L'Origine du mal : critique d'un jeu de massacre familial
Après les passionnants Irréprochable et L'Heure de la sortie, Sébastien Marnier continue de s'imposer comme l'un des cinéastes français les plus passionnants de sa génération avec L'Origine du mal. L'histoire est celle de Stéphane (Laure Calamy), une jeune femme modeste qui retrouve la trace de son père (Jacques Weber), un riche patriarche qui vit avec sa femme (Dominique Blanc), sa fille (Doria Tillier), sa petite fille (Céleste Brunnquell) et sa femme de ménage (Véronique Ruggia Saura). L'arrivée de Stéphane dans leur grande villa en bord de mer va rapidement être source de tensions.
Leçons de ténèbres
Avec Irréprochable et L'Heure de la sortie, Sébastien Marnier avait déjà démontré une certaine aisance plastique et une attention toute particulière à l'élégance de son cadre, à la richesse de ses couleurs et à la créativité de sa machinerie. Cet amour de la forme se retrouve de façon encore plus vive dans L'Origine du mal, à grands coups de split screens, de zooms, de jeux de ratios et de plans débullés.
Le cinéaste utilise également des lentilles anamorphiques pour déformer l'image et donner à voir la monstruosité des personnages ou le caractère anxiogène du décor. Ces outils cinématographiques ne sont jamais gadgets, mais constamment vecteurs de sensations et de sens. À l'instar de ses deux premiers films, L'Origine du mal permet à Sébastien Marnier de jouir des possibilités formelles du cinéma sans jamais succomber à l'esbroufe visuelle ou au tour de force factice.
L'ensemble participe à la création d'une atmosphère toxique particulièrement excitante, notamment incarnée par une poignée d'images fortes comme celle de l'incandescente Laure Calamy s'extirpant d'un couloir embrumé, ou celle de la troupe féminine trônant sur leur imposant canapé. Sébastien Marnier use d'un sens aiguisé du cadre pour iconiser ses personnages et offrir au spectateur une imagerie puissante et impactante.
Un art de la mise en scène qui vient habiller ce qui commence comme un drame social, dans lequel viennent progressivement s'immiscer des enjeux issus du thriller psychologique, tout en étant traversé d'instants de pure comédie grotesque. L'Origine du mal mélange les genres avec un plaisir contagieux, tout en doublant ces codes d'un décor et d'une structure qui fait appel au conte macabre.
Entre le ciel et l'enfer
Ces différents registres se conjuguent et se contaminent les uns les autres, Sébastien Marnier s'amusant à pervertir les genres et les styles qu'il met en scène. En effet, si L'Heure de la sortie était une exploration empoisonnée du film d'adolescent, L'Origine du mal reprend quant à lui les codes du drame et/ou de la comédie familiale, et les augmente d'un ton noir et ambigu tout à fait jouissif.
Entre scène de dîner et de promenade matinale, le cinéaste contamine de noirceur le film de famille et le transforme en un jeu de massacre spectaculaire où le lien de sang n'est source que d'hypocrisie, de trahisons et de manipulations. L'Origine du mal dérègle ainsi un certain idéal familial, de la même façon qu'il dévoile une facette inédite de presque chacune de ses comédiennes.
La solaire Laure Calamy signe peut-être son rôle au cinéma le plus sombre, l'élégante Dominique Blanc n'a jamais été aussi extravagante et Suzanne Clément dévoile un jeu d'une étonnante brutalité, peu exploitée jusque-là. Sébastien Marnier pervertit l'image de ses actrices, permettant aux spectateurs de les redécouvrir, plus extraordinaires que jamais.
Il en est de même pour l'énorme villa qui abrite cette étrange famille. Resplendissante et lumineuse de l'extérieur, la demeure s'avère étouffante et encombrée à l'intérieur. Ces immenses salles saturées d'extravagants objet, ces lignes écrasantes et ce marbre surplombant servent ainsi de catalyseur organique et sensoriel aux relations anxiogènes qui unissent les personnages.
Des protagonistes qui, à l'instar de celui de Marina Foïs dans Irréprochable et celui de Laurent Lafitte dans L'Heure de la sortie, sont en constante évolution et s'avèrent tour à tour attachants, inquiétants et détestables. L'Origine du mal joue avec l'empathie du spectateur, déréglant constamment ses attentes et a priori. En résulte un grand plaisir d'écriture, émotionnellement aussi stimulant que perturbant.
La Maison du diable
No Country For Old Men
Chez Sébastien Marnier, les protagonistes sont souvent les personnages les plus ambigus, désaxés. Cependant, presque chacun d'entre eux semble avoir un enjeu commun, celui de trouver sa place dans un groupe, que ce soit la famille, le couple ou l'amitié, afin de survivre ou de simplement être aimé. Un mobile qui n'excuse en rien leurs actions durant tout le récit, mais qui rend d'autant plus palpable et sensible leur parcours.
Le personnage de Laure Calamy en est un exemple particulièrement fort puisque derrière l'ambivalence et la complexité de son personnage, l'évidence et la simplicité de ses motivations la rendent immédiatement touchante, si ce n'est tragique. Le manichéisme n'existe pas dans le cinéma de Sébastien Marnier, ni même la morale.
En témoignent ces personnages pour qui la fin justifie toujours les moyens, mais aussi le traitement sans didactisme lourdingue de thématiques denses et complexes comme le patriarcat, la sororité et la lutte des classes. En déployant une collection de motifs politiques autour de ces divers sujets sans y placarder de réponse toute faite, L'Origine du mal pense le contemporain avec force et pertinence, sans jamais donner de leçon ou paraître surplombant.
C'est d'ailleurs toute la finesse et l'intelligence du film : lorsque L'Origine du mal parle de fin du patriarcat, il le fait en mettant en scène un mâle destructeur et manipulateur détrôné par une sororité dominatrice et prédatrice. Lorsqu'il parle de transfuge des classes, il prend le point de vue d'une héroïne prolétaire écrasée par une famille bourgeoise, tandis que sa propre innocence cache un lourd secret.
Sébastien Marnier n'assene pas une vision sous moraline de la société. Il s'amuse à rebattre et redistribuer constamment la charge politique de son film en rappelant quelle est l'origine du mal, mais en problématisant continuellement ses conséquences. Ce troisième film en devient un récit simple et divertissant, qui débouche néanmoins sur une méditation riche et complexe sur notre société, et le genre humain de façon générale.
Lecteurs
(2.5)06/11/2022 à 23:05
Un plaisir
24/10/2022 à 16:45
je ne connais pas la fin
07/10/2022 à 07:58
Bof, il n'y a rien à sauver dans cette production, l'histoire est mauvaise la réalisation banale. Déçue.
06/10/2022 à 20:15
J'avais beaucoup aimé L'Heure de la Sortie même avec ses imperfections (Laurent Lafftte à 50% convaincant pour ma part mais une dernière partie formidable).
Cet Origine du Mal est vraiment bien foutu et dialogué. Un poil long peut-être (l'histoire du fils où l'on s'attarde parfois trop inutilement) et une fin abusée et légèrement "grand guignolesque" mais un magnifique jeu sur les apparences et un regard assez cruel sur la famille (un poison!).
Vraiment un réal que j'aime de plus en plus.
06/10/2022 à 19:53
Je suis impressionnée par le côté théâtre filmé et comment les actrices et leur homologue masculin font semblant de mal jouer.
06/10/2022 à 14:34
Un très bon jeu très appréciable
06/10/2022 à 12:41
Vendu !
06/10/2022 à 10:37
nom merci