Babysitter : critique qui crie au gynie

Lucas Jacqui | 25 avril 2022 - MAJ : 25/04/2022 16:10
Lucas Jacqui | 25 avril 2022 - MAJ : 25/04/2022 16:10

Après avoir questionné la place de la femme dans la société dans La Femme de mon frère, son premier film, Monia Chokri revient dans une comédie acide et féérique sur la masculinité toxique. Pas du tout intimidée par son sujet, la réalisatrice fait de Babysitter un pamphlet contre la misogynie, posant un regard aussi drôle qu'intelligent sur ce travers de notre société.

misogynazi

Tout part d'une situation tristement déjà vue, un baiser forcé sur une journaliste au cours d'un reportage. L'acte de Cédric (Patrick Hivon) n'est pas cautionné par sa patronne qui le suspend alors qu'il voit sincèrement son geste comme une blague. Il découvre alors l'impact de son embrassade non-consentie sur les autres femmes et à quel point la société est permissive avec ça. Alors que Cédric se reconstruit en homme meilleur, un second élément déclencheur va mettre en branle ses nouvelles convictions, l’arrivée de l'enjouée baby-sitter Amy (Nadia Tereszkiewicz). Un personnage rafraîchissant et humain évitant le chemin miné des clichés de la fille sexualisée pour mieux les dénoncer.

Car Babysitter défonce avec des graviers et sans vaseline la masculinité toxique, pointant même du doigt les maladresses de ceux transformant ce combat contre la misogynie en féministe-washing. Mais le film de Monia Chokri est aussi, et surtout, la quête de la femme pour se retrouver avec elle-même. Dans une société qui en fait un objet comme le montre la brillante et nerveuse scène d'introduction, une partie de la gent féminine a fini par baisser les bras et accepter cette situation. Cette lutte quotidienne épuisante transparaît dans le couple de Nadine (Monia Chokri) et Cédric dont le peu d’échanges tout en non-dits, regards dépités et punchlines cassantes hurlent le mal-être du couple modèle.

 

Babysitter : photo, Patrick Hivon, Monia Chokri"Ce soir on fait grincer le plumard ?"

 

Et pour raconter tout cela, Babysitter est habilement écrit par Catherine Léger, autrice de la pièce de théâtre d'origine. Chaque scène questionne la perception des femmes par les hommes avec brio, parvenant à montrer toute la complexité d'un sujet qui a tendance à fâcher. On en vient à constamment changer le point de vue que l'on valide sur la question. Tous les personnages abordant le problème d'une certaine façon et toujours dans une volonté de bien faire.

Le film décape et assume clairement sa vision des rapports des hommes sur les femmes sans craindre de brusquer. Monia Chokri porte sur ce combat un regard plein d’espoir pour les femmes, une lutte dont elles ne doivent pas attendre des hommes de la mener pour elles. Car il est évident que pour un tel sujet, les mâles en prennent dans la gueule et l'entrejambe, incitant non pas à accrocher ses bijoux de famille au mur du salon, mais à ouvrir les yeux sur la misogynie du quotidien, ancrée et normée qu'aucun "on n'est pas tous comme ça" ne saurait contredire.

 

Babysitter : photo, Monia ChokriEn quête du point G

 

Une réalisation maîtrisée

Pour traiter un thème aussi casse-gueule, Babysitter peut compter sur la mise en scène incroyablement folle de Monia Chokri. La réalisation ne s'arrête jamais de surprendre, proposant une approche originale pour la moindre séquence. Le long-métrage dynamite complètement le carcan théâtral de la pièce d’origine, jouant avec les limites du huis-clos et profitant de la caméra pour vitaminer son histoire. Ainsi, Babysitter devient une superbe adaptation et une très bonne proposition de cinéma.

Chaque plan est soigneusement travaillé, que ce soit dans le cadre comme dans les couleurs (la présence du rouge symbolique), et orchestré dans un montage précis et rythmé par les dialogues, les silences et les regards. Pour parfaire ce travail de l’image, Chokri a décidé de continuer de filmer en pellicule passant du 16mm dans son précédent film au 35mm dans Babysitter. Le grain de la pellicule ajouté aux couleurs pastel des costumes et des décors sert l’esthétique onirique et surréaliste du film. En comparaison à La femme de mon frère, la nouvelle comédie de Chokri est bien plus maîtrisée visuellement, ses choix artistiques profitant à son propos.

 

Babysitter : photo, Nadia TereszkiewiczLa Française du casting, Nadia Tereszkiewicz

 

Cet aspect fantasmagorique donne à Babysitter l'ambiance d'un conte féérique, à l'instar des plans couverts de brume aussi beaux qu'empreint de magie dans lesquels marchent la baby-sitter comme une créature de fantasy. Ou encore ces ombres étirées qui enferment le personnage de Nadine comme les barreaux de la prison qu'est son couple et sa position de femme au foyer sans libido. Cette atmosphère du rêve excuse les comportements étranges des protagonistes allant parfois dans le surjeu, ou les situations habituellement improbables qui en deviennent poétiques.

Cette énergie débordante était le problème de La femme de mon frère, elle s'étalait dans tous les sens sans raison et sans garde-fou. Ici, la créativité de Chokri est propulsée par son histoire, mais le film reste tout de même un cocktail visuel qui peut rebuter. Les ruptures de rythmes et d’ambiances font de Babysitter une montagne russe cinématographique pouvant en déstabiliser certains.

 

Babysitter : photo, Nadia TereszkiewiczLa Dame Blanche

 

Wonder women

Dans Babysitter, les femmes reprennent le pouvoir, c'est pourquoi la réalisation emprunte à l’imaginaire de l’horreur comme Chokri l'explique en interview : « L’horreur vient des personnages féminins parce qu’ils sont puissants. C’est la puissance des femmes qui effraie ». De fait, pendant la moitié du film, Nadine est une silhouette en robe blanche qui, si elle ne semble pas hanter la maison, habite l'arrière-plan comme un fantôme. La force retrouvée du péjorativement nommée sexe faible se perçoit sur le visage en sueur du beau-frère face à Amy. Ce fervent féministe qui a poussé Cédric à constater sa misogynie se retient de céder à un rentre-dedans lourdingue, et la peur de devenir ce qu'il combat.

Et cette puissance est incarnée par Nadia Tereszkiewicz. L'actrice est envoûtante et capte l’image, absorbant tout ce qui l'entoure. Cette représentation en femme hypnotique et féérique est aidée par la réalisation de Monia Chokri qui a casté la Française dans cette idée. Amy agit comme un défi de taille à la remise en question des deux hommes. Car, même quand ils sont convaincus de reconstruire leur rapport aux femmes comme il faut, Amy vient tout éclater. Pour l'un, elle est un fantasme, pour l'autre, un objet décérébré, alors que pour Nadine, elle est la femme libre et épanouie qu’elle n’est pas. Tout ceci fait qu'on se demande même si elle existe.

 

Babysitter : photo, Patrick HivonPrêt à envoyer la sauce

 

Face à la tornade qu'est Nadia Tereszkiecis, et une Monia Chokri au bord de l'implosion, Patrick Hivon reste toujours excellent. Déjà présent dans La femme de mon frère, l'acteur parvient à être aussi sympathique qu’agaçant en homme perdu dans ce combat qu’il pense bien mener. Complètement à l'aise avec la réalisation de Chokri, Hivon sait exprimer tout son talent comique et dramatique.

Car dans ce délire millimétré, les comédiens ne sont pas enchaînés à la réalisation. La folie de la mise en scène permet au contraire de créer un terrain de jeux pour de multiples émotions. Cette maîtrise d'un rythme pourtant volontairement irrégulier donne lieu à des scènes aussi comiques que sérieuses qui aident à faire passer la pilule acide qu’est Babysitter.

 

Babysitter : Affiche officielle

Résumé

Monia Chokri ne pose pas juste Babysitter sur la table comme un film sur la misogynie et les femmes qui se sont oubliées, c'est aussi la démonstration de sa créativité cinématographique inspirée, pleine d'un humour noir et incisif.

Autre avis Simon Riaux
Le regard acide que porte la cinéaste sur ses personnages est d'autant plus réjouissant qu'il s'accompagne d'une mise en scène féroce. En sur-régime permanent et pourtant d'une clarté cristalline, le film se transforme progressivement en cartoon impitoyable, d'une inventivité impressionnante.
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Lecteurs

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commentaires
Mkm
26/04/2022 à 09:39

Rien que pour revoir Nadia Tereszkiewicz jouer, ce film me motive !

Kyle Reese
25/04/2022 à 18:23

Il y a un coté freudien assumé dans la composition et déco du plan dans le lit, c'est en effet comique. Autant on peut lutter contre la misogynie de tous les jours ainsi que le sexisme mais arriver à lutter contre l’objectivation supposé ou vrai de la femme (voir son auto-objectivation) me semble très compliqué car allant à revers de la nature humaine. Les femmes ont joué depuis la nuit des temps du désir qu'elles peuvent susciter de bien des manières et ce n'est pas près de s'arrêter. Notre cerveau masculin est profondément câblé d'une certaine manière qui peut faire perdre justement les manières ce qui est problématique mais c'est en fait toute une éducation qui est à revoir ...
Par contre ne tuons pas le désir, ou le fantasme.

Je viens de regarder la BA du Babysitter et elle est top, vous devriez la mettre.

Et c'est là que je me dis que j'ai loupé aussi le surement bien crétin THE BABYSITTER de Mcg sur Netflix ! Allez ce soir cerveau au repos c'est popcorn ce soir.

andarioch1
25/04/2022 à 16:04

A l'heure des outrances je suis curieux de savoir si on est sur un pamphlet castrateur et/ ou moralisateur ou sur une lucide analyse des rapports hommes femmes qui tendent de nos jours à se compliquer parfois pour le pire mais souvent pour le meilleur.
A voir donc

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