Critique : Isadora

Nicolas Thys | 27 juillet 2011
Nicolas Thys | 27 juillet 2011
Isadora Dunca fût l'électron libre de la scène au début du 20eme siècle. Femme indépendante, personnalité totalement libérée et hors des codes moraux de l'époque, elle est l'une des danseuses les plus influentes de son temps et souvent considérée comme la pionnière de la danse moderne et contemporaine. Le biopic qu'en propose Karel Reisz est un sommet du genre mais il résonne comme une réponse à Michael Powell et à ses Chaussons rouges, 20 ans après.

En 1968, le Free cinema britannique est terminé (pour un rappel de l'importance du mouvement voir nos dossiers ICI et LA), tout comme la Nouvelle vague en France. Pourtant elle laisse des traces, et notamment chez ceux qui ont fondé le mouvement, Lindsay Anderson, Tony Richardson et Karel Reisz en tête. Difficile de ne pas voir dans Isadora un film dans la mouvance de ces anciens critiques qui défendaient dans les colonnes de Séquence ou de Sight & Sound un cinéma libre, engagé et réaliste face à un cinéma classique britannique de studio, bourgeois, littéraire et sclérosé, celui de Reed, Powell ou Asquith notamment.

Quand Reisz réalise un film sur une danseuse, cheveux roux de surcroit, la comparaison est inévitable et elle se révèle féconde. De la danseuse classique tirée d'un conte d'Andersen, engoncée dans son tutu et ses ballerines du film de Powell, Reisz propose une vraie danseuse, connue pour avoir rejeté les canons du classicisme et s'être engouffrée dans une nouvelle brèche résolument moderne. Elle rejette des vêtements qui cache le corps pour le porter aux nues. Le corps prime, son exaltation quitte à danser très peu vêtue. Et pourtant le mot d'ordre est le même : l'art, la vérité, la beauté. Seulement, ce qu'Isadora veut montrer c'est que ces trois là doivent s'affranchir de règles anciennes, édictées par d'autres et qui ne mènent plus à rien.

Même si le réalisme n'est plus autant de rigueur que dans les précédents films de Reisz, il reste présent. Son film est un portrait inspiré d'ouvrages d'Isadora Duncan et sur Isadora Duncan. Les séquences en extérieur restent nombreuses et si le travail sur les couleurs charge le film d'un côté décorum, il s'en décharge en faisant passer ce qui est montré comme un ensemble de souvenirs. Tout n'est que mémoire et traces, reconstitution d'un monde pendant que dans Les Chaussons rouges tout n'était qu'un décor immense, faste et somptueux auquel les couleurs donnaient vie en surlignant son aspect irréel.

En outre, le biographique est peu romancé, le réalisateur choisissant de raconter des bribes de vie, des moments plutôt qu'une existence linéaire et figée. Son montage est audacieux et il fait passer le spectateur d'une époque à l'autre sans réelle transition, parfois en mélangeant plusieurs temporalités, en ne concluant pas les histoires comme si elles finissaient d'elles-mêmes. La continuité n'est pas l'élément principal du récit. Seuls comptent les moments marquants et dans la vie de cette femme plus que libérée hors de tout matérialisme et qui ne se préoccupe que d'art et de beauté, les ruptures, comme celle d'avec le père de son premier enfant sont futiles. Même le moment où on apprend l'existence des écoles ne bénéficie pas d'une séquence à part entière, il se fait au détour d'une banale conversation.

Et l'engagement politique n'est jamais loin. Bien qu'elle dise que la révolution n'a pas besoin du politique, Isadora Duncan est clairement décrite comme une femme de gauche, qui prône l'ouverture sur le monde, et proche des idéaux communistes. Elle est d'ailleurs accueillie à bras ouverts en Union Soviétique par les bolchéviques. Ils voient en elle le renouveau d'une forme d'art qui va à l'encontre des règles établies par la vieille société occidentale. Et là encore, l'opposition est forte avec Les Chaussons où l'art pour l'art ne nécessite qu'un engagement spirituel et où la continuité du récit reste forte et ancrée à une histoire d'amour simple et unique avec un musicien en devenir. La liberté que Moira Shearer ressent d'abord sur scène, en se coupant du monde pour entrer dans un rêve, est loin de la liberté d'Isadora Duncan pour qui les règles n'existent pas. Elle qui pouvait danser sur scène comme dans la rue et qui transportait avec elle ses idéaux pour modeler le monde à sa façon.

L'Isadora de Reisz, dont aucun aspect n'est épargné, pas même la folie ou la personnalité lunatique, est une artiste à l'opposé de la danseuse de Powell beaucoup plus stable et équilibrée. Les deux films, qui mettent la danse au coeur de leur récit, sont des oeuvres importantes même si totalement différentes, deux oeuvres issues d'un même pays mais de courants cinématographiques opposés et qu'il est bon de revoir ensemble pour comprendre la diversité et la richesse du cinéma britannique.

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