Ils sont vivants : critique toujours vivante, rassurez-vous

Lino Cassinat | 25 février 2022 - MAJ : 25/02/2022 10:14
Lino Cassinat | 25 février 2022 - MAJ : 25/02/2022 10:14

Révélé petit à petit au cours des années 2000, Jérémie Elkaïm fait partie des personnalités les plus intéressantes du cinéma français. D'abord acteur passé entre les mains de nombreux cinéastes talentueux, il forme ensuite un duo remarquable avec la réalisatrice Valérie Donzelli, avec qui il développe un univers particulier et irrésistible qui aura accouché notamment du superbe La guerre est déclarée, très largement inspiré du couple qu'il formait avec elle. Aujourd'hui, c'est lui qui passe derrière la caméra pour son premier long-métrage Ils sont vivants, et à notre grand désarroi, malgré une prestation remarquable de Marina Foïs, c'est un ratage.

DANS LA JUNGLE, TERRIBLE JUNGLE

Dans le nord de la France, près de la jungle de Calais, Béatrice, une aide-soignante xénophobe, vient de perdre son mari, un flic violent. Perdue dans son deuil et dans un milieu social médiocre et intolérant, elle retrouve un second souffle à sa vie en s’impliquant dans la vie bénévole au camp de réfugiés, redécouvre l’humanité, le goût de la vie… et même l’amour.

On pouvait difficilement tendre plus la perche aux détracteurs du cinéma social-naturaliste froid du cinéma français ni donner plus de grain à moudre à une certaine partie de la France craignant les films sur les "migrants vegans transgenres" - pour reprendre les mots d'une certaine personne qu'on ne nommera pas -, tant Ils sont vivants coche les cases du genre réalisto-réaliste réel. Univers travailleur péri-urbain, photographie froide, caméra à l’épaule... tout l'attirail des Zola modernes est employé ici pour nous livrer encore un autre drame social si droit dans ses codes que son histoire est entendue dès la troisième séquence du film. Sauf qu'Ils sont vivants dispose d'un argument d'autorité fracassant : il s'agit d'une histoire vraie.

 

Ils sont vivants : photoIls sont vivants

 

Problème : Ils sont vivants verse quand même dans le cliché mouillé à grosses ficelles. Que faire alors en tant que critique lorsqu'on est pris entre l'honnêteté intellectuelle et la morale qui impose le respect des individus et des parcours de chacun ? Comment noter une oeuvre, produire un avis argumenté sans émettre de jugement sur l'histoire et le parcours d'une personne réelle ? Quelque part, c'est impossible - ce qui n'est pas sans révéler une certaine viciosité de ce genre de dispositif -, mais on tentera malgré tout un pas de côté.

Si l’on se gardera bien de juger l’histoire et l’existence d’une personne réelle en des termes péjoratifs, au moins se réservera-t-on le droit de dire que la présentation de cette histoire est défaillante et ne parvient pas à faire ressentir au spectateur un sentiment d'injustice. Alors, on sent bien aux entournures de quelques scènes plus aérées que les autres qu'Ils sont vivants tente d'éviter de tomber dans cette catégorie d'oeuvres morales qui s'imposent plutôt qu'elles ne convainquent. Mais le film ne parvient pas à éviter cet obstacle.

 

Ils sont vivants : photo, Marina Foïs, Seear KohiToujours étrange de voir la promo d'un drame social se concentrer sur les images souriantes

 

TOUJOURS VIVANT, RASSUREZ-VOUS

Malgré plusieurs qualités – dont principalement Marina Foïs, évidemment parfaite -, le film est écrasé par le poids de son propre sujet, qui intime à ses personnages et à ses scènes l'obligation de vouloir dire quelque chose de la société et s'interpose régulièrement entre le spectateur et les émotions desdits personnages. Beaucoup de répliques sonnent ainsi faux, placées dans la bouche d'untel ou prononcée à tel moment pour faire un clin d'oeil appuyé au spectateur. L'organisation narrative n'aide pas non plus : l’arrivée de certains éléments de compréhension psychologique est si tardive que certaines actions ou décisions ne sont comprises qu'a posteriori.

De ce fait, Ils sont vivants apparaît régulièrement erratique ou incroyable, littéralement, et adhérer à ce qu'il se passe à l'écran est une tâche ardue. Beaucoup de scènes étonnent, interpellent par leur énormité, qui aurait pu passer plus facilement si la véracité de l’histoire du film n'était pas annoncée juste avant le générique de fin. Suicidaire lorsque ensuite on demande à son spectateur de croire que le pivot narratif principal du film est une scène de massage sexuel, ou qu'une aide-soignante peut passer d'une rhétorique fondamentalement raciste à passeuse de migrants. Si l'on s'en tient à une strict description de ce qu'il se passe à l'écran, on remarque rapidement que beaucoup de choses paraissent trop grosses.

 

Ils sont vivants : photoMarina Foïs, toujours aussi remarquable

 

Après le générateur de synopsis de films avec Christian Clavier, en voici le miroir inversé, et il est presque aussi folklorique malgré la noblesse de ses idéaux : dans Ils sont vivants, une sympathisante des idées d'extrême droite veuve d’un policier qui la battait tombe amoureuse d’un réfugié iranien après une sublime stimulation clitoridienne et l’aide à passer illégalement en Angleterre. Kamoulox ? Évidemment, on souligne à gros traits des conflits intérieurs plus complexes, mais il n'empêche que le film échoue à présenter de façon convaincante les évolutions psychologiques de ses personnages, qui progressent par à-coups.

Ce serait un film purement fictionnel qu’on aurait du mal à y croire, et malheureusement c’est n’est pas la seule scène à faire décrocher du récit. Il nous introduit notamment un personnage qui n’a pas envie "d’aider des Noirs et des Arabes" environ 15 secondes avant de finalement faire don des vêtements de feu son conjoint. Pourquoi ? Certes, il est vivant et eux sont vivants, mais, comme demande un autre personnage du film, pourquoi un personnage avec une telle mentalité n’en fait pas don à des Français ? Peut-être que la réponse se trouve dans la vie de la vraie Béatrice, mais elle n’est pas dans le film.

 

Ils sont vivants : photoUn petit BBQ ?

 

Le manque de rigueur dans l’écriture pousse également Ils sont vivants à mélanger ses sujets, et le film de charrier malgré lui un imaginaire aux drôles de réflexes orientalistes refoulés. Mettre en rapport les thèmes de la frustration sexuelle féminine et de la crise migratoire produit une espèce de tambouille trouble où se mélangent lutte politique, amour interdit et fantasme exotique des fameux « Ils » du titre. Vous savez, ces étrangers qui sentent l’ailleurs désirable, alors qu’épouser un policier d’extrême-droite condamne à la frigidité.

Pendant ce temps, les "Ils" en question sont renvoyés à une altérité éternelle et presque encombrante, au-dehors du film. Quelle est l'histoire de Mokthar ? Quels sont ses valeurs, ses désirs ? Silence plombant. Pourtant, c'est bien ce personnage qui vit le pire de tous les drames, qui subit de plein fouet la crise migratoire, mais il n'est jamais sujet, sa place dans le récit n'est jamais que celle d'objet. D'indignation, d'injustice, de rébellion, de désir aussi. Mais d'objet quand même.

 

Ils sont vivants : photoL'amour dans toutes les langues

 

AMOUR SANS FRONTIÈRES

Dommage que ce désir ait des allures de cartes postales, car c’est au coeur de l’intimité de Béatrice et Mokhtar - magnétique Seear Kohi - que se trouvent les plus beaux morceaux de mise en scène de Jérémie Elkaïm. Il livre à l’occasion de ces scènes des images rares et précieuses, pile à l’équilibre entre érotisation sans détour des corps et expression lyrique de sentiments si forts que même la voix robotique de Google Trad ne saurait les abîmer. Un dispositif qui parvient à toucher, mais qui, à force d’être répété, tourne à l’étalage de vertu de militant féministe pro-sexe – ce qui est tout à l’honneur du cinéaste au passage - et dans lequel le sujet premier finit par se diluer sans nourrir le second.

À la lumière de ce constat, il apparaît qu’Ils sont vivants souffre du mal le plus répandu et le plus mortel de l’oeuvre politique ratée : la trop grande conscience de soi, la nécessité impérieuse de courir après le sacro-saint air du temps, d'être une oeuvre "utile". Se produit alors un mariage forcé entre les deux termes que sont l’art et la politique, et force est de constater que le couple est bien malheureux. Le politique rend alors le drame balourd et explicatif, et le drame rend alors le politique caricatural et moralisateur et tout le monde y perd : l’art, le discours, le cinéaste, le spectateur.

 

Ils sont vivants : photoSeear Kohi

 

Tout cela en plus pour prêcher des convaincus - et donc devenir doublement inutile. Car soyons honnêtes, qui composera le public en salles d'un film écrasant son spectateur de tout son poids moral et de son humanité compassée ? Un film prêt à lui expliquer par A+B que 'tout le monde aimerait que la jungle disparaisse, mais que c’est de la faute du blocage politique s'il existe', sous-entendu, pas des réfugiés eux-mêmes ? Notre petit doigt nous dit qu’au moins deux personnages politiques ne feront de toute façon jamais le déplacement. À regret et avec nausée, on doit bien admettre que, sur ce seul et unique point, on les comprend.

 

Ils sont vivants : photo

Résumé

Ils sont vivants est un drame social français de plus, avec les mêmes angles morts gênants que d'habitude, et drapé dans les mêmes intentions morales intouchables que les autres. Circulez.

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commentaires
The insider38
26/02/2022 à 01:17

@EL, je vous trouve bien gentil encore, c’est plus qu’un ratage, c est du foutage de gueule pur et dure. On y croit pas une seconde , alors que l’histoire est censé être vraie.

Simon Riaux
25/02/2022 à 12:13

Tonton Cristobal est revenu !

Geoffrey Crété - Rédaction
25/02/2022 à 12:11

@Christophe Foltzer

Sortez d'ici monsieur svp.

Christophe Foltzer - Rédaction
25/02/2022 à 11:53

Il a vachement perdu en masse Aquaman, je trouve...

Hank Hulé
25/02/2022 à 11:04

Y débarque dans la Jungle pour défourailler du migrant Liam Neeson ?
Y a du cassage de bras ou pas ?
c'est pas clair dans la critique ...

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