Club Zéro : critique d'une manipulation mentale

Alexandre Janowiak | 28 septembre 2023 - MAJ : 28/09/2023 11:34
Alexandre Janowiak | 28 septembre 2023 - MAJ : 28/09/2023 11:34

Alors que son Little Joe, étrange revisite de L'invasion des profanateurs de sépultures ayant reçu le prix d'interprétation féminine pour Emily Beecham à Cannes en 2019, était passé assez inaperçu, Jessica Hausner a fait son grand retour sur la Croisette en 2023 avec Club ZéroUne petite fable noire provocatrice sur une secte nutritionnelle menée par sa jeune professeure bien sous tout rapport (Mia Wasikowska) dans un lycée qui a fait légèrement scandale à Cannes (tout en repartant tristement les mains vides).

la faim justifie les moyens

Dès son carton d'introduction prévenant que son film contient des "scènes de contrôle du comportement et de troubles de l'alimentation associés" pouvant déranger certains spectateurs, Jessica Hausner annonce la couleur tout en mettant en garde les âmes sensibles et les individus concernés par le sujet. Et c'est important de le préciser tant le film semble avoir été incompris sur ce point : non, la réalisatrice ne veut pas se moquer des personnes touchées par des TCA (troubles du comportement alimentaire), ce qui serait franchement pathétique.

Au contraire, l'Autrichienne s'avise à représenter les personnes souffrant de TCA de manière digne et bienveillante. Toutes les scènes de TCA se déroulent ainsi en hors-champ à l'image d'une jeune lycéenne se faisant vomir dans les toilettes de ses parents juste après un repas. Les précisions finales du générique indiquant que "les transformations physiques suggérées à l'image ont été effectuées à l'aide d'effets visuels, de maquillages et des costumes" et incitant les personnes touchées par les TCA à consulter des professionnels de santé sont, par ailleurs, plus que bienvenues.

 

Club Zero : photoManger peu pour aller mieux ?

 

Ce n'est finalement que lorsque ce choix de (non)-alimentation mue en quasi-décision politique, en engagement militant ou réelle conviction (à cause d'un lavage de cerveau), que la cinéaste les porte à l'écran sans détour (une scène de vomi particulièrement violente). Et c'est ici que se joue la fine frontière entre le biais (les TCA, ces maladies mentales) et la véritable intention de la réalisatrice : tourner autour de ces troubles du comportement alimentaire pour mieux s'intéresser à une myriade de sujets passionnants sur les maux de notre époque.

Inspirée par sa propre éducation dans une école catholique dans les années 80 où plusieurs de ses camarades souffraient d'anorexie et où s'alimenter peu était une idée acquise et acceptée, Jessica Hausner a voulu s'intéresser aux origines (possibles) de ces comportements. Club Zero raconte en effet la manière dont Miss Novak, une jeune professeure de nutrition, va prendre peu à peu la tête d'un petit groupe de lycéens dévoués à son précepte, soit "l'alimentation consciente". Avec son cours, elle va complètement bousculer leur habitude alimentaire jusqu'à carrément leur faire croire à l'impensable : il est possible de vivre sans se nourrir.

 

Club Zero : Photo Mia WasikowskaUne gourou qui a du style, et c'est tout le problème

 

little jeûne

Si sa mise en scène est d'une terrifiante froideur et un peu trop démonstrative (sans compter la bande-originale grinçante de Markus Binder), Jessica Hausner s'en sert justement habilement pour montrer la mainmise progressive de la professeure (excellente Mia Wasikowska) sur les lycéens. Longs zooms, plans circulaires, jeux de cadres... la cinéaste donne peu à peu le pouvoir à Miss Novak. Rapidement, elle prend en otage la caméra, accaparant l'image qui était pourtant dévolue à d'autres (les lycéens, la directrice...) pour mieux se poser en forme d'autorité jeune et dynamique, (faussement) proche des préoccupations d'adolescents en proie à de profonds malaises intimes et familiales.

La famille, ou plutôt son absence tragique, est d'ailleurs un des sujets les plus frontaux de Club Zéro : tous les lycéens ont des relations complexes ou inexistantes avec leurs parents. Dans le lot, la mère d'Elsa, ado boulimique, refuse d'en parler avec sa fille alors même qu'elle a conscience du problème ; Ragna est étouffée par ses parents (son père est trop prévenant, sa mère très indélicate "Ce cours t'aidera à faire attention à ton poids") ; Ben a une mère veuve aux moyens limités et Fred vit en pensionnat (ses parents étant partis à l'étranger alors qu'il est diabétique). Une défaillance parentale dont la professeure va se servir pour mener à bien son horrible mission.

 

Club Zero : photoUne proviseur plus préoccupée par son propre reflet que ses élèves

 

"Leurs parents les négligent et il nous revient de leur donner toute l'attention et affection dont ils ont besoin", affirme d'ailleurs la proviseure – Sidse Babett Knudsen dans ses plus beaux costumes –, complice inconsciente de ce déraillement dont va profiter Miss Novak. En les isolant un à un (cours particulier et sortie à l'opéra avec Fred, balade avec Elsa) pour sembler proche d'eux, de leur côté, ou en s'appuyant sur l'autorité de la proviseure pour Ben (déstabilisé par le regard des autres à cause de sa situation de boursier), Miss Novak va les manipuler pour créer un (faux) cercle de confiance.

En feignant de tirer le meilleur d'eux-mêmes, elle réussit à construire une force collective (un étrange chant de groupe) d'où va naître une forme de respect et considération mutuels entre les lycéens, soit exactement ce qu'ils ne trouvaient plus-pas chez eux. En se présentant en alternative à leur peine, douleur, tourment... Miss Novak devient leur porte de sortie et ses recommandations, celles d'une figure parentale de substitution loyale, compréhensive, empathique (et même intime).

 

Club Zero : photoUn groupe de plus en plus uni et solidaire (à quelques exceptions près)

 

abus de confiance

Une substitution parentale (et familiale plus globalement) qui vient pointer du doigt avec vigueur la dangerosité grandissante entourant les plus vulnérables, et notamment les enfants-adolescents. Car c'est bien ce qui ressort violemment de Club Zero : la manière dont les plus fragiles-manipulables peuvent se faire endoctriner par une figure qu'ils admirent, dès lors qu'ils ne sont pas suffisamment accompagnés. Jessica Hausner va d'ailleurs encore plus loin à travers son film.

L'idée d'enrôlement est au coeur des derniers films de l'Autrichienne à l'image de l'embrigadement suicidaire amoureux de Amour fou  ou de l'embaumement manipulateur de la fleur de Little Joe. Et outre la dénonciation évidente des réseaux sociaux sur le comportement des jeunes (challenges TikTok de plus en plus idiots, influenceurs de pacotille) dans Club Zero, Jessica Hausner semble s'inquiéter, in extenso, de la prolifération des faux-prophètes dans le paysage politique, social, sanitaire et médiatique (internet, toujours et encore) pour des causes conspirationnistes.

 

Club Zero : photoLe club des cinq

 

À une époque où des anti-vax et des figures de santé publique ont joué de leur popularité-réputation pour tromper des millions de personnes sur la pandémie (coucou Didier Raoult et ton hydroxychloroquine), où les complotismes type QAnon et One Nation (voire certaines institutions religieuses, en particulier les sectes) envahissent le net, Club Zero se veut incontestablement une satire terrifiante sur le rejet édifiant de la science dans notre société. Et c'est en cela qu'utiliser ces maladies mentales si identifiées du grand public (les TCA) pour parler du sujet de l'endoctrinement sur une jeune population, la plus touchée par les TCA, est profondément pertinent, universel (et intemporel).

Car ce qui ressort de Club Zero, c'est d'autant plus l'idée que la démonstration, la vérification et le savoir scientifique, à propos de n'importe quel sujet, n'importe quelle croyance, semblent devenir l'ennemi d'une population se sentant abandonnée depuis des années par les autorités et autres instances gouvernementales. Et alors, comment ne pas craindre le pire, quand il semble de plus en plus facile d'engendrer une croyance insidieuse dans les esprits, en l'affirmant simplement aux yeux du monde, sans avoir besoin de le prouver et en trouvant simplement le moment opportun pour l'inculquer sans être contredit ? Glaçant.

 

Club Zéro : Affiche française

Résumé

Avec une précision maladive, Jessica Hausner déploie un drame radical et provocateur avec Club Zero, satire glaçante sur la création d'une secte, la manière dont les plus vulnérables se font endoctriner et le rejet croissant de la science.

Autre avis Geoffrey Crété
Que faire de cette fable cruelle, caustique et cinglante, qui vomit sa misanthropie en gardant le sourire ? Ce doute mi-drôle mi-inquiétant est le meilleur aspect de Club Zero, même si Jessica Hausner reste un peu trop dans la posture du départ pour aller au bout de ses idées.
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Lecteurs

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commentaires
Necroko
29/09/2023 à 02:50

Pourrait m'intéresser (en DVD surement)

Cidjay
28/09/2023 à 13:15

un sérieux concurent à FAT (2013) !

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