Mother ! : pourquoi c'est un grand film que le monde a eu tort de rejeter

Geoffrey Crété | 15 septembre 2020 - MAJ : 06/06/2022 11:34
Geoffrey Crété | 15 septembre 2020 - MAJ : 06/06/2022 11:34

Mother! de Darren Aronofsky avec Jennifer Lawrence mérite plus d'amour, malgré la haine et l'échec en salles.

Pensum boursouflé pétri de prétention pour certains, grande œuvre majestueuse pour d'autres, Mother ! de Darren Aronofsky n'a laissé personne insensible. Attendu comme un événement en 2017 après sa présentation à la Mostra de Venise, le film avec Jennifer Lawrence et Javier Bardem a viré au petit cauchemar en partageant profondément et violemment public comme critique.

Mais Ecran Large continuera à le défendre, contre vents et marées.

 

 

 

REQUIEM POUR UN CAUCHEMAR

En 2014, Noé sort en salles. C'est la première superproduction de Darren Aronofsky avec un budget de 125 millions, très loin des 25 de The Fountain, 13 de Black Swan, et des 6 de The Wrestler. Plus de 362 millions de dollars au box-office en font un succès, mais la réussite est contestée, par les admirateurs du cinéaste et la presse. À Vulture, il en dira quelques années après : « Au final, le film a été profitable et c'est le film que je voulais faire. Donc je suis heureux des résultats. »

Le réalisateur cherche néanmoins à radicalement prendre une autre direction et ne pas s'engouffrer dans la brèche des blockbusters, même s'il a par le passé failli réaliser un film Batman. Ce projet n'est pas du tout Mother ! : « Je travaillais sur un film pour enfants. Basé sur ma jeunesse et celles de mes amis à Brooklyn. Mais je rencontrais quelques problèmes. Je n'y arrivais pas. Et j'avais cette autre idée qui flottait dans ma tête. »

 

PhotoDarren Aronofsky sur le tournage de Noé

 

Il commence à écrire des idées, et lance sans le réaliser la machine infernale. "J'ai envoyé ça à un ami pour avoir des notes. J'avais une semaine tout seul pendant qu'il le digérait, et j'ai eu comme une percée, pour structurer l'histoire. Donc je me suis assis pendant cinq jours et tout balancé". Une manière de créer totalement nouvelle pour le cinéaste et scénariste, qui a pour habitude, comme la plupart de ses confrères, de passer quelques années à structurer un projet et un film autour d'une idée.

"En tant que réalisateur, c'est habituellement deux, trois ans minimum pour sortir une émotion. Donc j'étais curieux de savoir s'il y avait un moyen de capturer un type d'émotion et la mettre dans quelque chose et voir si ça marchait. Toutes ces idées, l'intensité de ces idées, c'est sorti de moi comme si des vannes avaient été ouvertes".

 

Photo Jennifer LawrenceToucher le mur qu'on va se prendre

 

THE WRESTLERS

Mother ! continuera d'être un film anormal jusqu'au tournage. Après avoir casté Jennifer Lawrence et Javier Bardem pour incarner le couple principal, il entame trois mois de répétition avec les acteurs oscarisés. "On a pris un entrepôt à Brooklyn et dessiné le décor au scotch sur le sol et pendant trois mois on a répété, et même tourné tout le film en vidéo avec notre cadreur et notre directeur de la photo. Pas de travail de lumière néanmoins : c'était juste pour avoir le mouvement. Même s'il n'y avait ni murs ni escaliers, on a pu capter le sens du mouvement et des mouvements de caméra, et apprendre avec ça".

La nature inclassable du film, et la violence de certaines scènes (notamment avec un bébé), compliquent la tâche. Plusieurs studios refusent le projet dont la 20th Century Fox, avec qui Aronofsky avait déjà travaillé. Paramount acceptera à peu près uniquement parce que Jennifer Lawrence, et dans une moindre mesure les autres acteurs (Michelle Pfeiffer, Ed Harris, Domhnall Gleeson, Brian Gleeson ou encore Kristen Wiig), sont un argument de vente à eux seuls.

 

Photo Jennifer LawrenceJusque là, tout va bien

 

C'est d'ailleurs Jennifer Lawrence qui est le coeur entier du film, au propre comme au figuré. Durant les répétitions, Darren Aronofsky se concentre sur l'actrice, celle qui sera de tous les plans et que le spectateur suivra du début à la fin, dans chaque silence, chaque respiration, chaque moment de doute. Elle construit avec le cinéaste ce personnage mystérieux, apporte des élements comme les pieds nus pendant tout le film. A Vulture toujours, Aronofsky avoue néanmoins que c'est une fois sur le tournage que tout se consolidera.

Un tournage mouvementé pour l'actrice, qui se serait blessé aux côtes lors d'une scène intense où elle a hyperventilé. L'équipe aurait alors construit un lieu de repos absolu pour elle, pour lui permettre de se réfugier loin de sa performance extrême : une tente aménagée avec des bonbons et des vidéos de L'incroyable famille Kardashian, la téléréalité que Jennifer Lawrence ne cache pas adorer.

 

Photo , Darren AronofskyJennifer Lawrence et Darren Aronofsky sur le tournage

 

BAD SWAN

A l'écran, c'est un voyage au-delà du réel d'une violence, d'une ampleur et d'une portée folles. Si Mother ! est resté durant des mois un mystère, avec un pitch officiel n'évoquant qu'un couple dont la tranquillité est perturbée par l'arrivée inattendue d'invités dans leur maison, c'était pour mieux en protéger la force.

Car le film est une expérience profonde, extrême et malpolie. Une expérience qui bouleverse, chamboule, crispe, désarçonne. Darren Aronofsky a depuis livré les clés de son film : Mother ! est une allégorie de notre planète maltraitée par l'humanité, inscrite dans une relecture biblique. Le personnage de Jennifer Lawrence est Mère nature, chargée de protéger, habiter et écouter une maison qui représente le monde. Javier Bardem est Dieu, qui créé Adam et Eve (Ed Harris et Michelle Pfeiffer) par ennui.

Adam et Eve vont fissurer ce monde, céder à la tentation face à la pomme (la précieuse pierre gardée dans le bureau) et provoquer le chaos. Leurs enfants se déchirent violemment comme Abel et Caïn. Des invités arrivent pour vénérer Dieu, provoquent une inondation comme le grand déluge. Et Mère nature donne naissance à un Messie. Le rapport du cinéaste à la religion était évident dans sa filmographie, mais prend ici une nouvelle dimension.

 

Photo Michelle Pfeiffer Michelle Pfeiffer

 

THE ARTIST

L'autre lecture possible est tout aussi passionnante : une métaphore de l'acte de création artistique. Lorsqu'un personnage désigne celui de Jennifer Lawrence comme "l'inspiration", difficile de ne pas lire dans ce chaos une métaphore du travail d'un artiste (Javier Bardem). La maison est alors une zone mentale, un havre de paix où il se retranche pour créer, à l'abri du monde. Sa femme est sa muse, celle qui entretient les lieux, le protège des attaques extérieures, protège l'acte créatif. Les invités sont des intrus, venus du monde réel, que l'artiste aura été chercher dans une envie de s'évader ou renouveler son univers. Ils briseront l'harmonie, de la même manière que le chaos peut parfois être un moteur créatif (dangereux). Ed Harris est un autre artiste et Michelle Pfeiffer, sa muse, plus âgée et violente, qui pose un regard dur et moqueur sur Jennifer Lawrence, encore pure.

Le bébé est littéralement la création de l'artiste et sa muse, né en l'espace d'une nuit comme une évidence - et comme Mother ! dans l'esprit du réalisateur. Le nouveau né suit le chemin classique d'une œuvre : livré au public, qui se jette dessus avec passion, le vole à son créateur, le détruit pour le consommer, le dévorer, le transformer. La muse, elle, lutte pour protéger cet enfant spirituel, mue par sa bonté, sa compassion et son sens du sacrifice.

 

AfficheAvoir le coeur sur la main

 

ENTER THE VOID

Avant même la sortie dans les salles américaines, pour accompagner la toute première projection à Venise, Darren Aronofsky a partagé un communiqué. Il y décrit un monde fou, phagocyté par les crises politiques, climatiques ou encore migratoires, paralysé par des gouvernements et des comportements insensés. Il insiste sur la manière dont le film est né, dans une sorte d'urgence fiévreuse, entre cinq jours d'écriture et une petite année de pré-production avant le tournage.

"J'imagine que les gens pourraient se demander pourquoi le film est si noir. Hubert Selby Jr., auteur de Requiem For a Dream, m'a appris que c'est en se plongeant dans les facettes les plus obscures de soi qu'on trouve la lumière. (...) Je ne peux pas entièrement mettre le doigt sur les origines de ce film. Certaines choses viennent des gros titres qu'on a chaque seconde de chaque jour, certaines des incessantes alertes sur nos téléphones, certaines de l'expérience du blackout à Manhattan pendant l'ouragan Sandy, certaines de mes tripes. C'est une recette que je ne pourrai jamais reproduire, mais je sais que cette portion est meilleure quand elle est bue en dose unique dans un verre à shot. Cul sec."

 

Photo Jennifer LawrenceImage générique de Jennifer Lawrence, jouant

 

Darren Aronofsky avait parfaitement conscience, avec ses acteurs, d'avoir mis au monde un film anormal, surtout dans le paysage hollywoodien où il évolue. À la Mostra de Venise, le film est hué (comme beaucoup d'autres avant et après lui), et divise profondément la critique. A sa sortie aux Etats-Unis, il y a un gros titre : c'est l'un des pires films pour le public, et l'un des pires démarrages de la carrière de Jennifer Lawrence.

Interrogé par The Guardian, le réalisateur de Pi et The Fountain reconnaissant sans mal qu'il faisait plus que réaliser ses films : il était les films. "Mon ego est dans chaque personnage de chacun des films que j'ai fait. Je suis la danseuse de Black Swan. Je suis le catcheur de The Wrestler. Je peux voir en quoi les gens feront particulièrement la connexion avec celui-ci. Mais tout cela est de la fiction : de la fumée, et des miroirs." Une gigantesque foire aux illusions, où de nombreux spectateurs auront refusé de s'engager. Et pourtant, s'y perdre, c'est y trouver des choses parmi les plus belles et sensationnelles vues sur grand écran ces dernières années.

 

 

Tout savoir sur Mother!

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commentaires
Merrick
08/02/2023 à 13:21

Je me permet de remercier chaleureusement le site écran large. Grâce à vous je peux sélectionner les films à éviter et ceux qui ont une chance de me plaire en inversant systématiquement vos critiques. Mother est un film ridiculement balourd, comme Black Swan ou le grotesque the fontaine.je ne pensais qu'il était possible de faire un film plus crétin que Noé, mais si le pauvre Darren a relevé brillamment le défi. Photo dégueulasse, direction d'acteur grotesque, mais tout ça n'est rien au vue de la débilité scénaristique ou comment toto 7 ans et demi pense écrire un film d'auteur. Mais je ne devrais pas être surpris de voir ce site de pseudo intello wish s'extasier devant cette merde. J'espère que votre critique de the whale sera épouvantable, ça sera le signe qu'on tient peut-être un bon film.

Ckld
17/09/2020 à 20:07

Roooh Baren, t’exagére....

Barren Arnoldshofky
17/09/2020 à 16:07

Darren fait du cinéma de mauvais goût depuis le départ. Les gros plans sur les pupilles dilatées lors des shoots dans Requiem en est un parfait exemple. Pi est imbuvable de prétentions. The Fountain est dégoulinant de laideur.

olvers974
16/09/2020 à 12:16

je trouve ça juste malaisant et malsain personnellement ...

Geoffrey Crété - Rédaction
16/09/2020 à 09:39

@Gaspard

Signalons juste que pas mal de critiques ont fermement défendu ce film dès la sortie, et que le public l'a en revanche bien enfoncé, notamment aux USA, pour un bouche-à-oreille catastrophique :)

Gaspard
16/09/2020 à 08:41

Ce film est La confirmation sempiternelle qu’il n’en faut jamais lire ou écouter des critiques avant d’avoir vu l’oeuvre en question! J’ai pris une claque monumentale, et Jennifer Lawrence mazette, elle se met dans des états!!! On peut dire ce qu’on veut d’Aronofsky, mais c’est le cinéaste le plus baroque à Hollywood actuellement, et voir un de’ ces films fait du bien à une soirée débat entre potes en sortie de’ salles!

Kouak
16/09/2020 à 07:20

Bonjour,
C'est le moment de passer à Table...
Evitez de faire votre Numéro...
Nul besoin de s'y connaître des Masses...
"AT HOME"
73-84-52/9-8-44-"M"/"M"-8-7-89-8/16-92-"R"/"E"-6-88-7/57-"R"-32....
79/5-33/"D"-53-16-6-92-52/6-53-10/8-92/34-"R"-53-99.
@+

Sascha
15/09/2020 à 23:49

Mais comment j adore ce film. Une pépite... Qui, au choix, se mérite si on prend le temps de se laisser embarquer ou bien qui se fait détester car tellement barré que cela peut en devenir impénétrable.
Dans mon entourage, je ne connais que 5 personnes qui ont vu et aimé ce film.

Flash
15/09/2020 à 22:25

Pour ma part j ai détesté, je n'ai même pas regardé jusqu'au bout.
Un film vain, bravo à ceux qui ont aimé ce truc.

Kyle Reese
15/09/2020 à 22:13

Je regrette de n’avoir vu aucun Aronosfsky en salle.
Je suis reconnaissant d’avoir vu et aimé la plus part de ses films sauf The Fountain et Pi que je n’ai pas vu.
Mother est un p*tain de chef d’oeuvre. Tous les acteurs sont totalement habités. Et qu’elle histoire, je ne m’attendais pas à ça (comme bcq évidemment c’était le but) je pensais que c’était un film d’horreur. Mais c’est un sacré cauchemar qui désarçonne gravement.
Magistral. Aronosfsky, un artiste avec un grand A.

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