Le Vourdalak : critique libertine

Judith Beauvallet | 25 octobre 2023 - MAJ : 25/10/2023 16:47
Judith Beauvallet | 25 octobre 2023 - MAJ : 25/10/2023 16:47

Premier long-métrage du réalisateur français Adrien BeauLe Vourdalak est un film artisanal, s’il en est, inspiré d’une nouvelle d’Alexis Tolstoï (cousin éloigné de Léon) racontant une légende d’Europe de l’Est dans laquelle prend en partie racine le mythe moderne du vampire. Avec Kacey Mottet Klein et Ariane Labed au casting, cette proposition aussi modeste dans ses moyens qu’originale et culottée dans son exécution prouve que le cinéma de genre français en a encore sous la pédale, surtout là où on ne l’attend pas. Attention : légers spoilers.

L'heure du conte

La nouvelle d’Alexis Tolstoï publiée en 1884, La Famille du Vourdalak, avait déjà fait l’objet d’adaptations au cinéma par le passé, notamment par Mario Bava en 1963 avec Les Trois Visages de la Peur, et par Giorgio Ferroni en 1972 avec La Nuit des Diables. Mais, éclipsé par ses proches parents, les vampires et les loups-garous, le vourdalak est une figure encore méconnue du cinéma de genre. Pourtant, Adrien Beau et son co-scénariste Hadrien Bouvier ont bien saisi tous les ressorts dramatiques permis par sa légende.

Un vourdalak n'est pas un aristocrate pâle et sexy errant entre les tapisseries de son château, mais un monstre trompeur pouvant survenir dans n’importe quelle famille. Ici, celle vivant dans une chaumière perdue au fin fond de la forêt, et dont le patriarche Gorcha avait prévenu : s’il ne revenait pas au bout de six jours, c’est qu’il aurait été tué au combat. Et s’il devait revenir après ces six jours, il ne faudrait pas lui ouvrir la porte parce qu’il serait alors devenu une créature maudite, le vourdalak.

 

Le Vourdalak : photo, Kacey Mottet Klein, Ariane LabedCar les morts vont vite

 

L’intention du film est claire dès les premières images et les premières répliques : il ne s’agit pas d’actualiser la légende, mais bien au contraire de la raconter comme la fable qu’elle est, et de conserver tous les codes du conte. Les personnages aux bases archétypales (même si certains intègrent habilement des réflexions modernes sur les questions de genre et de sexualités, thèmes inhérents aux histoires de vampires) sont les briques d’un récit simple et à la morale évidente, mais qui mise justement sur la beauté et l’efficacité d’une histoire universelle et accessible.

Il en va de même pour la forme : cadre bucolique, mais enveloppé d’une brume diffuse et mystérieuse, dialogues succincts et presque poétiques au vocabulaire emprunté, jeu d’acteur théâtral... Tout est fait pour rappeler les images traditionnelles d’histoires pour enfants, dont le pendant sombre était à une époque très prégnant, afin de mettre les bambins en garde contre les horreurs de la vie. Mais ici, il ne s’agit pas de miser sur un univers flamboyant à la Tim Burton, au contraire : c’est toute la simplicité d’un fantastique qui surgit à l’heure où blanchit la campagne qui va suggérer la richesse de cet imaginaire.

 

Le Vourdalak : photo, Kacey Mottet, Ariane Labed, Vassili SchneiderQuand tu manges la bouche ouverte

 

Cendres de Lune

Adrien Beau revient à un baroque plus discret et rétro, avec une image au grain très présent et une atmosphère qu’on croirait parfois tirée des premiers clips de Mylène Farmer. En voyant arriver à l’écran Kacey Mottet Klein affublé de sa perruque, de sa poudre blanche et de sa mouche sur la joue, on le dirait échappé du clip/court-métrage qui avait accompagné la sortie du tube Libertine, inspiré lui-même de l’univers des Liaisons Dangereuses, mais passé à la moulinette du ton gothique cher à la chanteuse.

Pour qui sera sensible au parallèle (intentionnel ou pas), celui-ci témoigne de la manière dont Beau parvient à insuffler un regard pop et moderne dans la forme pourtant très traditionnelle et artisanale déjà évoquée. Et l’élément principal qui reflète ce mariage est bien entendu le vourdalak lui-même, car la créature est en réalité figurée à l’écran par... une marionnette. Un choix audacieux à l’époque où le tout-CGI règne, et qui en déconcertera peut-être certains. Pourtant, le résultat est immédiatement payant (et ne vieillira jamais, contrairement aux effets numériques).

 

Le Vourdalak : photoUn reflet matinal comme un autre

 

Le visage du vourdalak, à l’animation manuelle et rudimentaire, est façonné de manière à ce que son regard d’outre-tombe et sa bouche décharnée soient aussi fascinants que dérangeants. Un peu à la manière de la stop-motion, cette façon de faire passer pour du vivant un objet matériellement réel, mais évidemment faux, crée une étrangeté qui n’a pas son pareil. Un pari étonnant remporté haut la main, d’autant plus que ce décalage ménage une respiration nécessaire pour assumer des touches d’humour bienvenues.

Du côté des inspirations, on croit aussi reconnaître quelque chose du peintre russe Ivan Bilibine, qui a copieusement (et superbement) illustré les contes et légendes de son pays au début du XXe siècle. Des fonds d’arbres entremêlés, des aplats de couleurs raffinées et des cadres aux arabesques et motifs champêtres... Autant d’éléments qui rappellent l’esthétique du Vourdalak.

 

Le Vourdalak : photoUn gros poutou de Papy

 

Un autre genre

Si ce côté “fait-main” général du film est ce qui fait son charme et sa singularité, c’est aussi ce qui en laissera certains sur le bord de la route et rendra le film difficilement exploitable auprès d’un grand public. Pourtant, oser faire ce genre de longs-métrages semble aujourd’hui capital. Si des propositions comme La Nuée ou Acide de Just Philippot, La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher ou Le Règne Animal de Thomas Caillet (pour ne citer que ceux-là) témoignent d’une ambition évidente d’installer le genre en France, Le Vourdalak est un spectacle encore très différent qui part sur des bases plus frêles et ne fonctionnent pas dans la même économie.

 

Le Vourdalak : photo, Ariane LabedLa véritable héroïne du film

 

Pourtant, en raison de ses partis pris esthétiques intelligents, le résultat ne souffre jamais de son petit budget (contrairement à certains de ses confrères pourtant plus ambitieux). Adrien Beau ramène la poésie d’anciennes productions décalées comme le film soviétique Vij, sorti en 1967, et plus généralement d’un certain cinéma de l’Europe de l’Est. Dans une moindre mesure, il est même permis de penser au film d’animation français culte Le Roi et l’Oiseau, avec sa beauté inquiétante et presque déprimante.

Bref, Le Vourdalak est un objet unique en son genre, surtout au regard de son époque, et on espère qu’Adrien Beau aura l’occasion de développer son talent dans de futurs films tout aussi originaux.

 

Le Vourdalak : Affiche française

Résumé

Une pépite inattendue qui brasse intelligemment tout un imaginaire de conte horrifique avec autant de simplicité que de talent. L'art de faire du renouveau avec de l'ancien et du moderne avec du traditionnel : un bijou artisanal qui ravira tous les fans de contes et légendes.

Autre avis Axelle Vacher
Conte désenchanté au grain poudré et à l'organicité viscérale, Le Vourdalak revisite un mythe pourtant bien éculé au gré des ans et des productions pour mieux s'en distinguer. Le récit propose ainsi une expérience simultanément fantaisiste et inextricable de notre réalité moderne.
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Lecteurs

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commentaires
Excellent film
21/03/2024 à 17:02

Vu en streaming il y a peu. une petite pépite. Pas très flippant mais à la fois beau et glauque.

Ne vous fiez pas aux commentateurs claqués ci-dessous ayant le culot d'écrire un énorme pavé en ayant vu une bande annonce.

Film qui ne fait pas amateur et dont le grain d'image critiqué et le réalisme du "monstre" sont des pures choix esthétiques. Et non dûs à un manque de moyen comme blablaté par les critiques yelp de bande annonces

Obi
28/10/2023 à 08:43

Ça fait très très envie !!! Mais ma ville de province ne le passera jamais ;(

Morcar
26/10/2023 à 10:29

Ce coup-ci, malgré votre avis enjoué, je n'irai pas. J'ai regardé la bande-annonce, et il faut être honnête, on voit des plus beaux films sur YouTube. On devine que le budget est très limité, ce qui explique la photographie dégueulasse, les costume cheap, et les effets tout aussi vétustes, mais ça n'explique pas le jeu d'acteur. On croirait voir un premier film tourné par un ado avec ses potes dans la forêt d'à côté en utilisant la caméra de papa qui ne sert habituellement que pour les communions.
Non, sérieusement, je suis le premier à défendre le cinéma français (mon tout dernier film en salles était l'avant-première mardi du "Théorème de Marguerite"), à considérer qu'on a chaque année énormément de bons films français contrairement à ce que prétendent certains, mais là, ce film parait difficile à défendre. Même "Vaincre ou Mourir" 'avait l'air mieux fait...

Grey Gargoyle
25/10/2023 à 23:28

J'ai vraiment envie de le voir ce film mais où ? :-(

Grey Gargoyle
25/10/2023 à 23:09

Hello,
pour celles et ceux que cela pourrait intéresser, les broucolaques sont des créatures légendaires européennes dont les caractéristiques changent d'un pays à l'autre suivant les histoires locales : sorcier, revenant, vampire, lycanthrope, gobelin...
Je trouve que le Nosferatu imaginé par Friedrich Wilhelm Murnau, Albin Grau, Henrik Galeen et Max Schreck en est une version syncrétique.
Bien cordialement

Fuck
25/10/2023 à 20:46

Combo inattendu film français et film mal distribué
Et bim 20 étoiles
C'est énorme

XG58
25/10/2023 à 18:49

Deja dispo en téléchargement illégal. La jaquette m'inspire guère et que dire de l'époque choisi. Au revoir

Fox
25/10/2023 à 17:39

@fuck
Avec l'UGC des Halles aussi.
Mais bon... 2 cinoches sur tout Paris et banlieue, ça fait quand même pas lourd.

Coucouhibou
25/10/2023 à 17:39

De ce que j'en lis, la distribution n'est pas à la hauteur de l'oeuvre. Espérons un destin Blu-ray/DVD plus souriant, afin d'en faire profiter le plus grand nombre.
Je verrais bien Potemkine ou Carlotta se charger de l'édition.

fuck
25/10/2023 à 17:34

Il passe au MK2 Bibliothèque.

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