Le mal-aimé : Les Enfants de la pluie, un film d'animation français oublié et poétique, clin d'oeil à Miyazaki

Camille Vignes | 6 avril 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Camille Vignes | 6 avril 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l'injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec un nouveau rendez-vous. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie.

 

Affiche officielle

 

"Les Enfants de la pluie a l'insigne mérite de ne prendre ni les enfants pour des moutons de Panurge ni les adultes pour des intrus" (TéléCinéObs)

"Les Enfants de la pluie parvient donc à convaincre, mais pas à déchaîner l'enthousiasme" (Mad Movies)

"D'une grande richesse dramatique, l'intrigue repose sur un schéma classique (...). Influencé ici et là par Miyazaki, le film invite à la préservation d'un certain ordre naturel" (Première)

"Le film est riche au niveau narratif, parfois splendide graphiquement(...) Mais il semble être passé à travers des filtres qui ont aseptisé ses atouts (...) trop compliqué et violent pour des enfants, mais pas assez énigmatique pour les adultes" (Télérama)

"Les conventions de l'heroic fantasy (...) restent à l'état de schéma directeur sans que jamais un graphisme très inégal (souvent mièvre) ni les dialogues ne puissent leur donner vie" (Le Monde)

 

 

LE RÉSUMÉ EXPRESS

Le Grand Dragon cosmique a créé l'univers et toutes les choses. Mais, un jour, le Séparateur devient son maître et pris le pouvoir. Depuis, le temps est divisé en deux saisons et les êtres vivants en deux peuples. 

Peau orangée, crête sur la tête et tempérament vengeur, les Pyross craignent la pluie, un acide meurtrier pour eux. Épiderme vert émeraude, corps fluide et esprit léger, les Hydross, eux, redoutent le soleil qui les pétrifie. Ces deux peuples se livrent une guerre sans merci depuis ce jour lointain du Big Bang qui a rompu l'unité originelle.

Jusqu'au jour où deux enfants, Skän et Kallisto, l'un de la pluie et l'autre du soleil, tombent amoureux, décident de mettre un terme à la folie du monde et de puiser dans leur amour impossible la force qui permettra aux deux peuples de vivre enfin en paix.

 

photoUn dragon en quête d'unité

 

LES COULISSES

Il aura fallu de longues années pour que l'adaptation du roman À l'image du dragon de Serge Brussolo voit le jour. D'abord conçu par René Laloux (Gandahar), le projet s'appelant À l'ombre du dragon avait finalement été abandonné. C'est comme ça que Leon Zuratas (le producteur disposant des droits d'adaptation) s'est tourné vers Philippe Leclerc (formé entre autre par Paul Grimault sur Le Roi et l'oiseau).

Après cinq ans de développement, dont deux alloués à la production, Les Enfants de la pluie est enfin réalisé. Clefs en mains en 1997, Philippe Leclerc s’était entouré de Philippe Caza, un illustrateur de SF renommé, character designer sur Gandahar, et du scénariste Laurent Turner. Tous les trois avaient entièrement refondu l’adaptation du roman, s'éloignant du travail de René Laloux.

Ce nouveau projet est donc complétement différent du premier et adapte avec pas mal de libertés le matériau d'origine et son univers noir pour arriver à l'histoire qu'on connaît.

Pour des questions de budget, le film a presque été entièrement réalisé en Corée du Sud (dans un studio crédité comme co-producteur). En France, le studio Praxinos a pris en charge le développement, la pré-production, les recherches sur les décors principaux et leur exécution ainsi que toute la post-production. Les studios coréens de leurs côtés se sont occupés de l’animation et de la fabrication des décors additionnels.

 

photoLa cité du l'eau

 

LE BOX-OFFICE

Triste échec. Le film a coûté environ 6,1 millions d'euros (hors marketing) et n'a pas enregistré plus de 1,3 millions d'entrées en France, seul pays où il a eu droit à une sortie en salles. 

Et pourtant, les critiques récoltés par le film ne vont pas dans ce sens. Si aucune n'est vraiment dithyrambique, aucune non plus n'est réellement partie en croisade contre lui. Finalement, Les Enfants de la pluie est un succès moyen qui tend vers le bon, mais rien d'assez extraordinaire pour qu'il rentre dans les annales.

 

LE MEILLEUR

De Disney à Michel Ocelot (Kirikou et la sorcièreAzur et Asmar), de Dreamworks à Pixar en passant par Hayao Miyazaki, les places sont chères dans le monde de l'animation. Mais malgré ses petits moyens, Les Enfants de la pluie recycle avec habileté les poncifs du fantastique et de l'héroïne fantasy en ne lésinant pas sur le lyrisme et le spectaculaire. En piochant dans différents registres (l’initiatique, la science-fiction, le conte naïf, l’épopée) le récit se construit une belle densité. 

Les Enfants de la pluie surprend à bien des égards, et d'abord parce que sous ses airs d'animé pour enfant, il est loin de la candeur des productions américaines. L’éternel combat entre le bien et le mal trouve sa solution dans une histoire d’amour impossible qui oblige à ouvrir les yeux, à être patient et tolérant. Et par certains aspects, Les Enfants de la pluie tire sur le film noir. Malgré son message d'espoir (et le happy ending dont on reparlera), il est lucide sur la nature humaine.

 

photo

 

La confrontation entre ces deux mondes qui ne se connaissent pas, celui de la pluie et celui du soleil, est la métaphore d’un racisme gangrené par les lieux communs et l’ignorance. La rencontre des deux enfants, débarrassés de la stupidité des préjugés, est un pas en avant qui donnera l’exemple à un peuple aveuglement manipulé par un despote.

Malgré son allure de légende romanesque, la violence de certaines scènes (mère avalée par un dragon, brûlures extrêmes...) et la complexité du scénario, de la mythologie et des jeux de pouvoirs - résonnant d'ailleurs étrangement avec l'histoire contemporaine -, donne au propos une dimension profondément mature. Rappelez-vous qu'on nous parle quand même de Solution finale ! 

D'autre part, les traitements visuels et sonores sont impressionnants et annihilent toute forme de niaiserie. Le schéma a priori binaire, peuple du soleil anguleux et sec d'un côté, peuple de la pluie aux corps arrondis, cède vite la place à un récit plein de nuances qui vaut vraiment le détour. 

 

photo

 

LE PIRE 

L'un des plus gros hic des Enfants de la pluie reste l'animation qui, par manque de moyens, est souvent hachée. Quand on sait que Kirikou et la sorcière est sori en 1998 (cinq ans avant) et qu'on voit ce que Michel Ocelot a été capable de faire au niveau de l'animation, on se dit que c'est vraiment dommage.

Si la richesse de ce conte maintes fois entendu ravit, certaines ficelles scénaristiques paraissent un peu épaisses. À commencer par l'opposition entre le Bien et le Mal qui est un peu trop manichéenne. Les enfants de la pluie sont dépeint comme de braves gens simplement gentils, artistes et trop niais pour faire autre chose que danser sous la pluie. Les enfants du soleil de leur côté règnent par la violence et sont clairement belliqueux.

L'une des faiblesses du film vient aussi de son happy end très Disney. Même si la fin est belle en soit, elle est trop mièvre et trop convenue pour ne pas amoindrir le propos. Un manque d'originalité qui empêche de pleinement "boire les rayons du soleil", mais surtout qui empêche le film de tendre vers les grandeurs de Miyazaki qui sont pourtant revendiquées.

En définitive, Les Enfants de la pluie est un appel à la tolérance et une ode à la différence, une belle idée dans un univers riche mais qui pèche par manque d'originalité.

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commentaires
Leeo
26/06/2020 à 22:52

Je suis d'accord avec vous, ce film ne propose pas une conception nuancée du bien et du mal mais cela reste quand même destiné à un public jeune, il me semble. Contrairement à certaines critiques (peut-être trop influencées par Disney), je pense qu'un enfant peut tout à fait apprécier ce film.

Misterfly
13/04/2019 à 08:04

Je le regarde régulièrement depuis que je l'ai acheté en DVD ! ce dessin aminé est une perle rare qu'il faut préserver , c'est une belle histoire sur la tolérance et la différence ..Que demander de plus !?

Camille Vignes
12/04/2019 à 10:49

@JIde31
Merci, c'est rectifié !

JIde31
12/04/2019 à 08:31

"Aude" c'est le département.
Je pense que vous vouliez écrire "ode".
Les fautes ça arrive à tout le monde... mais dans la presse, ça fait vraiment amateur.
Préservez votre image.
Bon courage.
;-)

Hasgarn
06/04/2019 à 21:39

Fan de Caza de longue date, c’est un de mes dessins animés préféré malgré ses défauts évidents.

Avec une bande original par le regretté Didier Lockwood, qui est une merveille à l’égal de Joe Hisaishi pour rester dans la veine Miyazaki.

Sinople
06/04/2019 à 14:03

Pas un mot par rapport au support d'origine (différences par rapport au roman...) en dehors de la mention du génial Serge Brussolo comme auteur du roman. Pas grave mais c'est dommage...