Atlanta saison 4 : critique d'un final où Glover joue les Soprano

Mathias Penguilly | 2 décembre 2022
Mathias Penguilly | 2 décembre 2022

Paper Boi et son « crew » tirent leur révérence ! Après plus de quatre ans d'attente, Atlanta se conclut avec la sortie de deux saisons magistrales coup sur coup. Une rafale de vingt épisodes en huit mois qui nous secouent et nous émerveillent. On n'a jamais caché notre admiration pour la série de Donald Glover et depuis des années, l'auteur-rappeur-acteur-producteur nous promettait un final digne des Soprano. Pour le meilleur et pour le pire. Attention spoilers ! 

BACK TO THE ATL

À la fin de la saison 3, on avait laissé les protagonistes d'Atlanta de l'autre côté de l'Atlantique, en Europe. Fort du succès de Al aka Paper Boi (Brian Tyree Henry), le rappeur et ses potes embarquaient pour une tournée rocambolesque, entre fêtes mondaines à Londres, bad trips à Amsterdam et aventures anthropophages à Paris. Pour cette saison 4, retour à la case départ... enfin, pas vraiment.

Les quatre héros sont bien de retour dans la "Big Peach", mais ils n'ont plus rien à voir avec les trentenaires désœuvrés qui fumaient dans un vieux canapé abandonné au milieu d'un terrain vague. Al, au top de sa gloire, commence à envisager l'après-Paper Boi, Earn est un manager à succès, toujours aussi nerveux mais puissant et respecté, Van semble apaisée et le distrait Darius... Eh bien, Darius reste Darius - et on n’en attendait pas moins.

 

Atlanta : photo, Donald Glover, Zazie BeetzSweet Home, Atlanta, Georgia

 

On salue l'évolution des personnages – une prouesse pour cette série à la narration elliptique, un parti-pris vraiment unique en son genre – et on se plonge avec nostalgie dans le retour au bercail. Il faut dire que le voyage européen avait rendu la série un peu plus étrange... et mal nommée ! Cette fois-ci, oubliez les décors de carte postale, clichés mâtinés du Vieux-Continent dans les yeux des Ricains, Donald Glover nous ramène à la maison.

Cela passe par la visite de lieux typiques de la métropole, de grands centre commerciaux comme le quartier d'Atlantic Station ou de Lenox Square aux fast-foods appréciés des Noirs Américains - le légendaire Popeyes. Cela passe aussi par des références aux épisodes passés : le "faux-cumentaire" diffusé sur le Black American Network, pièce maîtresse de B.A.N., un des épisodes les plus marquants de la série (saison 1, épisode 7).

 

Atlanta saison 1 : Photo Brian Tyree HenryB.A.N., un talk-show absurde à faire pâlir C8

 

LES FRÈRES TROLLER

Pour cette ultime saison, Atlanta ne trahit jamais sa promesse de départ : c'est toujours aussi irrévérencieux, absurde et magnifique. Irrévérencieux d'abord, parce que la série n'abandonne jamais son propos viscéralement engagé : chaque épisode est une fable sur les conditions de vie et sur la maltraitance systématique des Afro-Américains. Une vraie catharsis qui, comme toujours, passe plus par le rire jaune que par le rire franc. Absurde ensuite, grâce à la narration toujours aussi discontinue, quasi-anthologique, et aux épisodes indépendants de l'intrigue principale, les "moments Black Mirror" (souvent réalisés par Donald Glover lui-même). Cette fois-ci pourtant, le temps d'écran est plus équitablement réparti – la saison 3 avait laissé beaucoup trop de zones d'ombre, notamment sur le parcours et les doutes de Van (jouée par Zazie Beetz). 

Magnifique enfin, parce que la saison 4 est, elle aussi, un joyau de cinéma. La direction du réalisateur principal, Hiro Murai, et ses jeux de clair-obscur avaient donné lieu à des plans magistraux lors des saisons précédentes ; la saison 4 marque la continuité. Elle rappelle également que Donald Glover et son équipe sont passés maîtres dans la réalisation du pastiche, qu'il s'agisse du faux-documentaire (encore lui !) ou même de l'art... pictural. L'avant-dernier épisode, qui enferme Paper Boi dans les profondeurs de la campagne géorgienne est un hommage assumé – c'est dans le titre de l'épisode – au peintre Andrew Wyeth et à Christina's World, une de ses œuvres les plus célèbres. C'est profond et c'est beau.

 

Atlanta : photo, Brian Tyree HenryNature-peinture

 

Somme toute, les fans d'Atlanta vont se retrouver dans ces derniers épisodes, très fidèles au reste de la série. Mais que conclure du final ? Après la saison 2, Donald Glover et son frère Stephen (un des principaux scénaristes de la série) ont martelé qu'ils n'étaient pas prêts à dire adieu à leurs personnages comme ça, qu'un vrai final viendrait... à terme. Il aura finalement fallu attendre quatre ans. On apprécie certes, de voir Earn et ses potes s'accomplir, devenir riches, reprendre le pouvoir sur leur vie... mais le final n'en est pas vraiment un : comme les saisons précédentes, la série se termine sur une sorte de cliffhanger

Le mot d'ordre de cet ultime épisode : le rêve. Alors que Al, Earn et Van vont au restaurant, Darius se rend dans un centre de méditation avec des bulles de flottaison. Ce moment de détente hebdomadaire lui permet de rêver. Glover et son équipe nous embarquent alors dans un trip full-Inception avec un rêve, dans un rêve, dans un rêve... Darius reçoit la visite de personnes qu'il a perdues et finit toujours par se réveiller. Persuadé d'être encore dans un songe, il finit par voler une voiture de luxe et emmène ses camarades en balade.

La série se termine chez Al, Darius est devant la télé et des sirènes de police se font entendre. Rêve-t-il encore ? La scène va-t-elle dégénérer ? Est-ce que la série tout entière est un rêve de Darius ? Aucune réponse ne sera donnée ouvertement... même si cela expliquerait pas mal d'éléments absurdes.

 

Atlanta : photo, Lakeith StanfieldEncore un regard...

 

THE NIGHT THE LIGHTS WENT OUT IN GEORGIA

En 2020, Donald Glover tweetait que "les saisons 3 et 4 d’Atlanta feront partie des plus grandes choses faites pour la télévision. Seuls les Soprano peuvent nous égaler". Et l'influence des Soprano est évidente dans ce final. Lors de la toute dernière scène, la caméra d'Hiro Murai s'arrête sur chacun des protagonistes, souriants, apaisés. La série s'achève sur un ultime plan, celui de Darius, qui regarde la caméra droit dans les yeux, comme Tony Soprano en son temps. Un bel hommage pour une fin un poil frustrante.

On appréciera plutôt le sous-texte méta de cet au revoir. Un autre parallèle peut être dessiné entre le spectateur, qui chaque semaine se plonge dans sa bulle pour regarder la série, et les séances de relaxation hebdomadaire de Darius. La chanson du générique final parle d'un "endroit calme, un endroit où je me retrouve quand je ne me sens pas bien". Voilà ce qu'était supposée représenter cette série. Glover et ses potes nous offrent donc un final poétique et complexe, qui satisfera les fans de fins ouvertes... et agacera tous les autres.

 

Atlanta saison 2 : Photo Lakeith Lee Stanfield, Keith StanfieldQuand tu réfléchis trop à la fin d'Atlanta

 

Dans quelques années maintenant, que restera-t-il d'Atlanta ? Un bel hommage à la ville et à sa culture, longtemps méprisée par les élites culturelles de New York ou de Californie. Quoi qu'il advienne, la "capitale du Vieux-Sud" est faite pour rester longtemps sur nos écrans, petits et grands. L'industrie hollywoodienne s'est déplacée en grande partie vers la Géorgie – scrutez donc le nombre de films américains avec une pêche à la fin du générique ! – à commencer par une partie des derniers Marvel.

Peut-on dire que la série est au niveau des Soprano comme le martèlent les Glover depuis des années ? Ce serait peut-être en faire un peu trop. Fondamentalement, la série de Donald Glover ne deviendra jamais un grand classique populaire. Trop arty, trop indé... et surtout trop dérangeante ! Dans une société américaine aussi fragmentée, Atlanta est finalement beaucoup trop politique. Elle n'en reste pas moins une superbe série tant sur le plan de l'écriture et du message que de la cinématographie. Ça ne sera qu'un bijou pour les initiés et c'est très bien comme ça.

Les saisons 3 et 4 de Atlanta sont disponibles en intégralité sur OCS depuis le 2 décembre 2022 en France

 

Saison 4 : Affiche officielle

Résumé

Pour son ultime saison, Atlanta ne trahit aucun de ses partis-pris de départ : sa réalisation stellaire, sa narration unique et même ses choix plus critiqués, comme les épisodes anthologiques. Cette fois, pas de trêve, on quitte Earn, Al, Darius et Vanessa pour de bon… sans vraiment savoir ce qu’il va advenir d’eux. Il en faudrait plus pour nous dégoûter, n’est-ce pas ?

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commentaires
Solan
04/12/2022 à 09:53

Je n'ai pas l'habitude d'être dithyrambique mais, de saison en saison, Atlanta n'a cessé de s'améliorer tout en conservant son identité et en se renouvelant. Une prouesse absolue, pour ce qui est la série TV la plus brillante de ces dix dernières années.

Sigi
04/11/2022 à 05:54

Mdrrr l'envers du décor d'EL

wesh
04/11/2022 à 02:42

probablement l'une des meilleures critique que j'ai pu lire :)

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