Apollo 10½ : Les Fusées de mon enfance - critique Bright Side of The Moon

Antoine Desrues | 4 avril 2022 - MAJ : 04/04/2022 16:02
Antoine Desrues | 4 avril 2022 - MAJ : 04/04/2022 16:02

Où qu’il soit et quoi qu’il fasse, Richard Linklater ne cesse de fasciner. Le réalisateur de Boyhood et de la trilogie du Before a décidé de revenir à l’animation en rotoscopie qui avait fait le sel de A Scanner Darkly, mais cette fois sur Netflix. Avec Apollo 10½ : Les Fusées de mon enfance, le cinéaste retrouve la douceur de ses récits, toujours dédiés à la beauté du quotidien. Un film à la fois solaire et lunaire !

J'ai demandé à la Lune

Printemps 1969. Alors qu’il joue dans la cour de récréation, Stan (Milo Coy) est interrogé par deux agents de la NASA. La mission Apollo 11 s’apprête à être lancée, mais le module façonné s’avère être trop petit. Et si l’enfant était le dernier espoir de l’Amérique pour espérer arriver en premier sur la Lune ? A moins que tout cela ne sorte de son imagination débordante…

Si l’on regrette souvent que de grands cinéastes comme Martin Scorsese ou Jane Campion cèdent aux sirènes de Netflix pour certains de leurs projets de cinéma, Richard Linklater a compris comment s’approprier l’exercice, et ainsi réaliser un film en accord total avec la plateforme qui le diffuse. Ce n’est pas une question de mépris envers le média concerné, mais une manière habile de prendre possession du service qui repense la "petite lucarne" contemporaine pour mieux parler de son passé.

 

Apollo 10½: A Space Age Childhood : photoHouston, on a un "petit" problème

 

Dès son introduction, où le logo de la marque prend la forme de génériques mythiques des séries des sixties, Apollo 10 ½ se présente comme un hommage vibrant et nostalgique à la télévision de l’époque, marquée par la promesse d’un futur radieux. Tandis que La Lune se transforme en ballon rouge, le retour de l’auteur de A Scanner Darkly à l’animation en rotoscopie est une aubaine protéiforme, qui s’accapare des symboles et des images (mentales) pour les remixer sous ce filtre chatoyant.

Quand bien même Linklater se montre toujours aussi doué pour capter la réalité de ses scènes, qu’il s’agisse d’un geste, d’une réplique ou d’un élément de décor, le cel-shading de son film – aux allures de croquis permanent – marque les réminiscences d’un passé dont il réveille les souvenirs, ou plutôt les fantasmes.

En effet, Apollo 10 ½ relève presque de l’autobiographie, puisque le réalisateur a lui-même grandi à Houston à cette époque. La ville, au cœur de la conquête spatiale, devient dès lors un hors-champ qui ne peut que nourrir les rêves d’un enfant. Mais derrière la spécificité de ce moment charnière de l’histoire des Etats-Unis, à la fois constitutif de la pré-adolescence de Linklater et de son alter-ego fictionnel, le long-métrage recherche, comme souvent chez l’artiste, un canevas beaucoup plus universel. Du haut de ses dix ans, Stan ne sait pas qu’il entre dans les derniers moments paisibles de l’enfance, dans ce laps de temps si restreint et si particulier qui semble échapper à tous.

 

Apollo 10½: A Space Age Childhood : photoTreize à la douzaine

 

Before Moonrise

Foncièrement mélancolique, Apollo 10 ½ est une œuvre bouleversante sur l’insouciance, et sur ces habitudes qui ont marqué plus qu'on ne le croit les personnes que nous sommes devenues. Des escapades à la plage à la confection en famille de sandwichs pour la semaine d’école à venir, Linklater retrouve là toute la délicatesse désarmante d’un cinéma du quotidien, oserait-on même dire d’un cinéma du rien, qu’il parvient à rendre plus complet et vibrant que jamais.

Peut-être est-ce dû à la façon dont son animation met l’accent sur certains détails de ses cadres, mais la poésie visuelle du réalisateur résonne avec les textes de Francis Ponge. Le point de vue de Stan, parfaitement embrassé par la caméra, est justement dans la quête permanente d‘émerveillement, et par extension de sens, envers tout ce qui l’entoure.

 

Apollo 10½: A Space Age Childhood : photoBoyhood

 

A cela s’ajoute la voix-off magistrale de Jack Black, qui réinterprète avec une énergie folle ces bribes de souvenirs, agencées avec une minutie qui réussit l’exploit de nous faire croire à leur nature arbitraire. Tout comme Boyhood, qui n’avait pour fil directeur que le passage d’un temps dans lequel il faut apprendre à vivre, Apollo 10 ½ n’a pour colonne vertébrale que ce compte à rebours vers cet événement historique réécrit par Stan, et ses yeux tournés vers les étoiles.

De là émerge un bijou de cinéma d’une douceur infinie, sans pour autant tomber dans une naïveté béate. Au contraire, le film trouve ses plus beaux moments dans les interrogations de Stan et dans ses débuts de réflexions émancipatrices. Peu concerné par la guerre du Vietnam, l’enfant ne peut malgré tout que constater les paradoxes d’un pays apeuré, au bord du gouffre nucléaire, mais porté par la foi de l’innovation. Quitte à courir vers le néant, l’Amérique s’écrit un futur plein d’optimisme, où la technologie et la puissance de l’inventivité humaine prétendent tout résoudre.

 

Apollo 10½: A Space Age Childhood : photoL'algorithme Netflix

 

C’est d’ailleurs ce qui fait tout le brio du long-métrage : ses pas de côté, jamais méchants mais lucides. Stan ne peut pas cacher sa déception depuis qu’il sait que son père, fier de travailler à la NASA, n’est qu’un gratte-papier. D’un autre côté, Apollo 10 ½ est dévoué à cette beauté des invisibles, des petites mains qui ont permis, à leur manière, que la Terre entière soit scotchée devant son téléviseur lorsque Neil Armstrong a posé le pied sur la Lune.

Oublions une seconde les héros et les images d’Epinal des années 60, et rendons hommage aux hommes et femmes de l’ombre, ainsi qu’aux petits instants, parfois insignifiants, mais qui nous trottent encore dans la tête. Y a-t-il plus belle manière de synthétiser le génie du cinéma de Richard Linklater ?

Apollo 10½ : Les Fusées de mon enfance est disponible depuis le 29 mars 2022 sur Netflix.

 

Apollo 10 1/2 : Les fusées de mon enfance : Affiche officielle

 

Résumé

Avec une facilité presque désarmante, Richard Linklater signe avec Apollo 10 ½ une chronique d'une incroyable douceur sur l'enfance et ses rêves. Une synthèse merveilleuse de ses précédents films, mais surtout un bonbon sucré qui fait un bien fou !

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commentaires
Ozymandias
04/06/2022 à 01:17

Merci pour la critique qui m'a donné envie de le regarder. C'était vraiment bien, j'ai passé un bon moment, totalement aligné avec votre article ;-).

Thierry01
05/04/2022 à 11:30

Une très belle surprise. Superbe et envoûtant !

Alxs
04/04/2022 à 18:09

Linklater, un gars sûr, toujours au top. Déception de pas le voir sur grand écran, c'est visuellement sublime.

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