Critique : Cinéastes à tout prix

Patrick Antona | 25 février 2007
Patrick Antona | 25 février 2007

Avertissement pour le spectateur amateur de documentaire coup de poing à la Michael Moore ou plus didactique à la Raymond Depardon : il sera sûrement bien décontenancé quant à l'objet filmique qu'il verra à l'écran. Dès le générique, Frédéric Sojcher, nous offrent un patchwork d'images, censées représentées la quintessence de l'art de ces « cinéastes maudits » belges qu'il va nous présenter par la suite. La portée des œuvres nous apparaitra très vite avec divers extraits tirés des films, au titre et au style sentant bon le « Bis » et l'amateurisme à plein nez : Furor Teutonicus, Maquis contre Gestapo, Mon curé chez les sorcières. Le tout nous est savamment présenté entrecoupés des interviews réalisateurs, dont l'inénarrable Jean-Jacques Rousseau (incontestablement la révélation de Cinéastes à tout prix), qui se montre cagoulé pour éviter que la caméra ne lui vole son âme !

S'il est une qualité qu'il faut reconnaître au documentaire, c'est bien son approche à la fois sincère et humaine de ces trublions du cinéma qui permet d'éviter de tomber dans la pochade et la condescendance nauséeuse. Nous assistons à la petite histoire de ces trois cinéastes amateurs inconnus qui réalisent des films depuis les années 60 pour certains et jusqu'en 2003 pour l'increvable Jean-Jacques Rousseau (dont la filmographie compte plus de trente films). En donnant la parole à ces personnages dont le seul rêve était de faire du cinéma, seul exutoire à une vie qui semblait bien monotone, on ressent d'abord tout le comique de la situation, car l'approche du cinéma telle qu'ils la conçoivent relève du sérieux le plus absolu, et ce n'est pas Jean-Jacque Rousseau qui me démentira ! Mais au fil des entretiens où ils nous livrent via des anecdotes de tournage et les témoignages des « acteurs » qui les ont suivi dans l'aventure les divers ficelles pour réussir à produire des films, on sent que ces réalisateurs étaient vraiment motivés par l'amour de la caméra. Toutefois, au vu des extraits qui nous sont proposés et qui semblent très représentatifs du produit final obtenu (en un mot pathétique), c'est par le récit des divers épreuves ou autres secrets de confection que l'on finira par s'attacher à ces sacrés belges.

Ainsi au niveau des témoignages, on assiste à un florilège de révélations assez croquilognesques : les effets spéciaux utilisés pour faire faire voler des spaghettis dans Mon curé chez les sorcières, le rêve « érotico-arabe » comme scène de charme ultime, et les techniques de direction d'acteur de Jean Jacque Rousseau qui donne souvent ses indications après que la scène ait été tournée ! Jusqu'à l'utilisation de tirs à balles réelles sur les films de guerre de Max Naveaux, avec les commentaires amusés de ses comédiens se souvenant des mitraillages ou plus classique de l'utilisation du sac en plastique qu'on froisse pour simuler un bruit de pas. Car le Système D est bien le maître mot pour que ces artistes puissent financer et concevoir leurs petites séries Z. Mais le plus touchant dans ces témoignages vient le plus souvent des comédiens amateurs, la bimbo devenue l'inspectrice de police, la chanteuse de jazz fardée en punkette du futur ou le professeur de faculté venu se payer une tranche de rire avec ses copains, qui témoignent de la grande fidélité que les metteurs en scène ont réussi à drainer autour d'eux, au point de se créer presque une vraie famille.

Face à ses deux « collègues » un peu fades, c'est Jean Jacques Rousseau qui captive le plus, expliquant comment il s'inspire de Kubrick pour tel plan ou avouant que son cinéma est l'expression de sa souffrance la plus intime. Ce qui ne l'empêche pas d'asséner avec le plus grand aplomb son sentiment sur la qualité des films de Steven Spielberg ! Finalement, c'est par le biais de la discussion croisée entre Benoît Poelvoorde et Noël Godin, les deux vrais « stars » belges leur accordant un certain génie surréaliste, que le documentaire parvient à dégager une certaine moralité enthousiasmante. À savoir que c'est autant dans leur sincérité, affichée tout au long de leurs différents entretiens, que dans leur opiniatreté qu'il faut trouver leur véritable originalité. Et que la lutte pour un meilleur cinéma continue, à l'unisson de la version d'Internationale, chantée par un Jean Jacques Rousseau omniprésent, et qui accompagne le générique final.

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