Le Comte : critique d'un monstrueux vampire sur Netflix

Alexandre Janowiak | 15 septembre 2023 - MAJ : 15/09/2023 17:48
Alexandre Janowiak | 15 septembre 2023 - MAJ : 15/09/2023 17:48

Avant que Chloé Zhao s'empare de la figure de Dracula dans un western de science-fiction et que Robert Eggers concrétise son Nosferatu, Pablo Larraín a décidé de revisiter la figure du vampire d'une façon beaucoup plus originale avec Le Comterécompensé du prix du scénario à la Mostra de Venise 2023. Ici, c'est Augusto Pinochet (incarné par Jaime Vadell) qui est dépeint en vieux vampire, vivant sur Terre depuis 250 ans et désireux de mourir, déprimé par l'ennui. Un faux-biopic mêlant l'horreur sanglante, la comédie noire et la satire politique avec plus ou moins de réussite sur Netflix.

augusto

Augusto Pinochet est mort en 2006... en tout cas, de ce que l'on en sait. En vérité, le dictateur chilien est toujours en vie, car c'est un vampire. De son vrai nom, Claude Pinoche est né en France en pleine Révolution française. Fidèle sujet de Louis XVI, il s'est promis de venger sa mort et celle de Marie-Antoinette en luttant contre n'importe quelle forme de révolution. Passé par la Russie, l'Algérie ou encore Haïti au fil des siècles, le vampire a finalement atterri au Chili où il s'est renommé Pinochet, a accédé au pouvoir absolu en 1973 et est devenu un millionnaire invincible.

Malheureusement pour lui, les autorités l'ont coincé pour crimes et corruptions après près de 40 ans de règne. Pinochet a donc décidé de simuler sa mort (un de ses pouvoirs de vampire) pour pouvoir s'envoler vers d'autres contrées. Sauf qu'à 250 ans, vivant reclus avec sa femme et son majordome au milieu de nulle part, constatant "l'ingratitude" du peuple chilien à son égard et la roublardise de ses enfants ne pensant qu'à leur héritage, il ne songe désormais qu'à une chose : mourir.

 

El conde : photoUn fantôme bien vivant

 

Avec ce pitch de départ, difficile de ne pas être intrigué par Le Comte (alias El Conde dans sa version originale) revisitant à sa manière la vie du dictateur. Un faux-biopic dont Pablo Larrain s'est fait le spécialiste ces dernières années avec Jackie et Spencer (et prochainement Callas), lui ayant permis de jongler entre les genres. Spencer plongeait, par exemple, tête baissée dans le film de fantômes, voire le genre horrifique, avec son château labyrinthique et son huis clos oppressant rappelant au bon souvenir de Shining.

Avec Le Comte, le Chilien s'amuse donc à pasticher le film de vampires (voire les vieux films d'horreur fantastiques de la Hammer) dans un noir & blanc somptueux. Et durant les virées nocturnes de ce Dracula moderne à Santiago, on apprend alors comment tuer une personne en l'empêchant de crier ou pourquoi il ne faut surtout pas transpercer son coeur dans un petit précis du guide du vampire aussi drôle que carnassier. Pablo Larrain n'y va d'ailleurs pas de main morte en flirtant avec le gore à plusieurs reprises entre les dégustations goulues de litres de sang, les têtes fracassées, découpées, arrachées, les corps transpercés ou les cadavres sanguinolents jonchant sur le sol.

 

El conde : photoVoler vers la nuit

 

il était un comte

Bien sûr, la métaphore du dictateur assoiffé de sang est limpide (voire facile), mais le cinéaste réussit à créer une belle ambiance surréaliste. Et c'est d'autant plus passionnant que Le Comte symbolise une forme d'aboutissement dans sa carrière, étant le point de jonction parfait entre sa récente tendance à dépoussiérer les codes du biopic (Spencer, Jackie, Neruda) et son auscultation originelle des maux du Chili de l'ère Pinochet. Ainsi, Tony Manero racontait un pays déchiré par la dictature quand Santiago 73, Post Mortem explorait le coup d'État l'ayant mis en place et No dépeignait la campagne ayant mené à la transition démocratique du pays.

À travers ce retour aux sources, le réalisateur retrouve même une grande partie de ses acteurs fétiches. Outre Jaime Vadell dans la peau du vampire Pinochet et Antonia Zangers dans celle d'une de ses filles, c'est surtout l'excellent Alfredo Castro qui retient l'attention. Lui qui avait tourné dans tous les films du Chilien jusqu'à Neruda, sa partition dans la peau de ce majordorme-valet dévoué à son maître tout en cachant un sombre secret est assez jubilatoire.

 

Le comte : Photo Alfredo CastroCalife à la place du calife ?

 

Tout ça pour dire que si Le Comte se trouve donc à l'embranchement des deux facettes du réalisateur, il ne pouvait que s'attaquer à la figure d'Augusto Pinochet. Avec un ton sarcastique qu'il avait abandonné depuis quelques films, Pablo Larrain s'amuse ainsi à moquer le dictateur et ridiculiser sa famille. Il le fait bien sûr lors d'une scène de dîner de retrouvailles à l'ambiance délétère, mais c'est particulièrement le cas dans une jolie séquence d'interrogatoire incisive en milieu de métrage.

Interrogés par une curieuse nonne (la magnifique Paula Luchsinger), les enfants de Pinochet y révèlent l'enrichissement corrompu de leur père sans se rendre compte du mal qu'il a créé pendant que, de son côté, le vieux vampire chasse quelques proies faciles dans un montage parallèle à l'excellent tempo comique.

 

Le comte : Photo Paula LuchsingerLa Jeanne d'arc de Dreyer ?

 

un monstre parmi les monstres

Toutefois, cette petite satire politique du dictateur chilien se révèle assez maigre au fil des minutes. À trop vouloir s'enfoncer dans le genre, Pablo Larrain et son co-scénariste Guillermo Calderón semblent avoir omis d'approfondir leur raillerie. Car si les violences meurtrières, scandales financiers et conséquences sociales du règne de Pinochet sont pointés du doigt, ils sont rarement montrés de manière terrifiante, et paraissent presque trop penauds. Plus encore, le film s'emmêle surtout les pinceaux avec ses multiples directions.

En effet, Le Comte s'attarde aussi sur la religion chrétienne. À l'image de son El Club, dont Le Comte est extrêmement proche sur la forme avec son huis clos, Pablo Larrain veut dénoncer la vile hypocrisie de l'Église (qui n'avait jamais pris de position franche sur la gouvernance Pinochet durant son emprise). Bien que salvatrice pour mettre en avant les crimes du dictateur et leurs ravages sur la population, le personnage de la nonne subit une fonction hasardeuse, trop ambivalente pour être clairement comprise (ou trop ambiguë pour être cohérente).

 

Le comte : photoUne présence éternelle

 

Le mélange confus entre l'horreur, la comédie et le pamphlet politique est sans doute à l'origine des failles de ce patchwork ambitieux, mais franchement foutraque. Le twist du dernier tiers devrait d'ailleurs en faire tomber plus d'un de leurs canapés. Pour être honnête, l'idée historique et politique derrière ce rebondissement est loin d'être inintéressante. En reprochant avec colère le rôle des gouvernements occidentaux dans la durabilité du pouvoir Pinochet et l'éternelle répercussion néfaste de sa tyrannie sur le Chili contemporain, Pablo Larrain envoie un signal fort sur la fausseté des démocraties modernes (voire l'inéluctabilité de la transmission du Mal fasciste parmi les élites riches).

Cependant, cette révélation singulière sur l'identité de la narratrice est clairement tirée par les cheveux, rendant une démarche comique plus cérébrale que lyrique, intellectuelle qu'instinctive (sans compter la réflexion finale sur la parole des hommes et l'action des femmes). Et c'est vraiment regrettable tant Le Comte recèle d'instants poétiques fabuleux.

Car quoi de plus fabuleux que de nous laisser voir cet affreux vampire souffrir de la détestation de son ancien peuple et contempler sa propre fin, dénué de l'envie de vivre et simplement entouré des horribles sangsues qu'il a lui-même engendrées.

Le Comte est disponible sur Netflix depuis le 15 septembre 2023 en France

 

El conde : Affiche espagnole

 

Résumé

Avec Le Comte, Pablo Larrain confirme sa voix unique dans le paysage actuel. Dommage que son faux-biopic burlesque et vampirique ne soit pas aussi brillant que ses dernières créations.

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commentaires
Art
28/09/2023 à 20:42

Pinochet un grand homme ?il n’avait pas d’âme….comment vivre et dormir en paix ?

Pat Rick
15/09/2023 à 19:03

Film pas déplaisant mais après un début prenant il y a quelques longueurs.

Andarioch1
15/09/2023 à 18:24

salut,

oublions la délicate intervention du premier à avoir posté un commentaire et revenons sur cette phrase (la première):
Avant que Chloé Zhao s'empare de la figure de Dracula dans un western de science-fiction

franchement, Alexandre, tu ne t'es pas dit en l'écrivant, ou en te relisant, qu'on vit une époque surréaliste?
Aurais-tu pu imaginer il y a un an que tu écrirais ce genre de chose hors premier avril?

Perso j'en reste sans voix (mais pas sans doigt)

BôGoss
15/09/2023 à 17:31

Pinochet était un grand homme, paix à son âme.

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