Le Livre des solutions : critique débrouillarde

Antoine Desrues | 13 septembre 2023
Antoine Desrues | 13 septembre 2023

Qu’il agace ou fascine, Michel Gondry ne laisse pas indifférent. Ça tombe bien, puisque ces deux extrêmes conditionnent son dernier film, Le Livre des solutionsPierre Niney y incarne un alter-ego assumé du cinéaste, artiste hyperactif bouffé par ses névroses. Derrière le pari risqué d’une identification à un personnage imbuvable, Gondry signe une comédie aussi hilarante que touchante sur les affres de la création.

Sortir de ses Gond(ry)

En froid avec des producteurs qui ne comprennent rien à son œuvre, Marc fuit avec son film pour en finir la post-production. Accompagné par sa fidèle équipe, il part se cacher dans les Cévennes auprès de sa tante Denise, où il fourmille d’idées dans le chaos le plus total. Ce processus créatif est bien évidemment le cœur du dernier film de Michel Gondry, jusqu'à devenir une pure synthèse de son cinéma. De La Science des rêves à L’Écume des jours en passant par Soyez sympas, rembobinez, ses personnages se sont toujours distingués par leur imagination et leur manière de la matérialiser dans le monde réel.

Il y a chez Gondry une soif de l’artisanat, du fait main, voire de l’amateurisme sincère, en opposition aux grandes machines plus lisses de la culture. Un paradoxe pour un réalisateur qui a cédé, pour le meilleur et pour le pire, aux sirènes d’Hollywood. Quoi qu’il en soit, difficile de ne pas voir dans les grands enfants de ses films une part de lui-même. Mais Le Livre des solutions pousse cette logique bien plus loin, et s’assume comme une introspection totale, inspirée par certains épisodes de sa vie (dont la post-production difficile de L’Écume des jours).

 

Le livre des solutions : Pierre Niney, Blanche GardinLe calme avant la tempête

 

À ce titre, Pierre Niney est particulièrement savoureux dans l’exercice. Son tempo comique s’accorde à l’énergie débridée de Marc, où le montage se révèle incapable de contenir ses sautes d’humeur, ses passages du coq à l’âne et sa surexcitation permanente. D’aucuns pourront trouver le film insupportable au vu de ce protagoniste, mais là réside toute la tension d’un film tendre et touchant, qui embrasse le portrait de cette tornade éreintante.

Et si l’entourage de Marc, constitué de sa monteuse (Blanche Gardin), de son assistante (Frankie Wallach) et de sa tante (Françoise Lebrun) en est impacté, Michel Gondry rend un bien bel hommage à ces soutiens indéfectibles, agissant parfois dans l’ombre. Par amour, ou par simple reconnaissance du talent du cinéaste, ils tolèrent cet ego surdimensionné, jusqu’à un point de rupture inévitable. Le réalisateur ne fait jamais de son héros un artiste tout puissant, et prend le temps de construire cette opposition nécessaire, pour ne jamais se contenter de valider dans le rire ses comportements les plus extrêmes.

 

Le livre des solutions : Pierre NineySoyez sympas, coupez

 

Maaaaaaarc !

Dès lors, le ton léger du Livre des solutions cache – comme toujours chez son auteur – les angoisses plus profondes de ses protagonistes, et leur fuite en avant d’une réalité trop lourde à supporter. Dans le cas de Marc, cela devient même un paradoxe, puisque sa créativité boulimique se confronte à sa peur profonde du résultat final, à commencer par son film dont il refuse de voir le montage.

Dans ce paysage des Cévennes isolé et suspendu dans le temps, le personnage fantasme une stase, qui passe par une suite d’idées inabouties, qui relance encore et toujours la machine. Gondry y puise certaines des plus belles idées du long-métrage (l’irruption de stop-motion, l'histoire d'un renard qui veut devenir coiffeur ou encore le fameux "camionteur”, cette station de montage dans une fourgonnette) et une technicité toujours aussi virtuose. On pourrait reprocher à l’ensemble de se diluer sur la durée (y compris dans l’efficacité de l’humour, qui s’étiole dans la seconde moitié), mais il a aussi besoin de ces baisses de rythme pour refléter les multiples diversions que façonne Marc.

 

Le livre des solutions : Pierre NineyLa scène la plus magique du film

 

L’air de rien, sous ce retour à une plus petite échelle de production, Michel Gondry fait surtout évoluer thématiquement son cinéma, comme s’il assumait plus que jamais le rapport entre son inventivité visuelle et l’énergie auto-destructrice de ses personnages. Jusque-là, ses losers magnifiques trouvaient une raison d’être par la création, aussi maladroite soit-elle. L’art canalisait le corps et ses névroses, y compris quand le cinéaste explorait l’œuvre d’autres personnes. Le meilleur exemple est encore le clip mythique d’Around the World des Daft Punk, où la chorégraphie millimétrée des divers danseurs décomposait les sonorités démentes du duo casqué, pour mieux en appréhender le génie.

À l’inverse, Le Livre des solutions embrasse le bordel mental de son personnage, et son incapacité à affronter le fruit de son inventivité. Cette fois, la musique s’écrit d’ailleurs par le lâcher-prise corporel, lorsque Marc devient un étonnant chef d'orchestre (la meilleure séquence). Paradoxalement, Michel Gondry en est plus apaisé, et plus en phase avec ses propres échecs, qu’il s’amuse à mettre en scène dans l’un de ses opus les plus attachants.

 

Le livre des solutions : affiche

Résumé

En assumant un autoportrait décalé, Michel Gondry en tire l’un de ses films les plus touchants, forcément aidé par le jeu survolté de Pierre Niney.

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(2.9)

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commentaires
PatruelBrick
16/10/2023 à 17:00

Encore une fois cette sinistre impression que toutes les critiques négatives sont écrites par des personnes n'ayant même pas pris la peine d'aller voir le film. Ca sent l'amertume à plein nez.

kristine
15/09/2023 à 08:47

"le talent de chacun est indéniable"
déjà le talent n'empêche pas de se vautrer d'être mauvais de se rater.
ensuite les têtes d'affiche que tout le monde aime et personne ne sait pourquoi ça arrive tous les jours.
dans un monde où seul les népobaby ou/et les riches ont leur chance c'est difficile de savoir qui a du talent.
enfin le talent ça ne se décrète pas et dans l'exemple de Pierre nine certains ont décrété qu'il avait du talent mais malheureusement ce n'est pas le cas, il a seulement eu la chance d'apprendre quelques bases dans l'endroit le plus hypé de son corporatisme et il a travaillé son image afin d'être le plus lisse et aimer possible vous ajoutez à ça un bon réseau toujours corporatiste et hop le tour est joué mais le talent non.

Ahtssé
15/09/2023 à 07:53

Ces personnes qui critiquent Gondry et Niney...
Vous me faites sourire.
Peu importe la qualité de ce film, le talent de chacun est indéniable (Gondry étant un incroyable artisan/bricoleur/inventif comme on n'en trouve plus/peu).

Hunter x Rick
14/09/2023 à 20:45

Pierre niney est partout c'est le futur Cluzet n'y a t'il pas de bons acteurs dans ce pays ? ça pose la question de qui impose ces noms au détriment de la qualité ?

Rick Hunter
14/09/2023 à 19:36

Pierre Niney est un mec brillant, je l'adore, on a de la chance de l'avoir !

Ysl
14/09/2023 à 07:32

J'ai vu boîte noire à cause d'une bonne critique et quelle déception décidément pierre niney ne s'est pas incarné un personnage il a gaché le film. Sa famille est dans le cinéma c'est peut-être pour ça.

ZakmacK
14/09/2023 à 07:17

Ça a l'air bien cool ! J'avais été très déçu de l'écume des jours, mais à la décharge de Michel Gondry, je pense que le roman est inadaptable. Pour ma part, sans être toujours dans de ses choix de carrière, je trouve que Pierre Niney est un acteur souvent investi dans ses rôles.

Boris
13/09/2023 à 20:25

Dommage qu'il y ait Mr niney d'abord par ce que c'est pas Jim Carrey mais aussi car il n'est jamais dans ses rôles, et possède simplement les éléments de langage de Vianney, il doit être pas cher. Mme gardin fait également du gardin avec comme d'habitude son sens aiguisé de la non articulation.
Gondry fait son film pour pas cher en France et mis à part ESOTSM et quelques fulgurance dans kidding on est dans le très moyen.
Encore un grand film du dimanche soir de France 2.

Faurefrc
13/09/2023 à 20:24

Véritable génie créatif qui a su insuffler un vent de fraîcheur dans les clips des 90’s et début des années 2000, Gondry a eu quelques belles réussites (pas forcément en termes de B.O, je ne sais pas) dans les salles obscures grâce à son univers bien à lui. Éternel of the Spotless mind bien sûr, Rembobinez SVP. La science des rêves.
Après comme Burton ou Jeunet, il s’est soit embourbé dans des prods impersonnellles (Green Hornet) ou s’est répété ad nauseam (l’écume des jours, assez fatigant au visionnage malgré de jolies trouvailles visuelles)

J’espère qu’il a réussi à retrouver cet équilibre délicat entre clip arty et long métrage,
En tout cas, son dernier film me donne bien envie de me replonger dans son univers.

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