Critique : Du rififi chez les hommes

Sandy Gillet | 31 mars 2006
Sandy Gillet | 31 mars 2006

Quand Jules Dassin réalise en 1955 Du Rififi chez les hommes cela fait quatre ans qu'il n'a plus tourné et cinq qu'il a dû quitter précipitamment Hollywood pour Londres où il mettra en boîte son chef-d'œuvre, Les Forbans de la nuit. Errant par la suite de capitale européenne en capitale européenne à la recherche d'un script et d'un producteur faisant fi des pressions outre-atlantique, Dassin finit par « échouer » entre les mains du français Henri Bérard qui vient d'acquérir les droits d'un best-seller d'Auguste le Breton (Razzia sur la chnouf, Le Clan des siciliens, Bob le flambeur…). Comme il le dit lui-même dans l'excellente interview présente au sein del'éditionDVD Criterion en guise de bonus (lire notre test), il n'aimait pas le roman, le trouvant beaucoup trop raciste. Mais au lieu de refuser de faire le film, Dassin écrit un scénario en six jours avec l'aide de l'expérimenté René Wheeler (La Cage aux rossignols, Jour de fête, Fanfan la tulipe, Les sept péchés capitaux…), trop obsédé qu'il est par le besoin de travailler enfin.

 

 

Si Dassin donne au récit une connotation moins xénophobe (le gang rivale n'est plus d'origine maghrébine mais allemande), il va surtout développer certains passages comme l'épisode, mainte et mainte fois copiée depuis, du braquage de la bijouterie devenant de facto le véritable morceau de bravoure du film. Au sujet de ces libertés prises avec le roman, Jules Dassin revient d'ailleurs pour nous au sein de l'interview sus-cité, sur un épisode fort savoureux qui a trait avec sa première rencontre avec son auteur. Auguste le Breton, n'ayant semble t'il pas digéré que l'on ait pu atteindre à ce point à l'intégrité de son livre, en était venu jusqu'à menacer Dassin d'un revolver le sommant de s'expliquer sur les raisons de telles digressions. Les deux hommes sont depuis devenus amis jusqu'à la mort de l'écrivain intervenu en 1999.

 

 

 

 

C'est nanti du budget ridicule de 200 000 dollars que Dassin entreprend donc le tournage de son film. Impossible avec cette somme d'engager des stars voire des noms connus et c'est tant mieux puisqu'en exhumant de sa semi retraite l'acteur Belge Jean Servais (visage marqué et las, voix rocailleuse, lèvres pincées, physique fatiguée car atteint par la tuberculose) dans le rôle de Tony le stéphanois, Dassin assure à son film une patine de crédibilité et de réalisme qu'il aurait été difficile d'avoir même avec un Jean Gabin qui venait, au demeurant, tout juste de tourner Touchez pas au grisbi de Jean Becker, autre film de gangsters à la française qui assurait définitivement le renouveau du genre. Dassin aura su s'entourer aussi de techniciens hors pair comme Trauner pour les décors (Les Enfants du paradis…) ou encore Philippe Agostini à la photo (Le Jour se lève…).

 

 

 

 

Outre cette fameuse séquence du casse qui dure près d'une demi-heure (sans parole, ni musique, juste le froissement des vêtements, le bruit sourd des outils, le halètement des respirations marquées par l'effort, le jeu des regards et des cadres à couper au couteau pour un suspens qui ne l'est pas moins) et que reprendra par exemple Melville dans Le Cercle rouge (lui qui devait justement réaliser ce Rififi et qui à la place jeta son dévolu sur un autre livre d'Auguste le Breton : Bob le Flambeur), Dassin a su filmer à merveille les rues de Paris, façon Bas-fonds de frisco ou Forbans de la nuit donnant ainsi définitivement à Du Rififi chez les hommes cet aspect de quasi documentaire qui en fait d'abord cette réussite formelle avant d'être l'aboutissement involontaire d'un triptyque sur l'étude d'une société parallèle reconnaissable à ses rites, son code d'honneur et ses hommes.

 

 

 

 

Du Rififi chez les hommes est d'ailleurs aussi une métaphore consciente de l'état d'esprit dans laquelle se trouvait Dassin à l'époque. Ayant fui son pays pour cause de Maccarthysme, le voici qui joue ici le rôle de César le milanais (l'acteur italien initialement contacté s'étant engagé à la dernière minute sur un autre film), un des auteurs du braquage, qui finira par d'abord trahir involontairement ses amis et associés avant de les dénoncer par peur de tortures corporels. N'est-ce pas, comme il le laisse entendre toujours au sein de l'entretien réalisé spécifiquement par Criterion, une façon d'essayer d'exorciser et de comprendre (sans pour autant pardonner) la dénonciation de son « ami » Elia Kazan lors de son audition devant la fameuse commission anti-américaine de triste mémoire ?

 

 

 

 

Film minutieux voire méticuleux, aux gestes et comportements épurés car jamais gratuits, Du Rififi chez les hommes fait penser à L'ultime razzia par son côté machine d'action infernale que Kubrick tournera quelques mois plus tard. À ce titre, la séquence finale est un autre morceau de bravoure à la persistance rétinienne rare. Aujourd'hui encore il est étonnant pour ne pas dire surprenant de constater qu'après ce film, la filmographie de Jules Dassin se soit quasiment éteinte tant ce Rififi est à ranger au panthéon des classiques instantannés du genre aux côtés de réussites telles que Le trou de Jacques Becker ou encore du Deuxième souffle de Melville.

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