Critique : Into the Abyss

Cédric Le Penru | 22 octobre 2012
Cédric Le Penru | 22 octobre 2012

10 Mai 1981. Avant dernière alternance présidentielle droite-gauche jusqu'à celle de ce printemps 2012. Dans la foulée de son élection et fort d'un garde des sceaux d'exception (Robert Badinter), François Mitterrand fait abolir la peine de mort. Voilà donc plus de 31 ans que nous vivons en France dans la quasi ignorance de la peine capitale. Mais dans une autre grande démocratie, de l'autre coté de l'Atlantique, la sentence suprême subsiste et perdure. Et Werner Herzog de nous entraîner dans les abîmes de l'horreur aux Etats-Unis, dans un bled perdu du Texas nommé Conroe.

Into the Abyss se veut clairement une charge implacable contre les tristement célèbres « couloirs de la mort ». En grande partie la charge tient la route, le point de vue du réalisateur étant souvent étayé par la pénibilité des descriptions froides et cliniques du processus d'exécution. Le cas sur lequel le dossier filmique se penche est celui de Michael Perry et de Jason Burkett qui ont assassiné en 2001 (en se rejetant la responsabilité du meurtre l'un sur l'autre) Sandra Stotler  et deux adolescents  pour un stupide vol de voiture. Au moment des faits, Michael et Jason étaient de très jeunes gens ; à peine dix huit ans.

Le traitement est frontal. Dissimulé derrière sa caméra et perceptible uniquement par sa voix off, tentant l'assertivité et l'empathie maximales, le cinéaste d'Aguirre, la colère de Dieu nous emmène où il aime (visiblement !) aller : au fond du fond, au coeur des ténèbres, dans un voyage au bout de la nuit des rednecks et white trash d'un Texas dévasté par les crises économiques, l'inculture crasse et la folie ordinaire. À l'instar de cette littérature américaine qui depuis la fin de la guerre (dont le notable De sang froid de Truman Capote) creuse et charcute les faits, le réel, jusqu'à l'os, Werner Herzog pousse ses intervenants jusqu'à la limite, sans en avoir l'air.

Comme un cercle infernal, le film nous enferme dans sa logique démonstrative : Ouverture sur le Pasteur qui tient la cheville des condamnés au moment exact de l'exécution, qui finit par fondre en larmes - fermeture du documentaire sur le bourreau qui a décidé d'arrêter, de démissionner, après (combien ?) peut être 160 exécutions. Par sa démission, il perdra son droit à la retraite, mais retrouvera peut être le droit à la dignité d'être humain... Entre ces deux là, VI chapitres, dont l'avant dernier voudrait nous donner une lueur d'espoir avec la femme, visiblement très perturbée psychologiquement, qui a épousé Jason B., emprisonné à perpétuité, dont on découvre pour finir qu'elle est enceinte de lui ! On ne peut s'empêcher de penser là au personnage de Nicole Kidmann dans Paper Boy de Lee Daniels ; étonnant choc hasardeux des sorties du mois.

S'enchaînent au fil des séquences les témoignages des coupables dont notamment le jeune Perry, (au troublant sourire d'enfant, qui lui est condamné à mort et risque une exécution imminente dès la seconde séquence), et des familles, particulièrement la fille et un frère des victimes. De longs moments sont passés à interroger le père de Jason B., délinquant et en prison aussi, qui pleure ses échecs paternels sur fond de vie de drogué et de dealer et qui croise de manière ahurissante son fils dans un camion de détenus ; si ce n'était pas vrai, en fiction classique, cette situation semblerait limite invraisemblable !

Malheureusement certains effets faciles, comme une bande son remplie de crissements permanents évoquant l'angoisse et la peur (le Maaalaise), viennent parfois gâcher le propos, par redondance. Si on ajoute à cela une perceptible surenchère dans le misérabilisme via un découpage/montage des témoignages semblant chercher la désespérance à tout prix, on n'est pas loin de la réaction de rejet certainement contraire à la visée initiale du metteur en scène (comme ce fut le cas pour le disciple du Docteur Joseph Ignace Guillotin qui m'accompagnait à la projo).

En définitive, si l'on est déjà convaincu (comme c'est le cas de l'auteur de ces lignes) que la peine capitale est assez inutile en terme de dissuasion et plutôt barbare dans son mode d'application, on sera bien en peine de trouver dans ce documentaire de quoi nourrir abondamment le camp abolitionniste, si ce n'est une VRAIE expérience d'immersion dans l'indicible !

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire