Nos cérémonies : critique fraternelle

Mathieu Jaborska | 3 mai 2023
Mathieu Jaborska | 3 mai 2023

Parmi les cinéastes qui font vivre le cinéma fantastique francais, Simon Rieth est l'un des plus prometteurs. À 16 ans à peine, il avait démarché des universités et le CROUS pour financer un moyen-métrage, Feu mes frères. Les années qui ont suivi, il a réalisé une demi-dizaine de courts-métrages remarqués en festival, puis un premier long, intitulé Nos cérémonies et précédé d'une réputation flatteuse. Une réputation amplement méritée.

Clair-obscur

Présenté aussi bien dans de grands rendez-vous institutionnels (la Semaine de la critique à Cannes) que lors de festivals spécialisés davantage conviviaux (le NIFFF, où il a remporté le grand prix, Gérardmer), Nos cérémonies se dévoile plus largement au public français à l'aube de l'été, à la lisière des beaux jours. Un choix de programmation judicieux, car il s'agit d'une chronique adolescente estivale. Et c'est justement par ce biais qu'il a su séduire à la fois les habitués de la Croisette et les passionnés de cinéma fantastique.

À première vue, ce récit de vacances n'a rien de bien original : deux frères reviennent à Royan – où ils ont passé leur enfance – à l'occasion d'un enterrement. Il y a des retrouvailles avec un futil amour de jeunesse, un inévitable triangle amoureux... Sauf que le lien qui unit les frangins va bien au-delà de la simple relation fraternelle et que ce retour au bercail sera surtout l'occasion pour eux de tester ses limites.

 

Nos cérémonies : Photo Raymond Baur, Simon BaurDeux frères

 

Les autres médias ayant pour la plupart choisi, à raison, de ne pas dévoiler l'argument surnaturel (contrairement à la bande-annonce), on suivra volontiers leur exemple. Toujours est-il que l'idée générale consiste à révéler très progressivement les vicissitudes de ce séjour lumineux, les échauffourées réprimées au beau milieu d'un pique-nique, les non-dits familiaux (le statut du père, à la fois double élément perturbateur et prémonition) et bien entendu la nature exacte de la fraternité fusionnelle au coeur de l'intrigue, bien plus toxique qu'elle n'y parait.

Le cinéaste esquive avec brio le piège tendu à tous les jeunes auteurs de courts-métrages passés au long : il ne se satisfait pas de son concept initial, mais empoisonne au contraire chaque strate de son film comme la malédiction de ses protagonistes empoisonne subtilement leur vie. À l'image de cette séquence d'introduction millimétrée, culminant dans un plan large glaçant, tout y est trop affectueux, trop chaleureux pour ne pas éveiller la suspicion, puis sérieusement déraper. Tout y est vénéneux, qu'il s'agisse d'une fête balayée par une caméra révélant des enjeux sentimentaux parfois cruels, ou de l'ambiance générale qui règne dans ce microcosme balnéaire.

 

Nos cérémonies : photo, Raymond Baur, Simon BaurQuelques plans qui impriment la rétine

 

Une ambiance trop solaire pour être naturelle, grâce à la splendide photographie de Marine Atlan, elle-même réalisatrice de films fantastiques, ainsi qu'à la mise en scène, qui force l'horizontalité du format scope, traditionnellement utilisé pour capter les beaux paysages. Elle va, à l'aide de panoramiques, au-delà des beaux paysages en question pour déborder sur des détails bien plus glauques.

 

Nos cérémonies : Photo Simon Baur, Raymond BaurAu dos des églises, des cérémonies

 

Frères de sang

Nos cérémonies sème le trouble en accentuant l'artificialité des chroniques estivales habituelles jusqu'au malaise, mais impressionne encore plus quand il s'intéresse de près à ses jeunes personnages. Il doit beaucoup, plus particulièrement, aux frères Raymond et Simon Baur, révélations recrutées au cours d'une phase de casting étalée sur la bagatelle de un an et demi (800 personnes y ont participé). Rieth s'était habitué à engager des comédiens et des comédiennes non professionnels. Il continue ici, ajoutant une dose de spontanéité à son oeuvre, sans pour autant sacrifier son ambiguïté.

Car tout comme les décors ensoleillés du Sud-Ouest, les interactions et les corps mêmes des adolescents sont bâtis sur des fondations chancelantes. Les Baur sont en réalité des artistes martiaux confirmés. Et le cinéaste use de leur musculature et de leur complicité comme d'instruments d'une fraternité masculine faite de contacts, de jeux dangereux et de rituels – les cérémonies du titre – lesquels seront de plus en plus explicites. L'un est un extraverti dragueur, l'autre plus discret. Mais pour survivre à deux, ils doivent se mettre en danger régulièrement, des prémisses de leur enfance à leur vie d'adulte.

 

Nos cérémonies : photoDes corps et du soleil

 

Bien entendu, le personnage joué par Maïra Villena vient perturber, littéralement, cette dynamique. Mais plutôt que simplement faire éclater leur relation d'interdépendance morbide, il relie plus généralement ses zones d'ombre à celles de la fin d'adolescence, de cette période si particulière où l'on doit se détacher de sa famille et de ses habitudes passées pour voler de ses propres ailes, quitte à rompre avec ces fameuses cérémonies. Le sujet a déjà été traité par le cinéma fantastique français, mais rarement sous cet angle et jamais à travers un lien familial masculin empreint de virilisme que les personnes ayant grandi entre frères connaissent souvent (l'auteur de ces lignes en sait quelque chose).

Sans les partis pris forts énoncés plus tôt (la réalisation, la photographie, les choix de casting), le tout aurait pu virer au teen movie démonstratif. Toutefois, force est de constater que Rieth sait suffisamment densifier son intrigue pour non pas énoncer ses thématiques, mais les faire résonner, et ce dès son premier long-métrage en tant que réalisateur, à moins de 30 ans ! Non content de faire honneur à l'essence du genre fantastique, à savoir la subtile révélation des vices qui hantent les relations humaines, Nos Cérémonies est aussi le coup d'envoi d'une carrière qui s'annonce passionnante. Du moins, on l'espère.

 

Nos cérémonies : Affiche

Résumé

D'une idée sacrément casse-gueule, Simon Rieth tire un conte estival à peu près aussi solaire que malsain.

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