Master Gardener : critique qui n'a pas les pouces verts

Lino Cassinat | 4 juillet 2023 - MAJ : 04/07/2023 16:37
Lino Cassinat | 4 juillet 2023 - MAJ : 04/07/2023 16:37

Scénariste ultra-reconnu, fréquent collaborateur de Martin Scorsese (entre autres Taxi Driver ou Raging Bull), Paul Schrader est cependant quasi inconnu en tant que réalisateur. Pourtant, de son premier film à la fin des années 70 jusqu'au fulgurant Sur le chemin de la rédemption de 2017, c'est un cinéaste ébouriffant, à la fois vivisecteur des péchés enfouis sous les mythes rutilants d'une Amérique putréfiée et médecin légiste des hommes broyés qu'elle recrache. Point de renouveau programmatique avec Master Gardener avec Joel Edgerton et Sigourney Weaver, pourtant, Paul Schrader se plante sur son propre terrain et livre une œuvre mineure.

EUTHYMIA

C'est un cliché très répandu (et disons-le parfois pénible) : un grand artiste "doit" avoir des obsessions, un Grand Sujet qui le définit et le caractérise, presque comme une classe de RPG. Si cette nécessité nous semble sujette à un débat que nous ne tiendrons pas ici, on peut néanmoins reconnaître que Paul Schrader fait partie de ces cinéastes à Grand Sujet. Le sien, c'est celui de la violence, et plus particulièrement de la violence des hommes modelés par les mythes américains. Comment elle naît, comment elle ne meurt jamais tout à fait, comment elle revient, comment elle explose, ou parfois, par miracle, comment elle n'explose pas.

Chauffeur de taxi frustré sexuellement, boxeur à l'ego fragile, aumônier endeuillé tenté par le néant, croupier hanté par ses crimes militaires : chez Paul Schrader, les mâles sont au bord de la crise de nerfs, soit parce qu'elle est juste devant eux, soit juste derrière eux. 

 

Master Gardener : photo, Joel EdgertonJoel Edgerton, toujours remarquable dans son impassibilité

 

C'est aussi le cas du maître jardinier interprété par Joel Edgerton, véritable encyclopédie humaine de l'art botanique dont il ânonne les principes dans son journal. Mèche gominée à la perfection, chambre nue rangée au millimètre : l'autodiscipline de fer et la délicatesse des gestes sont les frêles barrages qui retiennent les tourments torrentiels du passé de cet horticulteur zen. Comme s'il avait réussi à boucher un geyser avec un bouchon de liège.

Car, bien entendu, notre personnage principal cache quelque chose, et l'arrivée d'une apprentie pas tout à fait comme les autres dans son atelier va chambouler sa vie. Ou, plus exactement, la faire replonger dans des tourments guerriers après des années passées à construire une paix d'esprit dans un purgatoire qui offre son lot de satisfactions simples, et parfois de petites punitions. Il y a pire comme expiation pour quelqu'un qui a été consumé par la haine de l'autre. Notre jardinier est un maître non pas car il connaît la désignation latine de toutes les plantes, mais parce que sur la terre brûlée de son âme, il est parvenu à faire pousser un jardin d'Épicure* où son bonheur se nomme ataraxie : l'absence de troubles.

 

Master Gardener : Photo Joel Edgerton, Sigourney WeaverPeut-on faire plus tranquille ?

 

FLEUR DU MAL

La métaphore florale et philosophique est belle, géniale même. D'aucuns diraient qu'avec une première demi-heure en forme de quasi-conte moral, Paul Schrader n'a jamais été à la fois aussi limpide dans sa pensée et aussi optimiste sur le genre humain. Avec ce soupçon de lumière, il nous fait le cadeau d'éclairer du même coup toute sa noire filmographie sous un jour complètement nouveau. Soit une bien belle invitation à la revisiter pour mieux la saisir. Sauf qu'aussi joli tout cela soit-il et aussi pénétrant soit le sous-texte de Master Gardener, sous le maquillage intello se cache tant bien que mal un film mal fichu.

Paul Schrader ne parvient pas à tenir le cap du renouveau. Ses motifs récurrents (pour ne pas dire ses clichés) empêchent Master Gardener de se distinguer d'autres œuvres plus frappantes, et se retrouvent de plus appliqués sans inspiration. Habituellement maître de son Grand Sujet, Paul Schrader en est ici l'esclave sommé de ne pas s'éloigner du giron. Non seulement Master Gardener ressemble à n'importe quel autre film de Paul Schrader en moins bien, mais en plus il ressemble dans son déroulé à n'importe quel film présentant une trajectoire rédemptrice. C'est on ne peut plus dommage que les prémices de Master Gardener ont un potentiel subversif démesuré et mettent les valeurs du spectateur à rude épreuve.

 

Master Gardener : Photo Joel EdgertonRetour sur le sentier battu

 

Rarement aura-t-on vu Paul Schrader aussi classique, mou et décousu, comme s'il s'était lui-même perdu dans son récit, ou qu'il n'avait pas réussi à trouver le chemin de pensée qui lui aurait permis de croire en son propre film. Comme s'il n'avait pas confiance en la puissance évocatrice de ses images, raccords et dialogues sont abominablement explicatifs, comme pour compenser la grossièreté des articulations de ce récit de plus en plus bancal, ou souligner des évidences.

Et encore, on ne vous parle pas de cette voix-off sentencieuse débitant de l'aphorisme spirituel à peine moins mongoloïde qu'un Emmanuel Macron en plein délire mystique sur les jeux vidéo et... la violence, tiens donc. Faut croire que tout est lié.

 

Master Gardener : photo, Joel Edgerton, Quintessa SwindellMoi aimer toi, toi comprendre ?

 

ELYMUS REPENS

Cela suffit-il à faire de Master Gardener un mauvais film en tant que tel ? Probablement pas, mais presque. C'est en tout cas une œuvre inaboutie, comme si l'équipe de production s'était lancée dans le tournage avec un scénario à peine retravaillé. Comme si on avait filmé un premier jet. Le temps passe lentement, les séquences se répètent ou se contredisent, et à l'arrivée, le temps semble bien long. Non pas que l'on ne comprenne pas où Master Gardener veut en venir, mais on a plutôt l'impression que le film lui-même ne sait pas trop où il est censé aller et se raccroche donc au chemin le plus normal, sillonne un sentier battu et rebattu.

Un sentiment d'autant plus renforcé par la facture technique générale du film, qui pour le coup mérite le carton rouge. Master Gardener a certes un budget ridicule d'à peine plus de 3 millions de dollars, mais Paul Schrader est un habitué des tournages à l'économie, et même un budget serré ne peut excuser une direction artistique globale laide. C'est d'ailleurs un comble d'avoir une image aussi terne et un décor aussi malade alors que la moitié du film se déroule dans un jardin aristocratique qui vend ses boutures plusieurs millions de dollars. Plutôt qu'un luxuriant pays de Cocagne, on a plus l'impression d'être sur un terrain vague en friche qu'autre chose.

 

Master Gardener : photo, Joel Edgerton, Quintessa SwindellGrands dieux mais pourquoi cette photographie blanche moche ?

 

Peut-être faut-il cependant retenir de Master Gardener ce premier pas vers quelque chose d'autre pour Paul Schrader. Lui qui a passé des décennies à étudier les mauvaises herbes de son pays recouvert de chiendent, il semble avoir enfin cueilli un bouton de rose au milieu des ordures. À l'image de l'happy end fleur bleue de son film, la vieille âme de Paul Schrader danse maladroitement sur le seuil d'un nouveau départ. Master Gardener est une oeuvre fanée, mais du haut de ses 76 ans, Paul Schrader pourrait éclore et donner de nouvelles fleurs.

*Rien à voir avec l'adjectif "épicurien", qui est un mot dont le sens ne saurait être plus éloigné de la pensée de l'auteur qui lui donne son nom

 

Master Gardener : Affiche française

Résumé

Paul Schrader est toujours un auteur fertile, et son Master Gardener n'est pas sans intérêt, mais il s'agit cependant bien d'un raté. Pas un gros raté bon pour la poubelle ni un beau raté pour cinéphile averti, juste un raté tout court. Cela arrive même aux meilleurs.

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Lecteurs

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commentaires
Flo
05/07/2023 à 09:41

Je suis un grand fan de Schrader,
Mais la c’est l’extrême déception.
Je trouve le traitement de la jeune fille particulièrement problématique.
Assimiler en 2023 une (très) jeune femme à une fleur qu’il faut cultiver par la main de l’homme pour qu’elle éclose, c’est vraiment ridicule. Surtout sur un film qui parle notamment d’émancipation.

Satan LaBitt
05/07/2023 à 09:32

Ca sort au ciné? Ca passe sur Netflix ? Ca sort en dvd ? Vous ne dites pas comment on peut le voir ??

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