Porté par Brad Pitt et Tom Cruise, Entretien avec un vampire est une œuvre dont l'impact est bien plus important qu'il n'y paraît.
Pilier de la littérature fantastique, mais aussi du cinéma des premiers temps, la figure du vampire est sans nul doute l'une des plus fascinantes de ces derniers siècles. Et sur grand écran, du Nosferatu de F.W. Murnau aux multiples adaptations de Dracula, l'immortel buveur de sang a connu bien des évolutions. Par la douce souffrance de sa vie éternelle, par sa sensualité et son addiction au liquide qui coule dans les veines de chacun d'entre nous, le vampire est un monstre à la malédiction particulière, suscitant à la fois la peur et l'empathie, surtout lorsque ses caractéristiques sont plus ou moins explicitement liées à des faits de société contemporains.
À ce titre, il est évident que la romancière Anne Rice a joué un rôle déterminant dans la modernisation du monstre. Sa saga Chroniques des vampires n'a pas seulement été un immense succès de librairie, mais elle s'est réapproprié les codes initiés par Bram Stoker pour leur offrir une nouvelle symbolique.
Plaisirs de la chair prônant une sexualité plus libérée, rapport à des maladies comme le cancer et le sida... Le vampire est devenu à la fois une nouvelle icône sexualisée et un être dont la condition se voit mise en danger par un sang pouvant être empoisonné. En bref, on n'est pas simplement passé du Dracula charismatique de Christopher Lee au minois scintillant comme une boule à disco de Robert Pattinson. Entre les deux, il y a une pièce du puzzle essentielle, qui n'est autre qu'Entretien avec un Vampire, la première adaptation des romans d'Anne Rice, sortie en 1994.
Vampires en toute intimité
Pour sa première réalisation hollywoodienne, le cinéaste irlandais Neil Jordan (auquel on doit notamment La Compagnie des loups et The Crying Game) a ainsi la lourde tâche de mettre en œuvre ce nouveau regard, tout en conservant la force de frappe gothique du vampire, que le cinéma a grandement aidé à populariser. Il est d'ailleurs bon de rappeler qu'Entretien avec un vampire est sorti à peine deux ans après le Dracula de Francis Ford Coppola, tout entier dévoué à une iconographie gothique et expressionniste jusqu'au-boutiste, presque au seuil de la saturation.
Dès lors, le fait de voir le film de Neil Jordan débuter sur un plan d'ensemble sur le pont de San Francisco peut s'avérer étonnant. Mais les lumières de la ville, touches diffuses dans l'obscurité, couplées à la musique lyrique et funéraire d’Elliot Goldenthal, se raccordent soigneusement à l'esprit de son univers. Nous sommes ainsi au cœur des années 90, dans une chambre d'hôtel, où le vampire Louis de Pointe du lac (Brad Pitt) décide de raconter son histoire remontant à 1791 à un journaliste (Christian Slater). Ancien propriétaire colon de La Nouvelle-Orléans, le jeune homme s'est vu endeuillé par la mort en couche de sa femme. C'est là qu'il a rencontré Lestat de Lioncourt (Tom Cruise), un vampire qui lui a offert l'immortalité.
River Phoenix aurait dû avoir le rôle du journaliste, mais est décédé peu avant le tournage
Dès sa sortie, Entretien avec un vampire est remarqué pour sa symbolique ouvertement homoérotique. Louis et Lestat forment un couple sous-entendu, combattant l'ennui de la vie éternelle par le meurtre. C'est d'ailleurs là que la mise en scène de Neil Jordan fait des merveilles, tant elle s'attarde avec justesse sur des parties du corps grâce à de gros plans fantasmatiques, tels des blasons (ces poèmes qui font l'éloge d'un détail de l'anatomie, la plupart du temps féminine). Le réalisateur a même l'idée de parfois demander à ses comédiens de se suspendre la tête en bas avant certaines prises, afin que le sang monte vers la tête, et permettre aux maquilleurs d'accentuer les veines dont la pulsation obsède nos protagonistes.
Néanmoins, Louis est présenté comme un personnage qui déteste rapidement sa condition d'immortel. Alors qu'il essaie de se priver de la consommation de sang humain (tel un vampire vegan finalement...), Lestat l'amène vers un hédonisme qui le répugne. À l'inverse, la beauté du personnage est de conserver une certaine forme de romantisme, d'alimenter la douleur de sa situation et ses conséquences, comme le souvenir éternel de la perte de l'être aimé.
Pour cette raison, Lestat choisit d'amadouer son compagnon en transformant une enfant orpheline en vampire (Kirsten Dunst). Le duo devient alors un couple homoparental aussi passionnant qu'étrange, puisque la jeune Claudia, consciente qu'elle ne peut plus vieillir, se met à détester Lestat pour l'avoir maudite. Le film y trouve certains de ses plus beaux moments, comme cette dispute familiale où les deux hommes découvrent que Claudia a caché un cadavre sous ses poupées.
Kirsten Dunst, juste hallucinante
De cette façon, Entretien avec un vampire s'approprie avec malice la figure du vampire comme monstre du paraître, un parangon d'élégance qui captive ses victimes pour mieux révéler toute sa cruauté. Anne Rice a toujours déclaré qu'elle voyait dans ses personnages les outsiders ultimes, des êtres solitaires et rejetés auxquels n'importe quel humain peut se rattacher. Qu'on voie en Lestat un simple pragmatique apathique ou un pervers narcissique prêt à tout pour garder Louis à ses côtés, les protagonistes du long-métrage reflètent avec brio les plus bas instincts de la race humaine, ceux qui peuvent émerger à tous moments, quand bien même certains essaient de les retenir.
Ainsi, la mise en scène de Neil Jordan s'organise autour de cette émergence, tel un mille-feuille insidieux dont les couches se dévoilent petit à petit. Que ce soit dans son rapport à la sexualité (et à la violence) de ses héros ou sa gestion de la dimension horrifique du récit, on pourrait dire qu'Entretien avec un vampire est finalement un film du "strip-tease", qui se défait progressivement de ses apparats pour pleinement embrasser ses images traumatiques.
Après tout, Louis et Claudia passent la seconde moitié du film en Europe, à la recherche d'une communauté de vampires cachée en France dans les sous-sols d'un théâtre. L'ensemble plonge avec eux dans ces profondeurs, dans ce cauchemar où l'incroyable photographie de Philippe Rousselot (Les Liaisons dangereuses, La Reine Margot) ramène la vampire à ses origines cinématographiques expressionnistes, où l'architecture et la lumière fourmillent de contrastes et de lignes tordues.
Le meilleur exemple de cela est à chercher après la "première" mort de Lestat, que Claudia a empoisonné avant de jeter dans un marais. De retour après avoir subsisté en ingérant le sang des animaux autour de lui, le personnage est vu assis à un piano, tandis que de fins rideaux flottent au vent devant son visage. La caméra se rapproche doucement, jusqu'à ce que le tissu laisse pleinement voir le visage défiguré de Tom Cruise, affublé d'impressionnantes prothèses du génial Stan Winston. Les défenses de l'image s'écroulent petit à petit, et révèlent les dessous de ce fantastique terrifiant.
Tom Croque et Boit Pitt
A posteriori, Entretien avec un vampire se doit d'être respecté pour sa production exigeante, qui s'est payé certains des meilleurs artisans aux postes-clés de sa fabrication, et surtout un casting parfait pour donner corps à son univers. La prouesse est d'autant plus impressionnante qu'Anne Rice a elle-même écrit le scénario du film, imposant ainsi sa vision sur certains choix artistiques. Quand on sait à quel point l'intrusion d'un auteur peut fortement parasiter une adaptation (Cinquante nuances de Grey par exemple), on se dit que Neil Jordan a bien fait de tenir bon, surtout lors de ses modifications du scénario.
Tandis qu'Anne Rice a dévoilé avoir écrit Lestat en pensant à Rutger Hauer, la production s'est d'abord tournée vers Daniel Day-Lewis, qui a dû quitter le film quelques semaines avant le début des prises de vues. L'auteure s'est montrée très méfiante face au choix de Tom Cruise, au point de clairement l'énoncer. En voyant le film, elle a regretté ses propos, et a même écrit une lettre d'excuse à l'acteur de Top Gun.
Par ailleurs, le long-métrage a permis d'asseoir définitivement le talent de Brad Pitt, ainsi que celui d'Antonio Banderas, alors peu connu outre-Atlantique. Si sa performance dans la peau du vampire Armand lui a ouvert les portes de Desperado et du Masque de Zorro, elle confirme surtout que Neil Jordan a su insuffler à son film un certain glamour hollywoodien, agrémenté d'un sex-appeal peut-être plus prononcé qu'à l'accoutumée.
Merci film ! Sans toi, Le Masque de Zorro n'aurait peut-être jamais existé (et le monde serait bien plus triste)
Enfin, impossible de ne pas revenir sur la révélation du film, à savoir Kirsten Dunst (qu'on reverra plus tard dans Virgin Suicides et dans les Spider-Man de Sam Raimi), qui malgré son jeune âge, est parvenue à parfaitement incarner une adulte piégée dans un corps d'enfant. À vrai dire, ce choix de casting difficile aurait pu faire couler Entretien avec un vampire en cas d'échec, étant donné que le film et ses thématiques sont condensés dans ce personnage haut en couleur.
En réalité, Anne Rice s'est inspirée de sa propre fille, tragiquement décédée d'une leucémie à l'âge de six ans, pour penser Claudia. En immortalisant à tout jamais le visage de cette jeune enfant, l'auteure a à sa manière fait son deuil de cette perte terrible, sujet que Neil Jordan a su transcrire avec beaucoup de justesse dans son long-métrage. Ses vampires sont certes devenus des êtres plus libres, sensuels et modernes, mais ils restent plus que jamais hantés par la mort.
La suite est réservée à nos abonnés. Déjà abonné ? Se connecter
@Flash,
Oui, complètement… Surtout vu la blague de film sorti (j’en ai pleuré).
Un film assez bancal dans son rythme surtout quand Tom Cruise disparait à l’écran au milieu du film et qu’on passe à Paris. La photo de Rousselot la musique de Goldenthal et les décors de Dante Ferretti sont magnifique. A Brad Pitt, je préfère Stephen Rea qui lui vole la vedette à chaque scène et la toute jeune mais déjà épatante Kirsten Dunst. La séquence du théâtre des vampires est culte.
Bref un film Imparfait mais qui reste splendide esthétiquement avec les beautiful boys de l’époque.
« Entretien avec un vampire » sans doute le plus grand film de vampire que j’ai vu jusqu’à présent.
Cruise est monumental dans le rôle de Lestat. Dommage que le livre « Lestat le vampire » n’ai jamais eu l’adaptation qu’il mérite au cinéma.