Black Crab : critique du patinage artistique de Netflix

Déborah Lechner | 23 mars 2022 - MAJ : 23/03/2022 16:19
Déborah Lechner | 23 mars 2022 - MAJ : 23/03/2022 16:19

Pour diversifier son catalogue et donner plus de place aux productions étrangères, Netflix a dernièrement braqué ses projecteurs sur Black Crab, un nouveau long-métrage réalisé et co-écrit par le suédois Adam Berg. L'actrice Noomi Rapace est en tête d'affiche avec un groupe de soldats envoyés en mission suicide façon Expendables, mais en beaucoup, beaucoup moins marrant. Attention : quelques spoilers !

Tenue de camouflagE

Adapté d'un roman publié en 2002, Black Crab se présente comme un film post-apocalyptique sans grande prétention, dont l'action se déroule de nos jours dans un pays d'Europe de l'Est ravagé par un conflit armé. Mais la récente invasion de l'Ukraine contrecarre d'emblée l'interprétation universaliste - les belligérants n'étant pas identifiés - et dystopique du récit qui résonne de façon plus tangible avec notre actualité et le climat anxiogène qui s'est installé il y a plusieurs semaines (mois ? années ?). En ressort une lecture forcément plus solennelle, de la même façon que des films comme Contagion ont trouvé un écho plus vraisemblable au début de la pandémie.

Pour autant, si ce hasard malheureux du calendrier facilite l'immersion et impose, de fait, une certaine pertinence et crédibilité, le peu qui appartient encore à la fiction et au post-apo repose sur un imaginaire bien moins saisissant ou excitant : quelques voitures abandonnées, une ville fantôme baignée dans le brouillard, un avion numérique écrasé au sol et un navire chaviré qui sert d'abri de fortune. Arraché à son genre, l'oeuvre est réduite à un banal film de guerre contemporain qui se contente d'enchaîner les figures imposées : la mission de la dernière chance, un petit groupe de soldats qui doit survivre en territoire ennemi et le sacrifice de l'un d'eux à chaque étape de leur parcours balisé.

 

Black Crab : photo, Noomi RapaceNoomi Rapace 

 

Si le désespoir est palpable, le scénario trop schématique peine à installer de la tension et ressert des effets de style usés pour tenter de gagner en épaisseur (les visions fantomatiques ou les rêves et cauchemars qui font office de flashbacks). Et il serait trop facile de pardonner la faiblesse de l'écriture, et plus particulièrement sa déliquescence jusqu'au troisième acte caricatural, pour l'esthétique plus soignée du film. Malgré de beaux plans contemplatifs sur les paysages enneigés de la Suède et quelques idées de mise en scène pour jouer sur la mouvance des personnages, la réalisation reste académique et sans réel parti-pris.

Mais la photographie de Jonas Alarik (encore inconnu en France) accentue efficacement le contraste symbolique entre l'obscurité, qui sert de refuge aux personnages, et la lumière qui est perpétuellement une source de danger, tout en donnant du sens à sa patine blafarde. Même s'il faut souligner l'effort, ce joli packaging n'est donc pas suffisant pour détourner l'attention de l'histoire qui patine et ne trouve pas son identité.

 

Black Crab : photoHollywar on ice


Expandabelle

Plus que la guerre, le réel objet d'étude du film est évidemment Caroline Edh, le personnage de Noomi Rapace en très gros sur l'affiche. La caméra la perd rarement de vue et multiplie les plans serrés, tandis que tout le récit s'articule autour de son point de vue et de sa perception des événements. Alors qu'il y avait peu de doutes quant aux intentions du pauvre Karimi, c'est bien la paranoïa de la soldate qui s'immisce dans le groupe, alors même que le scénario n'essaie pas d'alimenter un quelconque suspense à ce propos.

De la même façon, Edh se méfie de tout et de tout le monde, mais gobe les mensonges évidents de sa hiérarchie, la vérité n'étant une révélation qu'à ses yeux. Alors certes, le film est prévisible du début à la fin, mais c'est parce qu'il n'essaie pas de surprendre, simplement de coller au ressenti de sa protagoniste. Les clés de compréhension du spectateur sont également les siennes : où est allé le lieutenant au début du film ? De quel côté est-il ? Est-ce que Vanya est vivante ? Est-ce que l'explosion a servi à quelque chose ?

Étant donné qu'Edh n'aura jamais ses réponses, le public ne les aura jamais non plus. Une façon plutôt habile, quoiqu'un peu frustrante, d'assumer un scénario à trous. 

 

Black Crab : photo, Noomi RapaceLe moment où tu décides de partir en vrille

 

Au-delà d'être forte et déterminée, Edh est donc avant tout une femme amorale et irréfléchie, qui est uniquement guidée par l'espoir de sauver sa fille. La soldate ne se bat pour aucun drapeau ou contre aucun pays, le premier n'apparaissant jamais à l'écran (même dans les bases militaires) et le second n'ayant pas de visage distinct. Une des scènes pourrait même laisser penser à une guerre civile, ce qui justifierait la notion très floue entre victimes et bourreaux.

Elle donne finalement un visage à cet ennemi omniprésent dans la dernière partie du film, qui abandonne malheureusement toute subtilité pour une fin bourrine et neuneu. Principalement parce que ce dernier acte ne résiste pas à la tentation d'iconiser à outrance sa protagoniste, qui devient la figure héroïque et sacrificielle plus artificielle qui tente de sauver le monde dans une approche anti-militariste de vilaines séries B, alors même que le film essayait de s'en éloigner pendant plus d'une heure.  

Black Crab est disponible sur Netflix depuis le 18 mars 2022

 

Black Crab : Affiche officielle

Résumé

Black Crab aurait pu être un film de guerre convenu, mais bien emballé, qui repose sur quelques concepts intéressants comme l'invisibilisation de l'ennemi. Malheureusement, la narration s'embourbe jusqu'au dernier acte ridicule, qui renoue avec les mauvaises traditions de séries B.

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commentaires
Ftw
25/03/2022 à 23:27

Numéro 1 du top 10 en France ??? Whaow ça doit être vachement super mega bien alors ....
Mdr ,je viens de gâcher ma soirée avec . Rarement vu une telle bouse intergalactique.
Je rejoints un commentaire précédent, la fin du film dans la base secrète est navrante. Et puis c'est quoi la mission ? Partir de ses lignes ,pour traverser les lignes ennemis afin de rejoindre un laboratoire secret amis qui serait où alors .....au milieu des lignes ennemis. ...Derrière les lignes ennemis ..pfffff . Pour livrer quoi ? Deux fiole remplies d'un demi virus qu'il suffirait de mélanger pour avoir un virus ....ouarffff . Mission naze , scénario naze , dommage j'aime bien noomi.

kickboum
25/03/2022 à 15:48

C 'EST EXCELLENT !!!!!!!!!!! magnifique

The insider38
25/03/2022 à 11:38

@youl : provoc a 2 balles, c est juste pas comparable, sinon trouver ça mieux que The Batman, c est inquiétant en fait

Ben01
25/03/2022 à 10:17

Noomie Rapace, toujours une excellente actrice

Gegu
24/03/2022 à 18:27

Film bas de gamme !

Angra
24/03/2022 à 17:42

Bof pas top. On devine pratiquement chaque scène tellement c’est téléphoné. On ne sait rien sur rien et le dernier quart d’heure et d’une bêtise affligeante. Les deux héros, méchamment blessés, pénètrent dans le laboratoire les doigts dans le nez. Déception.

Morcar
24/03/2022 à 15:34

Tiens, j'ai vu hier que Netflix le mettait en avant en tant que "N°1 en France", et je me le suis noté pour le voir plus tard. Mais ça ne m'a pas l'air follement original. C'est la présente de Noomie Rapace qui m'a donné envie d'y jeter un oeil.

youl
24/03/2022 à 14:42

film passable, mais tellement moins chiant que "the batman" lool

Kimfist
24/03/2022 à 10:16

Il faudrait clairement une catégorie "téléfilm" ou "direct to streaming" car c'est pas du cinéma mais juste des productions téléfilm comme on voyait sur le câble avant les service de vod.

Il y a un peu une arnaque dans l'histoire, c'est pas parce que on soigne un peu plus l’étalonnage en post prod et qu'on à un Guest que ça en fait un film.

On à longtemps dit que les séries allaient de plus plus vers les moyens technique du cinéma, mais maintenant c'est l'inverse qui se passe.

Ces téléfilms font un très mauvaise usage du numérique, c'est trop propre et sans aucune profondeur.

C'est difficile à définir mais en 2 minutes de visionnage on sait qu'on est devant une production inférieur à un vrai film, on ne rentre pas dedans de la même manière, l’investissement spectateur est moindre (et même pour les gens qui n'ont pas l’œil, de façon inconsciente)

Seul quelques productions, souvent de Netflix, ont un rendu Cinéma (avec une promotion qui vous Hurle : vous voyez, CA c'et un vrai film !!! )

Mais maintenant Netflix et les autres ne s’embête même plus à faire le distinguo.

Je me langui du vrai cinéma... passionné de la première heure, les bonnes expériences de cinéma on fondu comme peau de chagrin.

Ce qui est sur c'est que le covid a été une vrai rupture et que ça n'a pas été dans le bon sens.

Mais je suis sur que tout n'est pas perdu, et comme dirait Arwenn : "il y a toujours de l'epoir" ^^

Pi
23/03/2022 à 18:30

"Pour diversifier son catalogue et donner plus de place aux productions étrangères"

Ah ah. Non, en fait Netflix fait du remplissage avec des prods du monde entier pour à la fois toucher un maximum de clients et multiplier les références dans son catalogue. Tant mieux pour ces prods qui sinon passeraient sous le radar, mais merci de ne pas prêter d'intentions louables à cette plateforme qui ne fait que du business de métadonnées de ses clients.

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