Les Meutes : critique d'une plongée en enfer

entre chien et loup

"L"homme est un loup pour l'homme" disait Plaute (a priori) quand Sénèque affirmait au contraire que "L'homme est une chose sacrée pour l'homme". Deux maximes complètement opposées qui semblent accaparer l'esprit du duo principal de Les Meutes, Hassan et Issam, tant ils sont justement incapables de savoir ce qu'ils sont réellement les uns pour les autres.

Au tout début du film, un trafiquant avide de vengeance leur demande de kidnapper le mafieux qui a tué son chien lors d'un combat. En besoin d'argent, le duo accepte le petit boulot. Problème, lorsqu'ils tuent par inadvertance le bougre en l'enfermant dans leur coffre, les deux hommes vont plonger dans une spirale infernale qu'ils n'avaient pas vue venir. Au coeur d'une longue nuit dans les bas-fonds de Casablanca, Hassan et Issam, père et fils de surcroit, vont alors tout faire pour se sortir de cette situation plus que périlleuse.

Les Meutes nous enfonce ainsi aux côtés de ses deux personnages principaux et de leurs mésaventures nocturnes pour se débarrasser du cadavre caché dans leur camionnette de fortune. Qu'ils tentent de l'enterrer au milieu du désert, se fassent poursuivre par des paysans mécontents ou contrôler par un policier, la caméra ne les lâche pas pour mieux les enliser dans un cercle vicieux dont ils ne semblent pas pouvoir échapper malgré leur solution. Dans l'idée, c'est donc un polar assez classique mais pour un premier film, c'est d'une maitrise assez impressionnante.

Si l'ensemble n'est évidemment pas toujours optimal (au niveau du rythme notamment), le film bénéficie d'un sublime écrin visuel grâce au chef opérateur Amine Berrada, capable de capter avec ingéniosité (des phares dans la nuit, une lune brillante) l'intense folie de cette nuit marocaine. Mais plus encore, le film de Kamal Lazraq jongle surtout admirablement entre les genres.

En sortant de la séance

bornes after killing

Dans les pas des frères Coen et de Martin Scorsese, le Marocain parvient à passer de la comédie noire complètement burlesque à un vrai drame mafieux avec une facilité déconcertante, et ce, parfois au sein d'une même séquence. Le cinéaste s'amuse d'ailleurs même à flirter avec le film de fantômes lors d'un arrêt impromptu dans un boui-boui perdu dans le désert et au propriétaire particulièrement étrange. Les Meutes multiplie ainsi les mésaventures et complications pour son duo principal jusqu'à un tournant existentiel et religieux passionnant.

C'est à ce moment-là que Les Meutes prend une jolie dimension. Si Kamal Lazraq s'évertue à décrire avec minutie la misère sociale subie par les classes les plus pauvres du pays, écartelées entre un banditisme sans scrupule et une autorité corrompue, il vient surtout injecter une réflexion tragique sur les dissonances de l'âme humaine et les paradoxes éthiques qui en découlent.

Se battre pour l'honneur

Ne tombant jamais dans de longs dialogues quelconques, le réalisateur préfère ainsi observer père et fils à travers leurs gestes et regards pour mieux capturer les émotions ambivalentes qu'ils traversent. Il en émane une vraie noirceur, un terrible désespoir, mais aussi une poésie mystique enivrante, notamment lors d'une scène de bateau bouleversante où les deux extrémités morales des personnages s'affrontent à la vie, à la mort.

D'où cette question initiale : l'homme est-il un loup ou une chose sacrée pour l'homme ? Les Meutes est bien trop malin pour se risquer à y répondre, mais une chose est sûre, Kamal Lazraq a du chien, et c'est tout ce qu'il faut retenir de ce premier film très prometteur.