How to Have Sex : critique d'un voyage au bout de la nuit

Mathieu Jaborska | 15 novembre 2023
Mathieu Jaborska | 15 novembre 2023

Vous qui êtes tombés sur cet article en quête d'un tutoriel, ne partez pas trop vite. Car How to Have Sex, bien que récompensé du Prix Un Certain regard au Festival de Cannes 2023, raconte en effet avec une sensibilité rare la pression de la "première fois", dans un contexte festif. L'ex-cheffe opératrice Molly Manning Walker y est même largement plus pertinente que l'intégralité des autres résultats de votre moteur de recherche... sans pour autant vous ménager.

Attention, spoilers.

Don't stop the party

Techniquement, le "Spring break" est une semaine de vacances accordée aux étudiants nord-américains. Le cinéma s'est plus souvent attardé sur les vacances festives que prennent certains de ces étudiants à cette occasion, dans des stations balnéaires quasiment dédiées à leur petit plaisir. Les images des fêtes supposément débridées s'y déroulant, pour certaines tournées dans la capitale du Spring break Cancún, ont construit un certain mythe de la débauche étudiante en maillot de bain, sur fond d'EDM pourrie et d'alcool à volonté, de la chair à canon siliconée de Piranha 3D aux poursuites en chemise hawaïenne de 22 Jump Street.

Bien entendu, d'autres cinéastes ont décidé d'ausculter les travers évidents de l'orgie estivale, faisant s'écouler plus de vomi que de semence fraiche. Difficile de ne pas mentionner le très commenté Spring Breakers de Harmony Korine, portrait coloré et trashouille d'une génération déglinguée par une superficialité poussée dans ses retranchements. À première vue, How to Have Sex s'inscrit dans la continuité de ces oeuvres, en racontant, dans une temporalité très resserrée et à un rythme effréné, les pérégrinations d'un trio d'adolescentes venues goûter aux effluves de piscines remplies de sueur et de bière tiède, de boites de nuit à ciel ouvert et de corps désirables.

 

How to Have Sex : photoBienvenue en enfer

 

Sauf qu'au fil du récit, Molly Manning Walker, ancienne cheffe opératrice à la fois scénariste et metteuse en scène, se concentre moins sur l'iconographie excessive attachée à la fête qu'à ses héroïnes, et plus particulièrement à Tara, incarnée par une incroyable Mia McKenna-Bruce. Elle privilégie souvent la longue focale, la distinguant de son environnement bariolé, auscultant les effets du Spring Break sur la jeune femme plutôt que le Spring Break lui-même. Et quand elle ouvre son cadre, c'est pour parcourir dans quelques plans saisissants les rues dévastées par l'évènement.

Bref, ici, le Spring break n'est pas plus un simple décorum qu'une exagération outrancière des travers d'une génération. Il s'agit d'un rite de passage tumultueux pour les protagonistes, à ce moment crucial de leurs études (ils sont entre le lycée et les études supérieures) – donc de leur vie. Cette semaine, sorte de tourbillon d'hormones et d'aspirations parfois par ailleurs assez joli, est à la jonction de leur enfance et de leur vie d'adulte. Elle devient de fait un goulot d'étranglement pour toutes les pressions qu'ils subissent.

 

How to Have Sex : photoHeureusement, ils ne boivent pas de Pastis

 

Like a virgin

Dès qu'elles ont envahi leur chambre d'hôtel, Tara se voit investie d'une mission par ses camarades : coucher avec un homme. Car les fausses vacances de How to Have Sex sont certes un précipité de nombreuses pressions adolescentes, entre l'injonction à la fête, le stress des examens, des résultats, de l'après. Mais la plus palpable reste bel et bien ce couperet du sexe, rappelé inlassablement. Pas question de partir en quête de plaisir. Il faut se débarrasser de ce poids constamment abordé sur le ton de la plaisanterie, mais très lourd à porter.

 

How to Have Sex : photoUne dynamique fascinante

 

Le récit, de concert avec la mise en scène harnachée à son héroïne, va par la suite aborder le paramètre essentiel absent de ce programme festif : le consentement. C'est dans ce rite de passage organisé plus ou moins subtilement pour la jeune femme que s'organise son viol. Le sujet est dur, mais grâce à cette caractérisation remarquable, Molly Manning Walker parvient à cerner à la fois le contexte et la violence de l'acte, sans pour autant réaliser de scènes particulièrement graphiques. Loin des représentations éculées des violences sexuelles héritées du cinéma américain, elle encapsule un climat, une culture. La fameuse culture du viol prend forme.

Son approche repose donc entièrement sur le ressenti de son héroïne et par conséquent, inévitablement, sur une certaine expérience féminine. D'ailleurs, le rédacteur de ce texte était d'abord plutôt mal à l'aise à l'idée de s'occuper d'un tel long-métrage, qui a pour vocation de décrire une phase précise de la vie de ses personnages à un large public, mais qui s'appuie sur un point de vue de femme, au point d'ailleurs de mettre en scène en guise de touche d'espoir finale une forme de sororité.

 

How to Have Sex : photoOu comment dissimuler la violence psychologique pour ne pas gâcher la fête

 

Toutefois, force est de constater qu'en choisissant justement le contexte du Spring break pour concentrer toutes les pressions adolescentes les plus vicieuses dans une gigantesque foire du paraître étalée sur quelques jours, elle décrit un système rondement mené auquel ils sont beaucoup à participer et qu'elles sont beaucoup à subir. Inconsciemment ou pas, chacun a sa place dans cette redoutable machine dissimulée dans les jeux à boire. La cinéaste ne s'empêche pas de s'intéresser aux personnages secondaires, qu'il s'agisse du violeur ou de ses amis qui fermeront plus ou moins volontairement les yeux sur ses agissements.

Alors que les groupes se séparent, sans même verbaliser le malaise qui flotte dans cette station balnéaire jonchée de déchets, l'ironie du titre éclate. De même que l'importance du film, peut-être auprès d'un jeune public qui s'interroge lui aussi sur sa sexualité future.

 

How to Have Sex : affiche

Résumé

Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice et en retournant judicieusement l'image d'Épinal du Spring break, Molly Manning Walker parvient à caractériser un dangereux rite de passage adolescent qui ne dit pas son nom.

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Lecteurs

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commentaires
Euh
21/04/2024 à 19:26

Le film ne parle pas du tout de Spring break, pas du tout dans la culture britannique, plutôt de jeunes (comme beaucoup d'anglais) qui vont faire la fête en Espagne et se permettre tout ce qu'ils ne peuvent faire dans leur pays (une vraie plaie d'ailleurs). Passée cette précision, voilà encore un film qui ne raconte rien qui n'aurait pu être traité en 20min, encore un pétard mouillé, on pardonnera à la réalisatrice car c'est son premier film,..

Miss M
13/12/2023 à 11:45

@ChaosEngine : +1.... entièrement d'accord avec toi. Je me suis laissée emporté par la critique ici et je suis allée le voir in-extremis dans un cinoche du coin. Mal m'en a pris.

ChaosEngine
27/11/2023 à 15:54

Bof bof bof, beaucoup de bruit pour rien pour ce film.
C'est très creux, je pense qu'en condensant le film, un format court métrage de 10-15 mn aurait suffi à délivrer le même message, sans rien perdre du peu de substance qu'il propose (le reste c'est grosso modo des scènes décérébrées de beuverie, danse en boîte, ou pool party). Les dialogues intéressants sont rarissimes.
Décevant, le thème abordé mériterait un meilleur traitement.

batman
18/11/2023 à 23:00

Je viens de le voir 5/5

arthus
16/11/2023 à 00:46

Au lieu de s'obliger à préciser qu'il est un homme, l'auteur aurait pu préciser qu'il s'agit d'étudiants anglais, nous ne sommes pas dans le spring break américain de Cancun, mais en Grèce avec la culture anglo-saxonne.

Kyle Reese
15/11/2023 à 19:30

Je pensais avec ce titre que cela allait être un énième film lambda provoc pour adolescents boutonneux et bah non ça a l'air sincère et poignant comme film. Tant mieux.

Flyn
15/11/2023 à 17:53

Ils ba*se toujours en sous-vêtements ou pas ?

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