Marina Foïs : des Robins à L'Atelier, parcours d'une comédienne polymorphe

Jacques-Henry Poucave | 12 octobre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 12 octobre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Il y a quelques jours disparaissait un géant du cinéma français. Comme de coutume, avec la mort de Jean Rochefort, s’est élevée l’éternelle complainte, consistant à se désoler de ne pas voir de successeur à la Bande du Conservatoire. Comme si le cinéma français manquait de talents à la remuante élégance. Comme si le cinéma français manquait de Marina Foïs.

 

UNE CARRIERE AVEC DES CAPES, ET AUSSI DES EPEES

Le parallèle peut sembler hasardeux, sinon absurde, entre l’inoxydable dandy, mésestimé par une certaine critique jusque dans sa dernière évocation, et la comédienne portée aux nues depuis Polisse . Il y a pourtant, dans l’évidente continuité qui relie les personnages qu’ils habitent, comme dans l’infinie plasticité de leur jeu, un parallèle clair.

 

Photo

Sophie Pétoncule, entre absurde, fantaisie et malaise

 

Dès l’avènement des Robins des Bois, l’artiste tranche avec la plaisante et surréelle bouffonnerie de la troupe. Si elle s’inscrit bien sûr dans la dynamique absurde qui nourrit chaque sketch, ses avatars, de Sophie Pétoncule, la victime de Maître Marcadet, en passant par l’emblème de Gym kilos, elle déniche toujours les brèches, le vibrato qui mue chacune de ses femmes plus ou moins azimutées en bombes à retardement.

C’est logiquement vers la comédie qu’elle se tourne au sortir des Robins des Bois. Foïs a beau y donner le change, nul besoin d’être un devin pour sentir qu’elle ne s’y épanouit pas tout à fait. Exception faite d’une partition géniale dans La Tour Montparnasse infernale, la machine à faire dérailler l’humour franchouillard convenu paraît même tourner à vide, jusque dans le sous-estimé RRRrrrr !!! Comme si la matière première qu’on lui proposait devenait trop claire, trop ténue pour qu’elle la transforme avec le talent qu’on lui devine.

 

Photo RRRrrrr !!!

Marina Foïs et PEF dans RRRrrr!!!

 

CARRIERE DU FUTUR 2000

Dans les médias, Marina Foïs joue le jeu de la promotion sans coup férir ni fausse note, mais on remarque également que l’artiste évolue dans un constant jeu du décalage, dont on ne saurait trop dire si elle l’entretient ou le laisse croître avec le sourire en coin discret mais bien présent d’une sale gosse certainement pas repentie.

Quand en 2004 elle vient vendre sur le plateau de Thierry Ardisson J'me sens pas belle, son ironie est aussi jubilatoire qu’élégante, grâce à ce pas pas de côté permanent, mais jamais ostentatoire. Et l’émission de dérouler son Interview Pétasse (pourquoi changer une recette qui fouette ?), sans anicroches ni fausses notes, tandis que le spectateur un peu observateur sent bien que sur le plateau Marina Foïs prépare déjà autre chose.

 

 

 

Il faudra attendre la consécration de Polisse pour que le gratin de la critique l’arrose de ses louanges un peu tièdes. Mais l’actrice n’a pas attendu les trémolos cannois pour imposer un talent protéiforme bien au-delà de la comédie franchouillarde. Son désespoir poli dans À boire (2004) annonçait la gravité ténue de Darling (2007), préparait le terrain du non-sens sophistiqué du Le Plaisir de chanter (2008), ou la maîtrise impeccable de la mise en abime qu’elle affiche dans Le Bal des actrices (2009).

En quelques années seulement, c’est une mosaïque aux contours incertains et merveilleusement changeants qui s’est dessinée. Une mécanique imprévisible qui fonctionne dans l’image à la manière d’un véritable effet spécial. Que serait Happy few sans l’électricité qu’y confère la comédienne, contaminant le jeu de chacun de ses camarades ? Laurent Lafitte aurait-il pu déchaîner sa verve comique si proche du cartoon sans l’incroyable tonicité vacharde de sa partenaire dans Papa ou maman ?

 

Photo Polisse, Karin Viard

Polisse

 

TO BE CONTINUED

Alors que sort ce mercredi L'Atelier, c’est une nouvelle fois ce curieux miracle, qui suggère une filiation artistique en équilibre entre Annie Girardot et Rochefort, qui consiste à reconnaître dans le personnage de Marina Foïs une nouvelle conjugaison d’un caractère connu, à la fois immédiatement reconnaissable et évidemment différent, nouveau.

Preuve de la souplesse avec laquelle elle aborde son art, elle parvient dans le nouveau film de Laurent Cantet à se mesurer au défi synonyme de gadin positronique pour la plupart des comédiens hexagonaux : le verbe tout puissant. Si elle est aidée par le scénario de Robin Campillo, qui n’a pas son pareil pour entrelacer les concepts d’action, de discours et leur interdépendance, Marina Foïs y montre combien elle peut s’approprier toute langue, tout rapport de force, et le transformer en une matière première étincelante pour la caméra de Cantet.

Qu’importe que le métrage n’échappe pas à certains écueils thématiques, à de bonnes intentions sociétales un peu épaisses. Il constitue un nouvel écrin idéal pour une des comédiennes les plus précieuses, imprévisibles et stimulantes du cinéma français.

 

Photo Marina FoïsL'Atelier

Photo Immortel (L')

Photo Marina Foïs

Photo Marina Fois, Laurent Lafitte

Photo Bodybuilder

 

 

 

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.