Acide : critique d'un ruissellement français

Mathieu Jaborska | 20 septembre 2023 - MAJ : 20/09/2023 16:33
Mathieu Jaborska | 20 septembre 2023 - MAJ : 20/09/2023 16:33

Après le pari très risqué de La Nuée, le Français Just Philippot récidive dans le fantastique, cette fois-ci bien aidé par la popularité de son acteur principal, Guillaume Canet. Adapté de son excellent court-métrage, Acide s'est frayé un chemin en séance de minuit au festival de Cannes. Une fois n'est pas coutume, il y était à sa place. Car derrière ce survival éco-anxieux familial se cache un vrai film d'horreur.

Don't rain on my parade

Dans le court-métrage Acide, Sofian Khammes et Maud Wyler tentaient de protéger leur fils, tout en fuyant une pluie acide dévastatrice. Le format (18 minutes) était propice à la mise en scène d'une course désespérée, par essence effrénée. Quand c'est la météo qui en veut à notre vie, tout juste peut-on survivre une vingtaine de minutes, coupant à travers champs pour se trouver un abri incertain. Une situation teintée en sus d'une ironie... corrosive : pour une fois, ce sont les populations occidentales contemporaines qui sont contraintes à l'exil.

Le défi de l'adaptation en long-métrage était donc de taille, ce coup d'éclat tirant justement sa force de sa brièveté. Just Philippot et son coscénariste Yacine Badday optent donc logiquement pour un road movie dont le rythme accélère par à-coups, au gré des averses mortelles. La difficulté étant de balancer dans cette apocalypse pluviométrique non plus des silhouettes en mouvement, mais de vrais protagonistes caractérisés. Les deux auteurs reprennent la cellule familiale du court, cette fois fracturée puisque les deux parents, Michal (Guillaume Canet) et Élise (Laetitia Dosch) sont séparés, ce qui n'arrange pas leurs relations avec leur fille, Selma (Patience Munchenbach).

 

Acide : photoRainy days and mondays

 

Un postulat très classique et donc plutôt pertinent, puisque le cinéaste cherchait de toute évidence dès le court-métrage à raconter la fuite d'une famille parmi tant d'autres, de personnages ordinaires qui ne sauveront pas le monde (enfin, le nord-est de la France), mais tâcheront de survivre coûte que coûte à sa dévastation. Après tout, les premières victimes du dérèglement climatique ne sont clairement pas celles qui l'aggravent le plus rapidement...

La chronique familiale fonctionne d'autant mieux que les scénaristes ne vont pas hésiter à vraiment malmener ses fondations, plus jusqu'au-boutistes que les survivals américains dont ils s'inspirent parfois. Forcément, la nature même du concept, ainsi que certains emprunts à l'histoire du genre (notamment l'avant-dernière partie du voyage) entrainent quelques baisses de cadence ou détours narratifs pas hyper inspirés. Lesquels ressortent surtout entre les grosses séquences d'horreur, surprenantes.

 

Acide : photo, Laetitia DoschRain and tears

 

Here comes the rain again

La Nuée, bien que défendu à l'époque dans nos colonnes, était de ces films fantastiques qui utilisent le surnaturel comme d'un révélateur, voire comme d'une métaphore un peu maladroite d'une situation sociale. Acide risque de beaucoup plus plaire aux amateurs de cinéma d'horreur. Bien entendu, il hyperbolise la question éminemment politique de la catastrophe climatique en cours en déchainant sur des Français en galère la première plaie de France. Toutefois, la pluie acide est moins une simple allégorie de la situation qu'un terrible couperet, traduisant l'inexorabilité de notre douloureuse fin, y compris chez des Occidentaux qui se croyaient épargnés jusque là.

Noir, c'est noir, il n'y a plus d'espoir : plus question de tirer la sonnette d'alarme, mais de carrément faire fondre l'espèce humaine et de l'entrainer dans une course poursuite absurde et nihiliste, qui cette fois-ci flirte directement avec l'épouvante. Le fantastique n'est plus un outil symbolique, mais la manifestation d'une menace viscérale et franchement glaçante. Une forme de radicalité qui pourrait sembler un poil vaniteuse si le duo de scénaristes ne faisait pas effectivement vivre un calvaire à ses personnages. Certaines visions gores (deux en particulier), bénéficiant d'effets de maquillage impressionnants et d'une mise en scène aux limites du sadique, sont d'ailleurs assez marquantes.

 

Acide : photoFool in the rain

 

Baignant dans une photographie décrépie, le film a beaucoup été comparé à La Guerre des Mondes de Spielberg. On le rattacherait pourtant plus à cette vague de productions internationales traitant du réchauffement climatique non plus comme un sujet de société, mais comme une tragédie inévitable. C'est presque un Don't Look up horrifique local, qui se permet en plus de prendre en compte très simplement le contexte social, sans jamais mépriser les pauvres hères qu'il met au supplice.

Car ceux-ci ne sont à aucun moment accusés d'avoir causé leur perte, croulant déjà sous les soucis dans une France très loin d'avoir atteint la fin du processus d'apaisement. Guillaume Canet s'en sort plutôt bien en ancien syndicaliste brut de décoffrage, ayant payé le prix fort pour ses frasques passées. C'est peut-être le détail le plus flippant du long-métrage : la convergence des sources de violence, qui ne peuvent qu'emmener les habitants de la France et du monde droit dans le mur, préalablement réduits à l'état de fromage à raclette cramoisi par quelques draches corrosives. Le bilan est évident, mais assez nihiliste pour résonner avec notre éco-anxiété croissante.

 

Acide : Affiche

Résumé

Un survival imparfait, mais étonnamment méchant, et la traduction bourrine d'une éco-anxiété qui contamine de plus en plus franchement le cinéma d'horreur.

Autre avis Antoine Desrues
La Nuée était un film prometteur mais inabouti. Acide transforme l'essai par l'intelligence de sa mise en scène intime, qui porte en elle un étonnant sens du sublime. De quoi se sentir dépassé par l'ampleur de la catastrophe écologique qu'il représente.
Autre avis Alexandre Janowiak
Avec Acide, Just Philippot continue à explorer les tensions sociales et familiales à travers le prisme de l'horreur. En résulte un film de genre français solide, angoissant, dont les quelques défauts n'enlèvent rien à son ambitieux cri d'alerte sur la catastrophe écologique en cours.
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Lecteurs

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commentaires
Sebmae17
07/04/2024 à 15:06

@lougnar si la majorité

Un autre que moi
18/01/2024 à 20:11

La gamine est trop insupportable, Canet aussi. C'est mal joué. Pas kiffé

Dick Laurent
30/09/2023 à 10:39

Le film commence avec Guillaume Canet en mode gilet jaune qui étrangle un CRS...ensuite il passe le film à conspuer son beau-frère qui est un "salaud de patron avec du fric".... sûr que ça allait plaire à la rédac d'écran large des thématiques aussi subtiles...
Sinon le film est pas mal, deux trois scènes impressionnantes et une vraie rage, c'est toujours mieux que le dernier Lucchini...

poulette
27/09/2023 à 19:09

Déçue tout le long du film .

MCK
22/09/2023 à 16:49

A partir d'une idée intéressante, le film s'enlise rapidement dans un défilé d'incohérences dont les subtilités m'ont hélas échappé... G.Canet très bon, évidemment et la jeune Patience est excellente, à tel point qu'elle en est insupportable !
Faites vous votre opinion, pour ma part, je ne quitte pas un film en cours de projection...

CRIS
21/09/2023 à 15:16

VRAIMENT PAS TERRIBLE PLUTOT DÉÇU

Lougnar
21/09/2023 à 13:55

Purée encore les parents séparés ^^ ! Ca en devient gavant et ce n'est pas la majorité dans notre société et heureusement !

Dario 2 Palma
21/09/2023 à 10:10

Il y a du mieux après "la nuée", Philippot joue (un peu) plus la carte du film "de genre", c'est un peu plus prenant, mais ce n'est pas encore tout à fait ça car le film est répétitif, longuet et dérivatif (on pense à "la guerre des mondes" mêlé au déjà inefficace "Phénomènes" de Shyamalan) , il y a un curieux manque de tension parfois, est-ce dû à la réalisation qui manque de nerf ou au concept de base même qui est trop minimaliste? Et la fin abrupte ne convainc pas vraiment, laissant sur l'impression d'un film un peu vain. Ce n'est pas un ratage complet mais on en ressort assez mitigé.

zinzin motus
21/09/2023 à 00:15

Prévisible de bout en bout, peu crédible (les pneus des bagnoles fondent pas eux ? la salle d'anniversaire sans autre boissons que de la bière et du champ ??) Guillaume canet egal à lui même (beurk) dommage, une bonne intention et une bonne scène ne font pas un bon film.

Salsifiz
21/09/2023 à 00:07

Faut arrêter avec la série the Rain, puisque le court métrage qui a inspiré le film est lui aussi sorti en 2018.
Les mauvaises langues genre je-sais-tout vraiment, je vous jure. Pile le genre de comportements dénoncé dans le film tiens tiens... ;)))

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