Le Tombeau des lucioles : critique sublimée

Jean-Noël Nicolau | 6 avril 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jean-Noël Nicolau | 6 avril 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Hommage au grand Isao Takahata, maître des studios Ghibli décédé ce 5 avril. Et retour sur quelques uns de ses plus grands films.

 

 

 

Le studio Ghibli en est encore à ses débuts lorsque Isao Takahata entreprend l'adaptation animée d'une nouvelle de Akiyuki Nosaka : la Tombe des lucioles. Après le succès commercial retentissant du Château dans le ciel, qui fondait définitivement Ghibli après la collaboration historique autour de Nausicaä, Miyazaki et Takahata mettent en oeuvre deux projets en parallèle. Ce sera Mon voisin Totoro pour l'un (un phénomène de société) et ce Tombeau des lucioles pour l'autre (succès plus discret mais entouré d'un culte jamais démenti). Le premier film de Takahata pour Ghibli incarne idéalement tout ce qui différencie cet auteur de Miyazaki dans l'ombre duquel on a un peu trop tendance à l'oublier. S'adressant à un public adulte, avec parfois des films difficiles d'une maturité surprenante (les Souvenirs ne s'oublient jamais ou Mes voisins les Yamada) ou détournant un sujet a priori tout public, pour délivrer un objet inclassable entre burlesque et mélancolie étouffante (Pompoko), Takahata aura plus d'une fois désarçonné mais aussi conquis les spectateurs occidentaux.

Le Tombeau des lucioles demeure toutefois le film le plus célèbre du réalisateur, à juste titre, tant la tragédie qu'il conte aura largement contribué à crédibiliser l'animation japonaise auprès de nombreux curieux et indécis. Difficile, en effet, à moins d'être un irrécupérable cynique, de ne pas avoir au moins la gorge serrée devant le calvaire de ces deux enfants, victimes d'un conflit qui s'achève en balayant les derniers vestiges d'innocence. C'est sur l'injustice fondamentale de ces destins que l'histoire insiste le plus, c'est une succession de malchances et de malentendus, de grandes et de petites lâchetés, et surtout c'est un terrible récit d'indifférence, Seita et Setsuko devenant les fantômes de la culpabilité de tout un peuple, comme le représente la formidable image finale de l'oeuvre, l'une des plus évocatrices et inoubliables du cinéma japonais.

 

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Un des choix les plus courageux de Takahata est de ne pas hésiter, comme dans la nouvelle, à dévoiler la fin du récit dès les premiers instants du film. Pas de « suspens larmoyant », pas de mélodrame hollywoodien, mais bien la lente progression d'un drame inéluctable, renforçant ainsi à la fois le réalisme cru mais aussi la pudeur du Tombeau des lucioles. C'est donc un véritable tour de force que de parvenir à éviter les pièges de la sensiblerie sans pour autant tomber dans la froideur documentaire. D'une scène à l'autre, le réalisateur passe des détails effroyables de la guerre (les blessures de la mère étant peut-être ce que l'on a vu de plus insoutenable dans un film d'animation) à des scènes de poésie extrêmement légères (la ballade au bord de la mer, la récolte des lucioles), véritables respirations au sein du métrage, ces séquences s'achèvent cependant toute sur l'ombre de la mort, omniprésente, s'insinuant dans presque chaque image et chaque réplique du film.

 

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Si le Tombeau des lucioles est un requiem, il n'en a que rarement l'emphase, et l'aspect très intimiste de l'histoire, qui ne s'éloigne jamais du point de vue du jeune Seita, évoque plutôt une veillée funèbre. La discrétion de la partition musicale, les nombreux silences, la pureté du trait et de l'animation, tout concourt à la beauté à la fois très simple et exceptionnelle de l'œuvre. C'est la justesse de ton qui rend le film si bouleversant, Takahata évitant la trivialité alors même que le calvaire de la petite Setsuko (voisin de celui du fils du clochard de Dodes'kaden) aurait pu nous entraîner vers une complaisance sordide. Ce véritable état de grâce, qui marque l'apogée de la veine la plus adulte et réaliste du studio Ghibli, a peu à peu permis au Tombeau des lucioles de s'imposer comme l'un des plus grands classiques du cinéma japonais contemporain.

 

Affiche

 

Résumé

Une merveille, et l'un des plus grands films du cinéma d'animation japonais.

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commentaires
kEVIN DIOLES
15/07/2020 à 17:12

Cette histoire loin d'être enfantine, dégagera énormément de passion pour cette image de ce grand frère prenant sans cesse la main de sa petite sœur. Un scénario exceptionnel, d'une grande sensibilité sur l'innocence de l'enfance, centré sur des relations fortes et puissantes, dépourvues de caricatures et de niaiseries. Un film d'animation d'une grande richesse artistique, c'est beau, très émouvant, on se surprend à sourire, mais aussi à verser une larme devant la petite Setsuko serrant sa poupée de chiffon. On ne sera pas déçu par ces deux enfants qui nous inviteront à partager une existence poignante qu'ils auront construite pour être tranquille, heureux, une vie bien à eux, loin d'une réalité violente. Un film qui se regarde paisiblement, mais qui peut devenir très dur psychologiquement pour les âmes sensibles. Ce crève-cœur est un vrai chef-d'oeuvre. On peut mettre plusieurs jours à s'en remettre.

Nem
02/09/2019 à 03:47

Vu une fois, pas le courage d'une 2ème... Et pourtant je suis loin d'être un sentimental devant l'écran.
Il est magnifique et dur ce film.

Jol
14/04/2019 à 21:57

Film terrible. Je l'ai vu une fois et ne suis plus capable de le revoir. C'est trop dur, il faut être costaud émotionnellement...

Sylvain PASSEMAR
20/04/2018 à 17:07

Que de poésie, que de beauté, que de tristesse... ce film est littéralement envoûtant. Je ne parlerai pas plus de ce chef d'oeuvre de peur de vous gâcher le plaisir mais c'est un film qu'il faut absolument voir!

fareed
09/04/2018 à 13:53

Magnifique film… Touchant… Une animation soignée… Un chef d oeuvre en somme

lemon
07/04/2018 à 16:19

Je l'ai vu il y a 20 ans et depuis, même après avoir acheter le coffret DVD et lu le livre, je n'ai jamais pu le regarder à nouveau. Rien que de voir les images de la petite soeur (maintenant que je suis papa de 2 petites filles), ça me file le bourdon. Un grand film

Cham Cham
07/04/2018 à 13:28

Tellement beau. Tellement dur.

Berserk
07/04/2018 à 12:37

Bouleversant et magnifique !,amposible de pas retenir ces larmes après avoir vue ce chef d'oeuvre!.Pas seulement un de plus grands films de l'animation Japonaise ,mais du cinéma tout court !.

Gaspard
07/04/2018 à 10:22

Un des films les plus bouleversants que j'ai vu, tout simplement!

Flash
06/04/2018 à 23:37

Il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas être ému par ce film, 5 étoiles et même plus.

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