Critique : Following Sean

Sandy Gillet | 9 novembre 2005
Sandy Gillet | 9 novembre 2005

Voilà un documentaire qui ne risque pas de faire parler beaucoup de lui. Distribué dans trois salles sur toute la France, traitant d'un sujet à peine connu en nos contrées et des américains eux-mêmes, noyé au sein de dix-sept sorties dans la même semaine en comptant les reprises, non, Following Sean de Ralph Arlyck ne va pas attirer les foules et va disparaître de notre paysage cinématographique aussi vite qu'il est apparu. Et pourtant cette histoire à la fois incroyable et tout à fait ordinaire est de celle qui « accroche » dès les premières lignes pour très rapidement emporter l'adhésion par le cheminement de sa démonstration très personnelle voire égocentrique.

En 1964, Sean est un gosse de quatre ans qui aura bien malgré lui son heure de gloire quand Ralph Arlyck, étudiant en cinéma, décide d'en faire son sujet d'étude de fin d'année. Habitant tout deux le même immeuble situé dans le quartier hippie de San Francisco, le futur cinéaste est fasciné par cet enfant précoce qui fait du skate, court pieds nus dans les rues du « Haight » et vit dans un appartement ouvert à tous et à toutes où se mêlent les accrocs aux amphets, les fumeurs d'herbe, les gourous et les idéalistes. Mais ce qui va choquer la frange bien pensante du pays et assurer au film sa pérennité sont les propos qu'il tiendra devant la caméra de Ralph Arlyck lors de l'une de ses visites quotidiennes. Sean y assurait en effet qu'il avait déjà fumé de l'herbe, parle de façon désinvolte des habitudes du quartier, du flot de visiteurs qui passent chez lui et de sa haine pour les flics. Bref un véritable pamphlet doublé du témoignage privilégié de cette révolution culturelle qui secoue alors tout un pays. Sean symbolise on ne peut mieux ce qui va ébranler les piliers traditionnels de la société américaine en incarnant cet esprit de liberté et une promesse de possibilités infinies propre à cette époque. Le film d'Arlyck va être primé dans plusieurs festivals, il sera étudié à la Maison blanche dans le cadre des aides de l'État aux enfants et va lancer sa carrière de cinéaste indépendant et de documentariste.

On l'aura deviné, Following Sean procède de cette envie bien légitime et chevillée au corps en chacun de nous de revenir sur les traces de notre passé. En retrouvant le petit Sean devenu adulte, Arlyck se pose en voyeur (et nous avec) de sa propre vie. C'est que de la question de départ – qu'est-il devenu ? – le film débouche rapidement sur bien d'autres interrogations qui ont à voir avec la vie dans ce qu'elle a de plus « ordinaire » mais aussi dans ce qu'elle a de plus essentielle : que laisse t'on derrière soi en terme d'héritage intellectuel ou autre à nos enfants ? Que reste-il de celui laissé par nos parents (la mise en miroir des deux constats tel que suggéré par le cinéaste ne peut que donner froid dans le dos) ? Dès lors il ne s'agira plus pour Arlyck de savoir si Sean Farrell est devenu un paria, un révolutionnaire ou un homme politique aux idées ultraconservatrices, mais bien de se mettre en scène, de provoquer une mise en abîme qui va lui permettre de réaliser à quel point son existence et la sienne passe par les mêmes étapes, les mêmes schémas de vie, voire certainement, par les mêmes conclusions.

C'est de cette découverte troublante dont parle film (à la fois documentaire - le film se construit en direct - et fiction dans sa démarche à mener une enquête sur neuf ans), de celle qui permet de parler de deux familles atypiques sur trois générations qui reflètent au final une Amérique dans ce quelle a de plus représentatif. Un constat en forme de paradoxe comme seul ce pays sait en provoquer, comme seul ses artistes peuvent encore en rendre compte.

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