À contretemps : critique d'une course contre la montre

Geoffrey Crété | 5 juillet 2023
Geoffrey Crété | 5 juillet 2023

Luis Tosar et Penelope Cruz sont lancés ou plutôt piégés dans une course contre la montre dans À contretemps, premier film réalisé par l'acteur Juan Diego Botto (vu dans The Suicide Squad et la série White Lines). Dans une Espagne au bord du gouffre, c'est l'histoire d'une poignée d'hommes et femmes qui tente de se battre pour ne pas se noyer.

à PLEIN CONTRETEMPS

On dirait À plein temps, l'excellent film réalisé par Eric Gravel où Laure Calamy courait dans les transports d'Île-de-France en pleines grèves. Sauf que ça s'appelle À contretemps, et qu'il n'y a ni la musique d'Irène Dresel ni le spectre de Valérie Pécresse. Le cauchemar se déroule dans un autre décor, pas très loin et tout aussi réaliste : l'Espagne qui peine à se relever de la crise financière de 2008, laquelle a entraîné une crise du logement et une vague d'expulsions terrifiante (et la question est toujours d'actualité en 2023).

À contretemps essaye de contenir ce chaos dans deux histoires qui vont s'entrecroiser et s'entrechoquer. D'un côté, il y a Rafa, un avocat prêt à tout pour défendre les opprimés, et qui a 24 heures pour retrouver la mère d'une fillette considérée comme abandonnée. De l'autre, il y a Azucena, une mère de famille menacée d'expulsion, qui a 24 heures pour espérer renverser la situation. Une double mission quasi impossible, même pour Jack Bauer.

 

 

course contre le monde

À contretemps est filmé, monté et écrit comme une course. Tout se déroule en une journée, les personnages sont presque toujours en mouvement, et la caméra agitée suit leurs déplacements paniqués et/ou désespérés à travers Madrid. C'est tout simple, mais c'est la principale réussite du film : on le traverse comme en apnée. Chaque rencontre est une nouvelle chance, chaque petite bataille devient une guerre, et chaque minute prend une ampleur parfois sensationnelle.

Co-écrit par Juan Diego Botto et la journaliste Olga Rodríguez, le scénario est un petit modèle d'efficacité. En alternant les cris et les chuchotements, en créant de faux instants calmes entre les crises et les sprints, le film emprunte au thriller les meilleures ficelles. C'est d'autant plus réussi que l'intime et le public se mélangent pour brasser plusieurs destins intimes et politiques, sans jamais verser dans le spectacle vulgaire.

C'est particulièrement réussi du côté de Rafa, magnifique personnage lessivé qui traîne ses belles convictions et sa vieille carcasse de décor en décor, heure après heure, dans une course kamikaze. Plus encore que Penelope Cruz, qui a été centrale dans l'existence du projet, c'est le fantastique Luis Tosar qui tire son épingle du jeu dans ce très beau rôle. Même les scènes avec son beau-fils et sa femme enceinte sont beaucoup plus nuancées que les mauvais clichés qu'ils semblaient être au début du film.

 

À Contretemps : photo, Luis TosarAprès Malveillance : bienveillance

 

adios PATHOS

Sauf que tout finit sur une fausse note. Dans la dernière ligne droite, le film s'empêtre dans un pathos extrême et sort les grands violons qu'il avait plutôt bien évités jusque là. La fin d'À contretemps semble précisément à contretemps du reste, avec des effets de mise en scène (montage, musique) outranciers. Juan Diego Botto, qui avait si bien filmé les moments d'émotion et de crispation jusque là, fait un grand écart pour clore son récit.

Le mouvement est pourtant compréhensible : il faut enfoncer le clou avec une scène-choc, alors que le scénario révèle les vérités des personnages et relie leurs destins. La possibilité d'une victoire va avec le cher prix à payer dans une situation sans issue, qui brise des vies et des familles.

 

À Contretemps : photo, Penelope CruzPenelope a cru

 

Ces dernières minutes laissent pourtant un arrière-goût amer en bouche. Le scénario avait jusque là réussi à faire croire aux histoires reliées, mais il sort d'un coup les gros sabots pour le grand final, quitte à donner lieu à quelques scènes difficiles à avaler. Le film se positionnait avec intelligence pour ne pas forcer les émotions, et laisser le public trouver sa place vis-à-vis des personnages, mais cette fin fait office de bulldozer. C'est bien dommage parce que ce sujet n'avait certainement pas besoin de ces effets dramatico-dramatiques pour être puissant.

 

À Contretemps : photo

Résumé

Mené par l'excellent Luis Tosar, À contretemps est un puissant drame social qui avance masqué comme un palpitant thriller. Dommage pour la fausse note finale.

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(3.5)

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commentaires
Luis Tosar
06/07/2023 à 13:23

Luis Tosar excellent dans Malveillance et Celda 211

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