Le Lycéen : critique entre le ciel et l'enfer

Mathieu Victor-Pujebet | 29 novembre 2022
Mathieu Victor-Pujebet | 29 novembre 2022

Christophe Honoré, le réalisateur des Chansons d'amour, des Bien-aimés et de Chambre 212, est de retour avec Le Lycéen. Drame en partie autobiographique, Le Lycéen raconte l'histoire de Lucas (Paul Kircher), un jeune homme de 17 ans qui doit faire face à la mort de son père. Accompagné de sa mère (Juliette Binoche) et de son frère (Vincent Lacoste), il va devoir lutter pour apprendre à espérer et à aimer de nouveau.

A Single Boy

Dès les premières minutes du Lycéen, Christophe Honoré jure avec le ton a priori grave et désespéré de son pitch, notamment à travers la photographie pellicule très légèrement rosée, signée Rémy Chevrin. Une image traversée de quelques teintes irréelles qui suggèrent d'ores et déjà que le spectateur est plongé dans le rêve/cauchemar de Lucas, le protagoniste.

Un point de vue rapidement renforcé par la narration fragmentée du film, qui plus est agrémentée d'interventions face caméra de Lucas qui partage son flux de pensées au public. La structure du scénario épouse le récit du personnage, éludant certains passages pour parfois y revenir plus tardivement, ou pas du tout. Cette écriture instable rend le film profondément organique et sensible, la Psychée bouleversée de Lucas contaminant véritablement l'architecture même du Lycéen.

 

Le lycéen : photo, Paul KircherDans la peau de Paul Kircher

 

Christophe Honoré s'éloigne alors d'une forme classique de récit pour mieux peindre avec justesse son protagoniste. Une acuité que l'on retrouve dans la caractérisation des personnages secondaires du film et dans les liens qui les unissent, le cinéaste abordant sans détour les rapports amour/haine fraternels, protection/liberté maternelle et tendresse/distance amicale. Il y a comme un souci de réalisme émotionnel très fort dans les films de Christophe Honoré, l'humanité de ses personnages se manifestant toujours simultanément dans le positif et dans le négatif.

Cette complexité de l'écriture est magnifiquement incarnée par le casting du film, aussi bien par la fragilité de Juliette Binoche que par la singulière rugosité de Vincent Lacoste. Par ailleurs, deux comédiens ressortent particulièrement du lot, à savoir Erwan Kepoa Falé, avec sa chaleur et son attachante tendresse, et Paul Kircher, dont la délicatesse et la candeur transparaissent à chaque plan. La poésie et l'étrangeté du duo d'acteurs participent pleinement à la couleur toute particulière du film, entre légèreté et brutalité, maniérisme et réalisme.

 

Le lycéen : photo, Paul Kircher, Erwan Kepoa FaléUn superbe duo

 

Docteur Jekyll et de M. Hyde

Ce double mouvement se retrouve, par ailleurs, dans la mise en scène même du film puisqu'outre l'esthétisation habituelle du cinéma de Christophe Honoré (lumières colorées, ralentis, interventions face caméra, dialogues stylisés), Le Lycéen est traversé de séquences beaucoup plus concrètes et épurées (caméra portée/fixe, composition plus sommaire). En quelques moments de joie et/ou de tristesse, le cinéaste parvient à capter de petits gestes et instants de grâces sans détour ni vernis de style, ce qui donne d'autant plus d'ampleur à l'émotion du film.

Le réalisateur ne tombe que rarement dans la pose, et écoute au maximum les besoins de ses personnages afin de trouver une cohérence presque musicale dans le dessin de leurs affects. Cette souplesse de mise en scène permet à Christophe Honoré d'aborder le deuil de Lucas sans jamais que le style ne crée une distance avec le spectateur, et sans non plus que les instants plus bruts ne soient parasités par du pathos et/ou de la complaisance.

 

Photo Juliette Binoche, Vincent LacosteDes instants solaires

 

Le Lycéen mesure ses effets, et parvient ainsi à maintenir l'attachement du spectateur pour un personnage rongé par le chagrin qui succombe à des choix et décisions mal aimables. C'est notamment le cas durant toute une partie du film où Lucas décide de couper toute communication avec son entourage, s'abandonnant complètement à la solitude et à la douleur. Mais le réalisateur ne juge jamais Lucas. Il témoigne de son mal-être et épouse ses contradictions afin de rendre son évolution d'autant plus belle et touchante.

Hélas, ce difficile équilibre du Lycéen entre esthétique et organique s'effrite parfois, notamment lors d'une partie centrale parisienne qui étire un peu ses enjeux ou bien lors de quelques séquences un peu plus superficielles durant le segment se déroulant en hôpital psychiatrique. Christophe Honoré succombe à la démonstration de force dans une poignée de scènes, étouffant ainsi l'émotion du spectateur.

 

Le lycéen : photo, Paul Kircher"Never cast your eyes down the abyss"

 

La Règle du je

Mais même avec ces quelques faux pas, Le Lycéen témoigne d'une fièvre et d'une sensibilité débordantes, sans doute dues en partie au caractère autobiographique du récit. Fort heureusement, il n'est pas obligatoire de savoir que le cinéaste a perdu son père au même âge que le protagoniste pour être embarqué par Le Lycéen. Néanmoins, ce passif semble contaminer le film d'une sincérité et d'une urgence touchantes.

En témoigne la présence de Christophe Honoré lui-même au casting du film, dans le rôle du père. Un choix qui n'est pas anecdotique, d'autant plus que l'inégalité de son jeu d'acteur laisse transparaître une authenticité qui dépasse de loin le simple clin d'œil ou la référence. Une idée douce amère qui est recouvre également le film d'une jolie couche méta en questionnant le devenir des enfants/personnages lorsque leur père/réalisateur, le pilier de cette famille/équipe, disparaît.

 

Le lycéen : photo, Paul Kircher, Juliette BinocheTuer le père

 

Une jolie image qui fait des protagonistes du film des êtres seuls, sans buts, qui errent en attendant de retrouver le goût d'aimer et de vivre. Le personnage de Lucas en est le plus bel exemple, le chagrin le transformant en un individu qui ne sait plus quoi faire de son corps (parler ? Ne pas parler ? Faire l'amour ? avec qui ?). Cette errance émotionnelle des personnages emmène Le Lycéen bien au-delà de l'auto-fiction auto-centrée, mais bien du côté du drame sensible et bouleversant sur la tentation de l'abîme et de l'abandon. 

Ce n'est que dans son épilogue que Lucas (et le film) s'ouvre véritablement aux autres, notamment en une bifurcation finale vers le point de vue de sa mère, jouée par Juliette Binoche. Une touchante rupture qui laisse place à une conclusion tout en douceur, délicatesse et résilience qui rappelle que si l'enfer c'est les autres, on se sentirait toutefois bien seuls au paradis.

 

Affiche

Résumé

En évoluant constamment quelque part entre le style et l'épure, Christophe Honoré livre avec Le Lycéen un film bouleversant sur le deuil et la tentation de l'abîme. Si le cinéaste ne tient peut-être pas toujours ce complexe équilibre, il le fait malgré tout avec une touchante sincérité.

 

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Lecteurs

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commentaires
Crocro-deal
30/11/2022 à 08:04

Carré

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