Marchands de douleur : critique qui enfonce des portes ouvertes sur Netflix

Antoine Desrues | 27 octobre 2023
Antoine Desrues | 27 octobre 2023

Non content d’avoir transformé la saga Harry Potter en franchise de yes-man par la réalisation des volets 5 à 8 (désolé les fanzouzes, mais on est loin du Prisonnier d’Azkaban), David Yates n’a cessé de nous endormir avec la franchise des Animaux fantastiques. Bien décidé à prendre une petite pause du monde des sorciers après cette suite de fiascos, le bonhomme a essayé de redorer son blason Poufsouffle avec Marchands de douleur sur Netflix, qui retrace l'un des scandales de la crise des opioïdes aux États-Unis, avec Emily Blunt et Chris Evans.

En manque de vitamines

Il suffit de quelques minutes à Marchands de douleur pour nous faire comprendre dans quoi il nous embarque. Voix-off sentencieuse qui part de la fin de son histoire, fausses interviews en noir et blanc, arrêts sur images à des moments charnières : le film suit le parfait petit guide du drame indigné sur les affres du capitalisme, en se réappropriant les gimmicks qui ont permis à Adam McKay de le dynamiser depuis The Big Short.

Qu’on aime ou pas ce modèle, son ersatz n’en tire qu’une piètre caricature et en oublie l’essentiel. Par ses ruptures de ton ironiques et ses apartés, le montage hétérogène de McKay n’a jamais eu pour seul but de rythmer des récits aux ramifications complexes, voire imbuvables. Ses films reflètent le besoin méta d’un temps d’arrêt et de réflexion face à des situations proprement hallucinantes. Que les personnages en soient complices ou résistants, ils font face à une marche du monde inarrêtable, que la suite de plans du cinéaste transforme en un unique mouvement terrifiant.

 

Marchands de douleur : photoOk, le casting est pas mal

 

Mais pour cela, encore faut-il qu’il y ait des personnages pour donner vie à cette escalade, car celle-ci ne peut décemment se contenter d’une accumulation d’effets-choc et frénétiques. Malheureusement, Marchands de douleur se contente de cette surface confortable pour traiter de la crise des opioïdes aux États-Unis, en s’attardant plus précisément sur le cas de la société pharmaceutique Insys (renommée ici Zanna) et de son médicament Subsys (Lonafen dans le film), un antidouleur pour les patients atteints de cancer.

Composé de fentanyl, un analgésique hautement addictif, Subsys a pourtant été prescrit par de nombreux médecins en dehors des cas de cancer, grâce aux diverses magouilles de responsables marketing de l’industrie pharmaceutique bien connus pour forcer la main. Et si le long-métrage se base sur l’enquête d’Evan Hughes publiée dans le New York Times, il y insère ses propres personnages, à commencer par Liza Drake (Emily Blunt), femme en galère qui obtient par hasard un poste à Zanna, avant d’en gravir les échelons.

 

Marchands de douleur : photo, Emily Blunt"Quoi ? L'eau ça mouille ?"

 

Big Pharma pour les nuls

Le problème, c’est que Marchands de douleur n’assume jamais le profond cynisme de son sujet, et l’aborde avec la candeur d’un bisounours qui enfoncerait des portes ouvertes à la chaîne. David Yates et le scénariste Wells Tower balisent le terrain, et font tout de suite d’Eliza un point d’entrée logique pour le spectateur dans cet univers. Comme lui, elle croit innocemment au bien-fondé de sa start-up ultra-libérale, et provoque son succès par ses talents de femme entreprenante, qui doit par ailleurs payer les soins de sa fille malade.

En bref, le long-métrage ne fait aucunement des dilemmes moraux de son héroïne un sujet, puisqu’elle est vite dépassée et atterrée par les pots-de-vin en rafale, les “colloques” sous forme de vacances attrayantes et autres méthodologies illégales de ce qu’on appelle désormais Big Pharma, comme si rien de tout cela n’était de base un secret de polichinelle.

 

Marchands de douleur : photo, Emily Blunt, Chris Evans, Amit ShahÀ la recherche de la subtilité

 

À l’heure où la crise du Covid a mis en lumière la cruauté d’une industrie qui a plus à gagner en soignant une maladie qu’en la prévenant, les reconstitutions de scandales médicaux ont trouvé une place de choix dans la fiction contemporaine (Dopesick, Painkiller...), notamment pour s’attarder sur un passé qui se répète, encore et encore. Autant dire que David Yates avait un boulevard pour complexifier cet état de fait, et explorer des personnages détestables, inexorablement pervertis par l’appât du gain.

En lieu et place, Marchands de douleur trace une ligne morale très claire, en contrastant la prise de conscience ridicule de Liza face à ses camarades criminels, à commencer par le PDG de Zanna, Pete Brenner (Chris Evans) et son investisseur principal, le Dr. Jack Neel (Andy Garcia). Leur descente aux enfers ne s’incarne qu’au travers de gueulantes poussées, puisque le film n’a alors plus aucune envie d’interroger un système de santé nécrosé de l’intérieur.

Son histoire devient alors un bête conte moralisateur avec des gentils, des méchants et des personnages en quête de rédemption. Son casting quatre étoiles (plutôt investi par ailleurs) a beau sauver l'ensemble de sa binarité, il ne peut pas rattraper le film de ses invectives neuneus. Le pamphlet, c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique.

Marchands de douleur est disponible sur Netflix depuis le 27 octobre 2023.

 

Marchands de douleur : Affiche US

Résumé

David Yates a cette capacité incroyable à non seulement copier ses camarades (ici Adam McKay), mais surtout à diluer la moindre bonne idée comme un cachet d’aspirine dans trop d’eau.

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commentaires
Bonjour à tous
08/11/2023 à 08:07

"À l’heure où la crise du Covid a mis en lumière la cruauté d’une industrie qui a plus à gagner en soignant une maladie qu’en la prévenant"
Faudrait m'expliquer car rien ne soigne le COVID et vous n'avez rien compris au système car jamais Big pharma ne préviendra une maladie d'ailleurs Big pharma ne prévient aucune maladie.

Drachiam
31/10/2023 à 14:39

@Flo et Gygusss : la meilleure reste Dopesick

Guihero
30/10/2023 à 14:46

Encore un film raté de David Yates, que c'est étonnant ! (non)

gyguss
29/10/2023 à 17:27

Très bon film genre le loup de wall street et 1000 fois mieux que la série soporifique paintkiller

Flo
27/10/2023 à 18:10

Sur le sujet du scandale des opioïdes, il vaut mieux regarder "la chute de la maison Usher" qui est géniale.

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