ont pas vieilli d’un yota^^)
Mais bon, c’est totalement subjectif.