Priscilla : critique de l'anti-Elvis de Sofia Coppola

Judith Beauvallet | 3 janvier 2024 - MAJ : 03/01/2024 18:30
Judith Beauvallet | 3 janvier 2024 - MAJ : 03/01/2024 18:30

Après le Elvis de Baz Luhrmann sorti en 2022, c'est au tour de Sofia Coppola, réalisatrice de Lost in Translation et Virgin suicides, de s'emparer du mythe Presley à travers son nouveau film : Priscilla. Exit Austin Butler et Olivia DeJonge dans le rôle du célèbre couple, place à Jacob Elordi dans la peau du rockeur, et surtout à Cailee Spaeny dans celle de son épouse. Un point de vue nouveau sur la légende Elvis, celui de cette adolescente inconnue dénichée lors du service militaire de la star, qu’il choisit pour en faire sa potiche attitrée et l’enfermer dans sa prison dorée de Graceland à Memphis. Une triste histoire d’abus dissimulée sous les paillettes qui aurait pu être passionnante si elle n’était pas racontée de manière aussi fade.

SOIS BELLE ET TAIS-TOI

Avec Marie-Antoinette, Somewhere, Les Proies et d’autres, Sofia Coppola s’est fait connaître comme la cinéaste de l’errance pastel et du désœuvrement joliment malsain. Dans des atmosphères poudrées et cotonneuses, ses héroïnes trompent leur morosité en se laissant aller à la mélancolie romantique ou à la perversité.

Que l’on adhère ou pas à ces portraits de l’ennui (parfois trop communicatif), il faut dire que l’esthétique de la réalisatrice semblait totalement adéquate pour raconter la vie de cette très jeune fille pleine de rêves condamnée à se languir dans une maison trop grande et trop vide, nimbée d’un kitsch à la rencontre des années 50 et 60.

 

Priscilla : photoL'histoire d'une emprise

 

En effet, dès les premières séquences, c’est l’évidence : le style tout en retenue et en lumière éthérée de la metteuse en scène semble parfaitement rendre l’écrin faussement parfait dans lequel la douce adolescente se laisse attirer. L’ensemble est visuellement très joli, très appliqué, superbement éclairé par Philippe Le Sourd, déjà directeur de la photographie sur Les Proies (et accessoirement chez Wong Kar-wai pour The Grandmaster).

Cherchant la reproduction parfaite de Graceland ainsi que du look de Priscilla et de son mari, les décors, les costumes et les maquillages sont évidemment impressionnants, laissant deviner un travail de recherche méticuleux. En somme, et ce n’est pas une surprise, Priscilla est une réussite visuelle, qui montre encore que la réalisatrice sait s’entourer et jouer avec une esthétique désormais devenue signature de ses histoires d’oisiveté polie qui dissimule une douleur.

 

Priscilla : Photo Cailee SpaenyLe cinéma de Sofia Coppola résumé en une image

 

encéphalogramme plat

Le problème, c’est qu’au-delà de la délicatesse de l’image, le film oublie très vite d’utiliser le reste de ses outils. À commencer par le rythme. Épouser le point de vue d’un personnage qui s’ennuie et communiquer cet ennui au spectateur, c’est une chose. Mais s’enfermer dans un rythme inexistant en est une autre. Filmant les moments de passion ou de violence avec le même manque d’emphase que les moments de plate solitude, Sofia Coppola ne hausse jamais le ton, ne dit jamais un mot plus haut que l’autre avec sa caméra, même lorsque son personnage est saisi d’angoisse.

Dès lors, la narration du film (terriblement classique) navigue sur une mer d’huile, laissant d’ailleurs la fin arriver par surprise, tant aucune sensation de climax ou même de progression ne vient scander le visionnage. Les séquences n’en finissent plus de se répéter sans que le personnage principal évolue réellement entre elles (on pense notamment aux moult plans sur Priscilla laissée seule sur le parking alors qu’Elvis part en voiture ou en bus), et la pudeur de la mise en scène finit en fait par devenir un refus de traiter le sujet.

 

Priscilla : Photo Cailee SpaenyUn look iconique, mais forgé malgré Priscilla par son mari

 

Le film vend ce fameux point de vue de Priscilla, mais laisse finalement si peu d’espace à son personnage pour exister autrement que comme cet objet écrasé par un décor, que tout réel point de vue semble absent. Des plans serrés sur la moue boudeuse ou impassible de Cailee Spaeny, il y en a un paquet, mais offrent-ils réellement l’incarnation d’une personne à part entière, dans l’ombre du rockeur ? Pas vraiment, et c'est décevant. S’il est louable de montrer une (petite) part sombre d’Elvis en mari manipulateur et violent avec sa femme beaucoup trop jeune, Sofia Coppola en fait finalement bien peu de choses dans cet océan de jolies images aussi figées et sages que Priscilla.

Négatif parfait de l'Elvis de Baz Luhrmann, avec ce seul prénom pour titre, le calme plat qui remplace la frénésie et le portrait beaucoup plus négatif du chanteur (là où le film de Luhrmann fait volontiers l'impasse sur ses pires travers), Priscilla en est parfaitement complémentaire. Mais c'est peu, comme argument, pour en faire un bon film.

 

Priscilla : Photo Cailee SpaenyOn veut savoir le budget machine à fumée du film

 

les questions sans réponses

Est-ce parce que la véritable Priscilla Presley est productrice déléguée du film que celui-ci ne s’autorise aucun réel parti pris ? En effet, toutes les questions qui peuvent venir au sujet de cette icône somme toute assez vide sont parfois évoquées mais jamais traitées. Pourquoi Elvis a-t-il courtisé autant d’années cette jeune inconnue, alors même que ses parents s’opposaient à leur relation (Priscilla n’avait que 14 ans, et Elvis 24), et qu’elle vivait en Allemagne ? Elvis aimait-il réellement la jeune fille, malgré les nombreuses aventures qui accaparaient toute sa vie sexuelle ? Leur mariage a-t-il été la douloureuse issue d’un chantage mené par les parents de Priscilla, ou les amants étaient-ils heureux de s’épouser ?

Sofia Coppola ne formule jamais d’hypothèse sur aucun de ces sujets, filmant son histoire avec le détachement et la distance qui permettent de suggérer une chose et son contraire, selon ce que le spectateur veut comprendre. Trop facile et trop insignifiant. La même nonchalance se ressent malheureusement dans l’utilisation que la réalisatrice fait de son casting : là où Cailee Spaeny est cantonnée aux regards dans le vide et aux soupirs timides, c’est encore l’utilisation de Jacob Elordi qui déçoit le plus dans le rôle d’Elvis.

 

Priscilla : photoUne idylle pas si idyllique

 

Non pas que l’acteur joue mal son rôle, au contraire. Mais Sofia Coppola ne le met jamais réellement en scène : la très grande taille de l’acteur aurait pu servir à symboliser cette emprise du chanteur sur sa femme, mais cette différence de hauteur n’est jamais sublimée à l’image. Si le décor se prête souvent à faire apparaître Elvis comme un vampire tapi dans l’ombre de sa chambre sombre au décor baroque, là encore, la caméra se refuse à jouer cette corde. Et pourquoi pas ! Cette critique n'est pas là pour donner des leçons. Mais jouer une corde tout court, ç'aurait quand même été pas mal.

De même, la réalisatrice choisit de ne pas faire vieillir son acteur au fil du temps qui passe, et manque l’occasion de représenter un Elvis plus ridicule et démythifié au regard de sa femme sur la fin de leur relation. A-t-elle voulu conserver la beauté de son acteur pour signifier que Priscilla le voyait toujours avec ses yeux de jeune fille ? Peut-être, mais là encore, aucune mise en scène ne fait l’effort de le raconter.

Bref, Sofia Coppola énumère ses sujets sans s’en emparer, et se contente de faire de jolies images sur l’idée de ce que son film aurait pu être.

 

Priscilla : affiche

Résumé

Si Sofia Coppola trouve en l'histoire de Priscilla Presley le sujet parfait pour épouser son style poudré et éthéré, la réalisatrice se refuse à donner la moindre consistance à son récit et à ses personnages. À force de vouloir représenter la prison dorée d'une jeune femme, Sofia Coppola en a un peu trop bien restitué l'impression de coquille vide.

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Lecteurs

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commentaires
Sanchez
20/01/2024 à 23:40

Effectivement elle ne sait pas foulé la Sofia. Priscilla est un film sans prétention mais également sans ambition. Le film n’est pas mauvais en soit si on le regarde comme un film du dimanche soir. Mais si on le regarde en tant que cinéphile aguerri, on se rend compte que la dame a non seulement survolé les thèmes de son film (il ne l’a b*ise pas pendant les 3/4 du film et d’un coup il lui fait un gosse sans qu’on ait vu comment l’affaire s’est résolue) , mais qu’elle a aussi emballé ça sans aucune originalité! Pour commencer, le chef opérateur a bien fait ses cadrages (sans genie) mais il a la plupart du temps oublié d’allumer la lumière. On y voit pas grand chose la plupart du temps. Ensuite sa mise au scène se résume au minimum syndicale : par exemple quand il faut présenter Los Angeles, on aura un plan sur les palmiers de beverly hills suivi d’un plan de Cilla qui saute dans une piscine. Quelle inventivité !
On retiendra la super performance de la petite et de Jacob Elorny, bien meilleur Elvis qu’Austin Butler qui n’avait aucun rapport physiquement. Et ça finit sur Dolly Parton , merci.
Ça se regarde mais la réalisatrice n’a rien à dire de passionnant sur cette histoire.

Apocalypse Mouais
04/01/2024 à 16:26

Ah, Sofia Coppola, la maîtresse incontestée du cinéma centré sur le nombrilisme. Son dernier film promet sûrement de nous offrir une nouvelle immersion dans la vie captivante de jeunes femmes qui passent leur temps à contempler le néant.
Peut-être que cette fois-ci, nous aurons droit à des plans étendus de jeunes femmes contemplatives, fixant des points invisibles dans l'horizon, tandis que la musique indie joue en arrière-plan pour renforcer l'intensité émotionnelle de la scène.

Euh
04/01/2024 à 15:06

Comme déjà dit par Karev, du Sofia Coppola. "Joli" mais totalement vain

Karev
03/01/2024 à 18:40

Ba du Sofia Coppola quoi ? L'équivalent ciné d'une rédactrice New-Yorkaise d'un magazine de mode luxueux, la seule nana sur terre qui ignore le contexte historique de la révolution en tournant un film sur Marie-Antoinette ou bien vire le personnage de la femme esclave noire pour son remake des Proies car "je ne veux pas faire du cinéma politique" (!!).

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