Many Saints Of Newark - Une histoire des Soprano : critique qui dort avec les poissons

Arnold Petit | 21 septembre 2022 - MAJ : 26/09/2022 12:15
Arnold Petit | 21 septembre 2022 - MAJ : 26/09/2022 12:15

Considérée comme une des meilleures séries de tous les temps, Les Soprano est un monument qui a révolutionné la télévision. Et comme Twin Peaks, Deadwood, Entourage ou encore Breaking Bad, la série culte de David Chase a elle aussi eu le droit à un film dérivé, Many saints of Newark – Une histoire des Soprano. Le prequel revient sur les origines de la famille Soprano et de son futur parrain, mais était-ce vraiment nécessaire ?

MAFIA BLUES

Quand Les Soprano s'est achevé en 2007 dans un épisode final mémorable, personne n'imaginait revoir Tony Soprano un jour à l'écran, encore moins après la disparition du regretté James Gandolfini en 2013. Avec son physique impressionnant et son expressivité unique, l'acteur avait incarné et porté le personnage sur ses larges épaules pendant six saisons, parvenant à rendre ce gangster sociopathe profondément attachant en dépit des atrocités qu’il pouvait dire ou commettre à chaque épisode.

C’est sans doute ce qui explique pourquoi Many Saints of Newark - Une histoire des Soprano est un prequel et pas une suite. Conscient qu'il avait déjà tout dit ou presque dans sa série autour du personnage et que James Gandolfini et Tony Soprano restent indissociables l'un de l'autre, David Chase a préféré revenir dans le passé pour un récit inédit, qui révélerait également ce qui a conduit le jeune Tony à devenir le mafieux dépressif qu’on connaît et adore.

 

photoTony Soprano et Dickie Moltisanti

 

S'il raconte bien une histoire liée aux Soprano, le film ne retrace pas "l'ascension de la légende Tony Soprano" comme le prétend l'affiche, mais bien celle d'un autre personnage, mentionné dans la série comme un mentor pour Tony et une des grandes figures de la famille Soprano à l'époque : Dickie Moltisanti (Alessandro Nivola), père de Christopher Moltisanti (Michael Imperioli dans la série) et oncle par alliance du jeune Tony, qui le regarde avec admiration depuis qu’il est gamin.

En découvrant le gangster qu’est Dickie, son caractère et ses doutes concernant ses actions au sein de la mafia, que son père, "Hollywood Dick" Moltisanti (Ray Liotta), dirige d'une main de fer, il devient évident - pour n’importe qui ayant regardé Les Soprano - de comprendre pourquoi et comment il a influencé son neveu. Dickie est le modèle de Tony, dans tous les sens du terme, et les conflits moraux qui habitent le charismatique criminel dans le film sont les mêmes que ceux que le parrain de la mafia du New Jersey aura des années plus tard dans la série.

 

photoUne sensation de déjà-vu

 

Ces ressemblances entre les deux personnages pourraient éventuellement expliquer l’influence qu’a eue Dickie sur son neveu, mais pointent surtout les défauts d’écriture et le manque d’originalité du film. D’une manière générale, Many Saints of Newark s’appuie essentiellement sur ce que le spectateur a pu voir dans Les Soprano pour développer son récit et se révèle incapable de caractériser la plupart de ses protagonistes ou même d’exister comme une œuvre distincte.

Dès les premières minutes, le film fait référence à un événement crucial de la vie de la série et confirme d’emblée qu’il s’adresse d’abord, sinon exclusivement aux fans.

 

photoBada Bing

 

LES AFFRANCHIS

Entre trahisons, magouilles, tromperies et fusillades sanglantes, le scénario pourrait être celui de n’importe quel film du genre et reprend ses archétypes, entre hommage, citation et pâle copie. L’histoire est tellement simple et codifiée que tout le monde peut la suivre, mais manque de profondeur à tout point de vue. L’intérêt majeur du film provient surtout des liens qu'il tisse avec la série en revenant sur certains événements et des lieux et personnages emblématiques des Soprano qu'il ramène à l’écran.

Certains comme Jon Bernthal, Corey Stoll ou Vera Farmiga sont excellents dans les versions rajeunies de Johnny Boy Soprano, l'oncle Junior et Livia Soprano tandis que d’autres, comme les jeunes Paulie et Silvio de Billy Magnussen et John Magaro, frôlent la caricature de leurs aînés et ne servent qu’à alimenter le fan-service.

 

photoJunior et Livia

 

En revanche, Michael Gandolfini est tout simplement parfait en jeune Tony. La ressemblance avec son père est aussi troublante que frappante. Les mimiques, la bonhomie et la maladresse du Tony de la série sont les mêmes et apportent une émotion toute particulière quand il apparaît.

La scène bouleversante dans laquelle Livia prend conscience du malheur de son fils et essaie de lui faire plaisir sont ce genre de moments qui font regretter que le scénario écrit par David Chase et Lawrence Konner (scénariste sur quelques épisodes) se soit concentré sur Dickie plutôt que sur la relation de Tony avec ses parents, qui l’a autant défini que l’exemple de son oncle, comme l’a prouvé la série.

 

photoL'autre influence de Tony

 

Par instants, le film propose d’autres passages inspirés et marquants, comme lors d’un plan au milieu des émeutes sur une reprise d'un poème de Gil Scott-Heron ou pendant un règlement de compte sanglant dans un bureau de recrutement de l’armée.

La violence est brutale, soudaine, et la mise en scène d’Alan Taylor (réalisateur de plusieurs épisodes, récompensé d’un Emmy pour l’épisode 18 de la saison 6, Bon débarras) sait générer des tensions et coups d'éclat, mais ne réussit jamais à retrouver la noirceur qui caractérisait la série. La photographie terne et laiteuse contraste avec le style plus simple et réaliste et finit par accentuer l’aspect artificiel du film.

 

photoUne autre sensation de déjà-vu

 

Avec son découpage en deux parties et son récit divisé entre Dickie Moltisanti et Harold McBrayer (saisissant Leslie Odom Jr.), un gangster noir qui veut arrêter de servir les Italiens pour se mettre à son compte, Many Saints of Newark donne clairement l’impression d'être un mélange entre deux films différents. D'un côté, celui sur les émeutes de Newark de 1967, que David Chase voulait déjà réaliser avant la fin de la série ; et de l'autre, le prequel des Soprano auquel il a été rattaché pour voir le jour.

Malheureusement, que ce soit le contexte social et les tensions raciales qui alimentent la guerre entre les gangs afros et italo-américains ou les problèmes de Dickie et sa relation avec Tony, le rythme et la narration sont discordants et le film ne sait pas gérer ses différentes intrigues. Ce n’est finalement que lorsque Many Saints of Newark reprend le flambeau des Soprano qu’il devient plus intéressant et pertinent.

 

photoFrères ennemis

 

AMERICAN GANGSTER

Au début du premier épisode de la série, lors de sa première séance de thérapie avec le Dr Melfi (Lorraine Bracco), Tony lui confiait que "le meilleur était terminé". Déprimé, le parrain de la mafia du New Jersey estimait que la grande époque de la pègre italo-américaine était passée depuis longtemps et que son père avait eu une meilleure vie, entouré de personnes qui partageaient et respectaient les mêmes valeurs que lui, aussi moralement douteuses soient-elles.

Many Saints of Newark nous ramène à cette période que Tony glorifiait et démontre clairement que l’image du mafieux d’antan qu’il gardait n’est qu’un mythe et que les membres de la famille de l’époque étaient déjà tous des salauds qui se trahissent et s’entretuent dès qu’ils en ont l’occasion.

 

photoRéunion de Famille

 

Contrairement au souvenir de Tony, les gangsters sont déjà dépeints comme des vestiges du passé, des ringards qui comptent leurs billets en racontant leurs anecdotes sur Frank Sinatra alors que la ville brûle dans les émeutes et que les Rolling Stones ont envahi les radios.

Pendant que Paulie, Dickie et les autres en sont toujours au racket et aux paris clandestins, Harold, comprenant qu’il ne pourra jamais s’élever au sein d’une organisation uniquement gérée par des Blancs racistes, se rapproche de Frank Lucas, qui représente l’avenir du crime organisé (et qui a brisé le monopole de la mafia sur le trafic d’héroïne à New York).

 

Photo, Leslie Odom JR., Germar GardnerLe début d'une nouvelle ère

 

D’une certaine manière, Many Saints of Newark raconte la fin du règne de la mafia italienne aux États-Unis et annonce la mort du rêve américain que montrait Les Soprano. Ce rêve américain qui a justement poussé Giussepina à épouser un homme aussi odieux que Hollywood Dick Moltisanti en pensant avoir une vie meilleure. S’il y a bien une chose à retenir du film, c’est qu’il ne faut pas trop espérer, parce que la réalité est souvent bien différente de ce qu’on peut attendre.

 

Affiche officielle

Résumé

Many Saints of Newark comblera les fans des Sopranos avec les personnages de la série en reprenant certains éléments qui ont fait sa réussite dans un long-métrage qui s'apparente à une extension dispensable. Les autres, en revanche, devront se contenter d'un film de gangsters décousu et assez quelconque, mais plutôt efficace.

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Lecteurs

(1.8)

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commentaires
Mouais Bof...
22/09/2022 à 15:19

Très bonne critique.

J'aurais donné 1,5 comme note .Tellement le film est ennuyeux,soporifique,consensuel ,mou du genou , bref à lère du temps quoi.

Attention spoil:

Le regretté Ray Liotta qui joue 2 rôles n'y est pas du tout, Jon Berntal qui surjoue a chaque fois. Les mechants ritals racistes et mussoliniens face au "pauvre" noir qui couche avec la belle italienne à la cuisse légère ( séquence ultra téléphonée) . Humour cinglant absent.On s'eloigne du matériau originel pour pondre une bouse pareille. David Chase a oublié ,voire renié sa propre oeuvre

Mention spéciale pour le Gandolfini junior qui lui est là pour rendre un dernier hommage au paternel irremplaçable et culte .

Circulez y'a rien à voir.

DirtyCop
03/11/2021 à 15:19

Ces sales blancs racistes qui empêchent les pauvres criminels noirs de s'élever socialement dans la hiérarchie de la pègre. Ça me dégoûte.

MacReady
02/11/2021 à 18:22

@Hank Hulé

Et comme ce texte à côté des étoiles justement parle spécifiquement de ta situation vis-à-vis de la série, et explique pourquoi ça peut te sembler "généreux" vu qu'ils expliquent eux mêmes que le rapport à la série joue énormément (et que sans l'avoie vue, le film est vraiment très bof)... permets-moi d'avoir été étonné par ta remarque initiale.

Hank Hulé
02/11/2021 à 18:14

MacReady : je me référais aux trois étoiles, très généreuses

Flash
02/11/2021 à 17:54

J'en attendais surement trop.

MacReady
02/11/2021 à 17:53

@Hank Hulé

"vous êtes généreux sur ce coup : un film mollasson et sans intérêt. Ceci dit, j'ai pas vu la série..."... ou alors tu n'as pas lu le résumé à la fin ?

Hank Hulé
02/11/2021 à 17:36

vous êtes généreux sur ce coup : un film mollasson et sans intérêt. Ceci dit, j'ai pas vu la série...

C. Ingalls
02/11/2021 à 16:34

Aucun intérêt...

Cinégood
02/11/2021 à 15:39

Très bonne critique, j'aurai même été plus dur.
Il y a, selon moi, tromperie ! Tony est clairement laissé en arrière plan (tout comme son père), le film traite d'un sujet différent et le lien autant que le ton avec la série sont très faibles.
Je comprends mieux quand vous dites que Chase avait un projet sur les émeutes de 1967. Le film parle de cet évènement, de son impact et de pas grand chose d'autre.
Alors, bien sûr, on peut souligner tous les clins d’œils à la série : personnages plus jeunes, relation entre Tony et sa mère, sa sœur... mais au final, c'est plus du fan service qu'autre chose.
C'est dommage et surtout, c'est une grosse déception.

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