The French Dispatch, Moonrise Kingdom... les gens qui n'aiment pas Wes Anderson sont-ils morts à l'intérieur ?

Déborah Lechner | 30 octobre 2021
Déborah Lechner | 30 octobre 2021

Avec la sortie de son nouveau film, The French Dispatch, on revient sur ce qui fait le génie et le talent de Wes Anderson.

Après avoir marqué une seconde fois le cinéma d'animation avec le ravissant L'île aux chiens en 2018, Wes Anderson a fait son retour sur le grand écran avec The French Dispatch, sorti dans les salles françaises le 27 octobre dernier.

Ce nouveau film en live action est un événement pour son public et ses fans, puisqu'il débarque plus de sept ans après l'incroyable The Grand Budapest Hotel, souvent considéré comme son véritable chef-d'oeuvre (et qu'on a d'ailleurs classé dans nos meilleurs films de la décennie). On se sert donc de l'arrivée de The French Dispatch comme excuse pour revenir sur l'art tiré à quatre épingles de ce réalisateur, scénariste et producteur tape-à-l'oeil. 

  

photoL'ordre du jour

 

PROLOGUE

Avec maintenant dix longs-métrages, quatre courts-métrages et cinq publicités à son actif, Wes Anderson est un cinéaste bien identifié, avec un style unique et surprenant, qui ne fait pourtant pas l'unanimité. Génie pour les uns ou réalisateur surcoté et superficiel pour d'autres, il n'est pas rare qu'il soit réduit à un faiseur de belles images, tandis que certains le blâment d'être devenu sa propre caricature, à l'image de Burton avec son univers gothique indigeste. Et ce n'est pas avec le décevant, mais très beau The French Dispatch, que les réconciliations se feront.

Mais plutôt que de se pencher sur les limites de son art, on se demande surtout comment on peut véritablement détester Wes Anderson et l'ensemble de sa filmographie... à moins d'être mort de l'intérieur ?

 

Photo Elisabeth Moss, Owen Wilson, Tilda Swinton, Fisher Stevens, Griffin DunneUn peu comme ces gens, quoi

 

CHAPITRE I. WES ANDERSON EST UN ARTISAN

Avant de prendre en main sa super 8 pour tourner quelques courts-métrages, s'initier au 7e art et devenir un des cinéastes indépendants les plus connus et doués de sa génération, Wes Anderson n'avait jamais fait d'études de cinéma. Le Texan de 52 ans est un pur autodidacte, qui n'obéit à aucune logique commerciale, ne ploie devant aucun producteur et ne répond qu'à ses propres exigences. Exit donc les habituels différends créatifs stériles et autres compromis artistiques frustrants, Wes Anderson garde une mainmise sur ses oeuvres et cette liberté rare est le premier point qui fait toute la singularité, la générosité et la force de sa filmographie. 

Cette autonomie lui a permis d'exacerber la plastique de ses films, reconnaissable entre mille et en un seul plan. Dès le début des années 2000, le dandy a exalté son goût pour la sophistication avec des compositions travaillées et de haute précision, pour lesquelles aucun détail n'est laissé au hasard (jusque dans la police d'écriture Futura, qu'il a utilisée dans de nombreux métrages avant d'engager des graphistes pour en créer de nouvelles).

 

photoEt attendez de voir l'intérieur !

 

Au-delà de sa mise en scène caractéristique (plans fixes, mouvements latéraux et verticaux, zooms avants et arrières), son style visuel élégant et méticuleux repose en grande partie sur la surabondance et la démesure de ses décors, très souvent cloisonnés et miniaturisés comme des maisons de poupée, le réalisateur étant adepte des maquettes et autres modèles réduits. Mais aussi son obsession pour la symétrie et les cadrages centrés au demi-millimètre près, qui nécessitent un important travail préliminaire sur les story-boards et ne manquent jamais d'en mettre plein les yeux.

Une marque de fabrique qu'il explicite d'ailleurs sous forme d'autodérision dès les premières minutes de son tout premier long-métrage, Bottle Rocket de 1996, dans lequel un des deux personnages principaux réaligne un petit soldat de plomb avec les autres, alors qu'il est en plein cambriolage. 

 

photoHarmonie visuelle

 

Cette même rigueur maniaque s'immisce jusque sur les affiches de ses films, notamment celle de son dernier long-métrage, The French Dispatch, qui regorge de détails et s'admire comme une oeuvre à part entière, son dixième long-métrage étant de loin le plus visuellement fou et inventif de sa carrière. On y retrouve d'ailleurs cette manie très théâtrale de compartimenter les lieux et l'action, comme avec la maison de La famille Tenenbaum, le train Darjeeling Limited, ou le navire Belafonte de La vie aquatique que la caméra traverse de part et d'autre.

Enfin, l’esthétique chic et pittoresque recherchée par Wes Anderson a donné vie à toute une imagerie vintage sublime. Beaucoup de ses productions se déroulent à des périodes historiquement datées ou visuellement rétro : The Grand Budapest Hotel, Moonrise Kingdom, La vie aquatique, son court-métrage Castello Cavalcanti ou The French Dispatch. On ne peut pas non plus passer à côté de son attrait pour les couleurs outrancières, acidulées ou pastel, en particulier le jaune et le rouge qui reviennent systématiquement et forment un des motifs phares de son cinéma.

 

photo, Natalie PortmanJaunisse bénigne

 

CHAPITRE II. WES ANDERSON est un CONTEUR

Wes Anderson est un passionné de littérature qui est, de fait, omniprésente dans son cinéma et a plus ou moins d'importance dans ses intrigues. Dans Moonrise Kingdom (en hommage à Mark Twain), Suzy a souvent un livre en mains et s'échappe à travers la lecture ; dans À bord du Darjeeling Limited, Jack est un nouvelliste qui présente son recueil à ses frères ; dans La Famille Tenenbaum, la petite Margot est une dramaturge à succès, tandis que sa mère a écrit une biographie de la famille ; dans The Grand Budapest Hotel, inspiré par Stefan Zweig, le récit sert carrément d'illustration au livre que lit une jeune fille étrangère à l'histoire principale.

  

photoUn cinéma littéraire 

 

De plus, son cinéma est imprégné d'une sorte d'insouciance et de douceur enfantine, et ce n'est pas seulement en raison de ses couleurs vives. La plupart de ses films s'apparentent plus à des fables ou des contes aux touches fantastiques et irréelles, plutôt légères dans la forme, mais souvent mélancoliques et nostalgiques dans le fond. 

Rien d'étonnant donc à ce qu'il ait réalisé Fantastic Mr. Fox en 2009, son premier film animé en stop-motion et son seul scénario adapté, tiré de l'oeuvre éponyme du romancier Roald Dahl, qu'on retrouve principalement dans les rayons jeunesse des librairies (Charlie et la Chocolaterie, James et la Grosse Pêche, Le Bon Gros GéantMatilda).

 

photoRéalisateur touche-à-tout

 

En véritable auteur (qui écrit ou co-écrit d'ailleurs tous ses scénarios sans exception) ses histoires prennent souvent place dans des lieux réinventés et sortis de son imaginaire, pour souligner l'anti-réalisme du monde qu'il a fabriqué à travers ses différents films : la ville d'Ennui-sur-Blasé en France, la République de Zubrowka en Europe de l'Est, la ville rétro-futuriste de Megasaki au Japon, l'île de New-Penzance en Nouvelle-Angleterre ou encore la ville de Loquasto, connue pour son festival du film. Mais en plus d'avoir de l'imagination et d'écrire de belles histoires, il les raconte avec un véritable talent de conteur.

Wes Anderson réfléchit autant sa narration que sa mise en scène. Toujours en rapport avec la littérature, le cinéaste lui emprunte plusieurs procédés, en particulier le découpage de son scénario, qu'il chapitre explicitement à l'écran. Comme dans L'île aux chiens, ou La Famille Tenenbaum - dont le chapitrage reprend même l'aspect des histoires illustrées pour enfants - le récit annonce son prologue, ses différents chapitres, et même son épilogue. Dans The French Dispatch, il va encore plus loin en présentant le film comme un journal dont on feuillèterait les différentes rubriques. Tout est donc toujours bien organisé et étiqueté, le schéma narratif ne faisant pas exception. 

 

photoPlus qu'un simple objet, toute une histoire

 

Pour parfaire cet effet fabuliste et appuyer le côté méta de ses films, Wes Anderson a plusieurs fois fait appel à des narrateurs pour introduire ses aventures : le narrateur omniscient en voix-off qui s'immisce chez les Tenenbaum ; l'Auteur incarné par Tom Wilkinson dans The Grand Budapest Hotel, qui brise le quatrième mur et semble réciter la préface de son livre aux spectateurs ; sans oublier le narrateur externe à l'histoire et physiquement interprété par Bob Balaban dans Moonrise Kingdom, qui s'adresse lui aussi directement au public. 

Les films de Wes Anderson mettent également la musique, souvent guillerette et expressive, en exergue pour accompagner la narration et guider notre compréhension, jusqu'à parvenir à réaliser de courtes séquences sans dialogue, qui reprennent les codes et la dynamique du cinéma muet

 

photoJuger un livre sur sa couverture

 

CHAPItRE III. WES ANDERSON est un marginal

Comme avec ses décors, Wes Anderson aime écrire des personnages hauts en couleur, qui à l'inverse de son univers parfaitement figé et ordonné, s'avèrent tous complètement désaxés et marginaux. Avec leurs répliques acides, le ton légèrement apathique et les situations cocasses dans lesquelles ils les fourrent, le réalisateur est passé maître dans la comédie pince-sans-rire. À l'instar de ses cadrages et surcadrages, le jeu tout en retenue des acteurs est lui aussi savamment dosé et cadencé pour arriver au ton décalé et à l'humour burlesque recherchés.

On remarque également que Wes Anderson aime brouiller les frontières entre les âges. La représentation de l'enfant surdoué et trop mature qui cherche sa place (Suzy et Sam de Moonrise Kingdom, les petits Tenenbaum, Max Fischer de Rushmore, Atari Kobayashi de L'île aux chiens, Zeffirelli et Juliette dans The French Dispatch) est aussi récurrente que celle de l'adulte blasé, égocentrique ou immature (Eleanor et Steve Zissou de La vie aquatique, Royal Tenenbaum, les frères Whitman dans À Bord du Darjeeling Limited, Dignan et Anthony de Bottle Rocket ou encore Mr. Fox).

 

photoPas d'hyperactivité chez Anderson

 

Si bien qu'enfants, adolescents et adultes ne sont finalement pas si éloignés les uns des autres et se ressemblent même plus qu'ils ne se différencient. Beaucoup rêvent d'un idéal et vivent dans une bulle, devant lutter contre les obstacles qu'ils dressent devant eux, ce qui les rend touchants et attachants malgré leur air flegmatique et détaché. Wes Anderson reprend ainsi des thématiques universelles et intemporelles qui trouvent facilement une résonnance chez les spectateurs : la famille (généralement dysfonctionnelle, sans patriarche fiable), puis l'amitié et l'amour, qui se mêlent dans pratiquement tous ses métrages, le point d'orgue étant probablement La famille Tenenbaum.

 

photoTrois adultes en modèle réduit

 

Ces films nous offre ainsi : un triangle amoureux dans Rushmore, un premier béguin dans Moonrise Kingdom, une fratrie en deuil dans À bord du Darjeeling Limited, une romance cachée dans le court-métrage Hotel Chevalier, une fidélité entre un orphelin et son chien dans L'île aux chiens, une histoire d'amour et d'amitié hors du commun dans The Grand Budapest Hotel, ou encore un coup de foudre et une amitié conflictuelle dans Bottle Rocket

Cette idée qu'un autre modèle de famille peut se créer à partir de l'amitié ou de l'amour est par ailleurs un autre fondement du cinéma de Wes Anderson, qui s'est créé sa propre fratrie et troupe d'habitués : Bill Murray, dans tous ses films depuis Rushmore, les frères Wilson (qui ont joué dans ses premiers films, puis Owen Wilson seul dans les autres), Jason Schwartzman, Anjelica Hudson ou encore Tilda Swinton. Il est d'ailleurs capable de réunir tout Hollywood dans ses films, avec des castings plus déments les uns que les autres. Il suffit de voir les acteurs annoncés pour son prochain film : Scarlett Johansson, Margot Robbie, Tom Hanks, Matt Dillon et Bryan Cranston, pour ne citer que les nouvelles têtes. 

 

Photo Bill MurrayBill Murray, l'acteur incontournable d'Anderson

 

ÉPILOGUE

On retient ainsi chez Wes Anderson une fidélité dans son art, qui se trahit rarement, mais cherche constamment à se renouveler, pour éventuellement se dépasser. Wes Anderson, au-delà d'être un bon chef opérateur, est surtout un auteur, un artisan et un conteur accompli.

Ses films, touchants et pleins de bons sentiments sont quant à eux bien plus que de beaux livres photos, The French Dispatch ne pouvant à lui seul résumer ou ternir toute son oeuvre. Après sept nominations aux Oscars, on espère ainsi que le cinéaste aura enfin la reconnaissance qu'il mérite, que ce soit avec The French Dispatch ou son prochain film Asteroid City, qu'on a déjà hâte de découvrir. 

Tout savoir sur The French Dispatch

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commentaires
Hasgarn
31/10/2021 à 13:31

On peut tout à fait détester le style et les films de Wes Anderson tout en respectant son art et ses films.
Je n’aime pas du tout mais j’en apprécie toutes les qualités.

Juste, je reste systématiquement en dehors et c’est pas faute d’avoir essayé

captp
31/10/2021 à 09:02

Très bon article El n'est jamais aussi bon que quand il va dans la profondeur :)
Après Anderson je n'ai toujours pas décidé de sa réelle place dans mon coeur d'amoureux de cinéma.
J'ai adoré beaucoup de ses films principalement moonrise kindom et Budapest hôtel mais je sens la lassitude pointer au loin.
La comparaison avec burton n'est pas deconnante du tout.

Pinkman
31/10/2021 à 06:44

Alors sachez qu'on peut ne pas aimer une œuvre, sans pour autant la détester (pareil pour le réa).

Perso j'accroche pas dit tout a sont délire ni a c'est personnages (peux importe le beau casting).

Ensuite oui, il a clairement du talent.

Patman
30/10/2021 à 22:59

Rientintinchieur je côté : " les frères W ne se sont pas faits castrer" Mais qui vous a iech dans votre cerveau de troll version Wish ?

Patman
30/10/2021 à 22:56

Hé ho rintintin... Votre opinion vous regarde. Dites je trouve ça nul. Pas c'est nul. Première leçon de politesse.

Les frères W Quo en ont dans le pantalon mais quel plouc vous faites et ça c'est un fait pas mon humble avis. Ce sont désormais les sœurs W et j'en suis parfaitement ravi pour elles. Respectez leur identité et leur choix. Merci. Après je trouve qu'elles ont fait beaucoup de daubes ou surévaluées ou parfaitement périssables. Et ce n'est que mon humble avis.

Francis Bacon
30/10/2021 à 21:35

Je suis très fan moi,j'adore cet humour et la mise en scène. Mon préféré c'est le Darjeeling je pense, surtout avec le court qui lui sert de prologue. Gros fan de rock, on notera aussi la qualité de ses bande originales, souvent les Kinks, ou encore des reprises guitare-voix en portugais des chansons de Bowie dans La vie aquatique.

Pseudo intelligentsia ou pas, n'empêche que c'est assez rare de trouver des blagues sur les sciences cognitives dans des films grand public. Dans La famille Tenenbaum, Bill Murray est un chercheur qui étudie un jeune homme atteint d'une pathologie cognitive encore inconnue, et dans une conférence un journaliste lui demande "et est-ce que Dudley sait lire l'heure ?", Murray répond "oh grand Dieu non" en se prenant la tête (j'explose de rire à chaque fois). Dans La vie aquatique, Murray encore qui présente son équipage "et là ce sont nos dauphins soit disant très intelligents, même si rien ne me l'a jamais montré"
Bill Murray n'est jamais aussi drôle que chez Anderson, rien que sa dégaine, son gros bide à l'air autour de la piscine dans Rushmore, à fumer clope sur clope (il me semble d'ailleurs qu'il balance ses mégots dans la piscine), moi ça me tue.

QwanT
30/10/2021 à 19:57

@rientintinchti

Ahah les Washwoski, alors la tu m'a plier toi

Les Washwoski ces escrocs tout ce qu'ils ont fait c'est regarder ghost in the shell et ils ont copier ça avec 2 ou 3 ajouts, ne me fais pas rire avec ces 2 la

QwanT
30/10/2021 à 17:56

J'ai vu un seul film d Anderson...

Bah il ne m'a pas donné envie de voir d'autres

JeremYeah
30/10/2021 à 17:52

La question qui doit se poser c'est qu'est ce que Wes Anderson à de spéciale ? Je ne trouve rien d'extraordinaire à ses films

La réponse à votre question c'est qu'il est détesté car la presse en fait quelque chose que le grand public ne voit pas car ca n existe pas, la presse a toujours tendance à élever au rang de génie des réalisateurs qui ne font rien de spéciale arnovsky nolan kelly villeneuve et j'en passe

Elle est loin l epoque des vrais genies Tim Burton Jim Jarmusch Terry Gilliam et co

Euh
30/10/2021 à 17:45

Jamais rien ressenti devant ses films, je trouve d'ailleurs Bill Murray bien meilleur
et plus drôle dans ses autres films que lorsqu'il collabore avec Wes Anderson.

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