Solitaire (Le) Critique : Le Solitaire

Thomas Douineau | 22 avril 2005
Thomas Douineau | 22 avril 2005

Pour son premier film de cinéma, après avoir fait ses armes à la télévision, Michael Mann montre déjà son goût de l'authenticité et son souci du détail exact qui ajoutera de la véracité à son histoire. En effet, il choisit d'adapter pour l'écran le roman The home invaders de Frank Hohimer, lui-même cambrioleur notoire, qui purgeait alors une peine de prison au moment du tournage. Mais le réalisateur-scénariste-producteur ne s'arrête pas là puisqu'il assoit dès son premier film sa réputation de perfectionniste en engageant un ancien criminel, John Santucci, comme conseiller technique (il lui fait d'ailleurs jouer le rôle du flic corrompu Urizzi) et s'octroie les services d'autres voleurs auxquels il adjoint quelques vrais flics pour ajouter de la crédibilité à la description du monde qu'il dépeint. James Caan peut ainsi évoluer et s'imprégner d'une vraie réalité et, en grand acteur, user du langage, de la gestuelle, des nuances, dictés par ces «professionnels».

Et le résultat de ce travail est là, visible tous les instants à l'écran. Dès son premier film, Mann affiche son ambition cinématographique : raconter des histoires en faisant d'un genre qu'il affectionne, le polar urbain, une expérience sensorielle unique tant d'un point de vue émotionnel que visuel, faisant jouer les prolongations aux films d'action des années 70 (à l'époque où action ne voulait pas dire montage syncopé et explosions toutes les deux minutes, curieuse constatation quand on retrouve au générique du Solitaire.... le débutant Jerry Bruckheimer), assurant une transition idéale entre cinéma classique américain et modernité.

Car Mann montre qu'il aime d'abord raconter son histoire du point de vue de ses personnages, des caractères souvent exceptionnels et complexes, qui ont un vécu, des amitiés et inimitiés, des faits et gestes dictés par le milieu dans lequel ils évoluent. Il renoue ainsi avec la grande tradition du thriller où la réalisation souligne une épaisseur psychologique des personnages, où l'histoire avance par l'action et non l'inverse, se positionnant en digne héritier d'un William Friedkin, en fils spirituel d'un Melville.

Mais le plus étonnant réside dans le fait que Le Solitaire est déjà la matrice de tout ce que sera, dans le futur, le cinéma de Mann. Que ce soit dans sa mise en scène empreinte de réalisme, dans ses choix de décors dépouillés, dans sa stylisation de la lumière, dans son histoire sombre, noire et pessimiste, parfois cynique... Mais cela n'empêche pas de distinguer nettement le regard profondément humain que porte Mann sur ses personnages, sa volonté de rendre toujours plus expressive ses images (par le cadre, le mouvement, le montage), poussant parfois jusqu'à l'expérimentation, se servant du son de manière purement cinégénique.

Le réalisateur se retrouve alors grand ordonnateur de séquences d'anthologie, points culminants d'un cinéma qui allie l'épique à l'intime. Tout ceci contribue à créer une fascination intense chez le spectateur, nées de l'unique pouvoir des images, à faire naître chez lui une émotion décuplée par la richesse des protagonistes et la puissance dramatique de l'intrigue. 

Résumé

Ce premier film marque la naissance sur grand écran d'un réalisateur de génie inventif qui montre que le cinéma américain contemporain peut encore avoir des ressources.

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