Les Secrets de mon père : critique qu'on garde en mémoire

Déborah Lechner | 21 septembre 2022 - MAJ : 21/09/2022 15:28
Déborah Lechner | 21 septembre 2022 - MAJ : 21/09/2022 15:28

À 89 ans, la réalisatrice française Véra Belmont a signé son cinquième long-métrage, Les Secrets de mon père, un film d'animation qui ne fera sûrement pas se déplacer les foules, mais qui reste un beau récit qui mérite qu'on s'y intéresse.

DEVOIR DE MÉMOIRE

À presque 90 ans, Véra Belmont s'est essayée pour la première fois à l'animation. Si le ton et l'esthétique dénotent a priori du reste de ses travaux, plus rudes et sombres, Les Secrets de mon père s'inscrit bien dans la continuité d'une filmographie engagée ayant majoritairement traité de sujets politiques et sociétaux difficiles, comme le film documentaire Prisonnier de Mao ou Rouge Baiser sur la jeunesse communiste française des années 50. 

La cinéaste française est, quant à elle, née à Paris au début des années 30 dans une famille juive immigrée et s'est donc aussi intéressée à la Seconde Guerre mondiale au cours de sa carrière. Elle a notamment produit La Trève, l'adaptation du second ouvrage autobiographique de Primo Levi, et surtout réalisé Milena et Survivre avec les loups qui se déroulent avant et pendant la montée du nazisme en Europe.

 

Les Secrets de mon père : photoRetour dans le passé

 

À l'instar des précédents films cités, Les Secrets de mon père fait également un pas de côté pour revenir sur ce chapitre historique qui ne s'est pas conclu en 1945. Le film d'animation se déroule près d'une décennie après la libération de Paris et la mort d'Hitler, et s'arrête lui aussi aux portes d'Auschwitz, les personnages restant aux abords du camp de concentration afin de saisir son horreur sous un prisme différent.

Le film marque ainsi les esprits par sa pudeur et sa retenue qui ne camouflent pas la réalité historique, mais permet au contraire d'en saisir les nuances et les répercussions sur les rescapés. Auschwitz est un fantôme, une entité qui hante le passé d'Henri Kichka, ancien déporté, mais aussi le présent de ses fils Michel et Charly, à qui leur père n'a jamais rien raconté de son calvaire et s'éloigne d'eux à force de vouloir les protéger de la vérité. Même si le sujet a été abordé à travers des centaines de films ou séries, Les Secrets de mon père est un autre témoignage précieux sur la libération de la parole des survivants, son écoute et la nécessité du devoir de mémoire à travers les générations

 
Les Secrets de mon père : photoLe poids de la mémoire

HISTOIRE ANIMÉE

Les Secrets de mon père est adapté de la bande dessinée autobiographique de Michel Kichka (Deuxième génération: ce que je n'ai pas dit à mon père) et a été produit par le très chouette studio Je Suis Bien Content à qui l'on doit déjà trois autres co-productions hexagonales et pépites d'animation : PersepolisLe jour des corneilles et Avril et le monde truqué (sans oublier la série Lastman ou les courts-métrages Il était une fois l'huile et Raging Blues). 

Même si l'animation et la plastique du film n'ont rien de renversant et que le numérique l'emporte souvent sur l'aspect artisanal des dessins 2D et décors, le film renoue avec l'héritage de la bande dessinée franco-belge qu'on retrouvait déjà dans d'autres productions du studio. Cela passe principalement par les traits simplifiés et arrondis et des contours noirs et épais qui adoucissent l'oeuvre originale qui se destinait plutôt à un public adulte. 

 

Les Secrets de mon père : photoUne espièglerie éphémère

 

L'utilisation de l'animation est d'autant plus pertinente qu'elle permet d'aborder les événements à hauteur d'enfants, évitant un pathos racoleur qui étoufferait les nombreuses strates de l'histoire. La réalisatrice a d'ailleurs insisté sur l'importance du procédé, selon elle, plus décent et distant, qui porte son message à une plus large audience.

Avec une valeur illustrative, l'animation permet également de sonder l'imagination des deux garçons, tout en se prêtant à la caricature comique ou à des séquences plus oniriques. Si le passé et, par rebond, le présent d'Henri sont marqués au fer rouge et que le film traite de sujets graves et déprimants, il reste enveloppé dans l'innocence et l'insouciance de ses jeunes protagonistes auxquelles l'animation colle parfaitement, aussi imparfaite soit-elle.

Cet équilibre donne lieu à de beaux moments de tendresse, d'humour et de réconfort jusqu'au final forcément doux-amer, mais poétique et métaphorique. Par ailleurs, les images d'archives glissées à l'écran permettent quelques ruptures percutantes pour éviter que cette mise à distance volontaire laisse place à de la fiction dans l'esprit du public. 

 

Les Secrets de mon père : photoDeuxième génération

 

TRANCHES DE VIE

Pour aborder l'antisémitisme, la Shoah ou le socialisme, la narration passe par des tranches de vie a priori anodines, mais finalement subtiles et lourdes de sens (un pipi au lit ou une exclusion d'un cours de catéchisme). Même si la Seconde Guerre mondiale et les rafles planent sur le récit, celui-ci n'oublie pas de s'intéresser à ses personnages, de dépeindre leur quotidien, leurs rires, leurs drames, et de fait, de parler de la grande Histoire à travers la petite.

 

Les Secrets de mon père : photoUne relation qui aurait mérité un peu plus d'attention
 

Même si on peut lui reprocher de délaisser les autres membres de la famille Kichka, le film aborde la fracture générationnelle entre ceux qui ont survécu à la guerre (et tente toujours de survivre) et ceux qui ne l'ont pas connue et ne peuvent donc pas la comprendre. Ainsi, Michel reproche à son père de vivre dans le passé au milieu des morts au lieu de se tourner vers le présent et ses proches, cristallisant à travers leurs querelles et non-dits le contexte social et politique complexe de l'après-guerre.

Henri est un père maladroit et Michel un fils dépassé qui parviennent à se réconcilier par le dialogue et à travers la transmission, que ce soit celle d'une histoire pesante ou d'une passion commune (en l'occurrence le dessin et la caricature). C'est au final une jolie histoire d'amour et de résilience qui offre à l'Histoire un nouvel éclairage et à la vie d'Henri un dénouement plus paisible.

 

Les Secrets de mon père : affiche

Résumé

Même si la réalisation et la technique n'ont rien d'exceptionnel, Les Secrets de mon père est un film émouvant, qui traite avec subtilité du devoir de mémoire à travers son récit centré sur une relation fracturée.

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Lecteurs

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commentaires
Kili
02/10/2022 à 16:30

Très beau film. Des moments durs, mais de l'humour pour ne pas tomber dans le pathos. Pas destiné à des enfants de moins de 8ans.

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