Cherry : critique de la frustration sur Apple TV+
Après avoir réalisé quatre films pour Marvel dont Avengers : Endgame en cinq ans, les frères Joe et Anthony Russo reviennent à un cinéma plus intime avec Cherry. Et pour leur premier film hors-MCU depuis 2006, rachété par Apple TV+, les deux réalisateurs ont tout donné, trop donné même, au point de gâcher tristement un film qui avait un immense potentiel.
WELCOME TO HELL
Une étrange sensation submerge après le visionnage de ce tant attendu Cherry. Difficile de mettre immédiatement des mots sur l'expérience plus ou moins (surtout moins malheureusement) réussie du dernier rejeton des frères Russo. D'un côté, il est difficile de ressortir sans de nombreuses images en tête de ce film-fleuve sur la descente aux enfers du personnage de Nico Walker. Difficile également de se séparer des dernières notes de musique du compositeur Henry Jackman.
Puis de l'autre côté, il y a surtout la sensation d'un manqué. L'impression que l'on vient de voir un film qui a raté sa cible. La sensation qu'à travers cette histoire entre déchirements et désillusions, colère et poésie, réalisme et féérie, se cache, quelque part, ici ou là, au gré de quelques séquences, un grand film qui a échoué à éclore. Un crève-coeur presque aussi tragique que le parcours du personnage incarné par Tom Holland.
Adapté du roman semi-auto-biographique de Nico Walker, Cherry revient sur la vie d'un jeune aide-soignant de l'armée américaine. Alors que la guerre d'Irak va le traumatiser, il va plonger dans une spirale infernale à son retour au pays entre stress post-traumatique, drogues et braquages de banques. Le moyen de raconter l'histoire et la reconstruction complexes d'un adulescent abandonné par une Amérique bornée. Il y avait donc un potentiel rêvé que les frères Russo touchent du doigt, mais ne parviennent jamais à attraper.
Une odyssée frustrante en ligne de mire
BOULEVARD DU DÉCEVANT
Cherry est probablement le premier film a subir les conséquences de l'immense machine dans laquelle ont baigné les frères Russo pendant cinq ans. Car aussi fou que cela puisse paraître, une jolie carrière dans le circuit indépendant s'ouvrait aux frères Russo au début des années 2000. Après avoir été remarqués par Steven Soderbergh et George Clooney pour leur premier film Pieces, les deux hommes sont carrément passés par Cannes pour leur deuxième métrage, Bienvenue à Collinwood, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs. Et si leur troisième film, Toi et Moi… et Duprée, a déçu, le duo avait un avenir loin des blockbusters.
Évidemment, rien n'a obligé les frangins à se lancer dans le MCU (après un passage par le petit écran), mais difficile de ne pas supposer qu'ils ont été un peu frustrés de cette collaboration lorsqu'on découvre Cherry. S'ils ont eu la chance de diriger deux des films les plus importants de la Saga Infinite, ils ont dû, comme tous les réalisateurs passés par les grosses franchises, suivre un cahier des charges bien précis. Une ligne de conduite qui les a évidemment obligés à se restreindre, les interdisant d'y mettre leur propre identité.
Quand tu te fais braquer par Marvel pendant cinq ans
Et forcément, après plus de cinq ans de contraintes, Cherry était le moyen pour eux de se libérer et pas qu'un peu. Sur 2h20 (trop longues), le drame Apple TV+ cumule les idées visuelles, les choix de mise en scène audacieux et on sent que les Russo donnent tout pour vraiment prouver qu'ils ont un style à revendre après leurs blockbusters aseptisés. Un peu trop malheureusement. À trop vouloir bien faire, Anthony et Joe Russo se plantent quasi-intégralement.
C'est bien simple, il n'y a pas une seule seconde de Cherry qui ne soit pas sur-stylisée. Entre les filtres, ralentis, zooms, flous, multiplication d'angles de vues (cet amour des plans zénithaux inutiles, un plan subjectif d'un anus), arrêts sur images, changement de format, musique outrancière et la liste pourrait être encore longue, tout y passe. Et si ça marche ici ou là, le long-métrage a surtout l'allure d'un essai réalisé par un étudiant en cinéma désireux de montrer tout ce qu'il sait faire avec une caméra.
La narration subit les mêmes écueils. Englué dans un chapitrage qui ne vient qu'accentuer les changements visuels hasardeux, le récit jongle entre une voix off sérieuse et un brisage du 4e mur plus décomplexé jusqu'à finalement abandonner l'ensemble pour un exposé plus brut et linéaire beaucoup trop long. De facto, en s'attardant plus à renouveler son format (sans même en être conscient ?) qu'à ses personnages, le film ne permet jamais à son protagoniste de se développer en profondeur.
Le chapitre le plus convaincant
THE INCREASINGLY BAD DECISIONS OF RUSSO's BROTHERS
Et c'est ce qui est le plus frustrant avec Cherry tant l'on sent à quel point les deux réalisateurs auraient pu en faire un petit bijou dramatique. En effet, au milieu de cet amas de choix techniques et narratifs problématiques, se cachent de jolies réussites. Jamais le découpage des scènes d'actions n'avait été aussi clair et précis chez les deux hommes depuis bien longtemps. Mieux, il y a quelque chose d'assez fascinant dans un sens à voir les deux metteurs en scène mêler la poésie, le lyrisme voire la fantasie à un réalisme tragique, dur et violent psychologiquement.
Le chapitre se déroulant en Irak est probablement l'un des plus réussis (même s'il n'est pas exempt de défaut) tant il démontre l'absurdité de la guerre, sans oublier de développer un message engagé sur l'armée. L'émotion qui s'en dégage est d'ailleurs ici bien réelle portée entre autres par l'amitié bien exploitée (même si rapide) entre Nico et Jimenez puis la scène d'explosion.
Une émotion authentique encore palpable lors du retour au pays du jeune Américain grâce à sa relation amoureuse avec Emily (Ciara Bravo) et sa détresse psychologique déchirante, mais qui finit par disparaître au fil des séquences et de leur balourdise.
Ciara Bravo donne tout, mais n'est pas aidé par son personnage
Ce n'est pas faute d'essayer pour autant d'en créer en s'attaquant à des thématiques puissantes, pertinentes et intimes. Des vétérans laissés à eux-mêmes malgré leur traumatisme à la crise des opioïdes décimant les plus vulnérables (sujet très personnel pour les Russo), les réalisateurs dénoncent l'absence du gouvernement tout autant que sa complicité dans la misère de ses laissés-pour-compte. Indéniablement, leurs intentions sont sincères et il est triste de ne pas voir leur générosité récompensée (ou au choix, désespérant de les voir prendre autant de mauvaises décisions), notamment à cause de la musique de Henry Jackman.
Non pas que la bande originale composée par le Britannique soit inconsistante. Au contraire, elle recèle de morceaux sublimes flirtant parfois avec la douceur d'un Ludovico Einaudi comme lors de l'épilogue porté par The Comedown rappelant la séquence fantasmée de Mommy. Non, le problème réside dans sa mauvaise utilisation. Présente en quasi-permanence, elle écrase ou déploie les personnages, accentue ou sacrifie le potentiel de certaines scènes, en fonction du bien-fondée ou non de son emploi. Bref, comme l'entièreté des choix scénaristiques, techniques ou esthétiques du film, elle est tout simplement mal dosée, touchant du doigt autant le génie que la médiocrité.
WHAT ABOUT TOM
Et finalement, le seul qui parvient à échapper à cette dérive à la fois décevante et navrante est Tom Holland. Injustement critiqué dans la peau de Spider-Man, Tom Holland est le point fort de cette odyssée bouleversante et confirme ici tout son talent, quelques mois après Le Diable, tout le temps. Avec une partition aussi complexe et un personnage aussi instable à incarner, le jeune comédien, dont la carrière est encore naissante, aurait pu s'effondrer.
Loin de là, il parvient sans difficulté à composer avec ce rôle caméléon. En plus de 2h20, il passe du jeune aide-soignant déboussolé au junkie en crise en passant par le jeune amoureux transi et le braqueur de banques déterminé avec un naturel et une facilité déconcertante. Sans conteste, il s'agit de sa performance la plus impressionnante et la plus marquante à ce jour. L'ultime plan, précieux, vient d'autant plus marquer sa prestation rugueuse, son visage marqué par le périple physique et psychologique auquel il a été confronté.
Comme quoi, à défaut de gâcher ou éteindre le potentiel de certains de ses collaborateurs (coucou les Russo), Marvel aura au moins eu le mérite de faire naître un acteur à l'avenir prometteur. On a presque envie de dire vivement Uncharted.
Cherry est disponible sur Apple TV+ depuis le 12 mars 2021 en France
Lecteurs
(4.3)04/04/2021 à 09:56
J'ai vu le film.
Et j'ai aimé.
Je suis sûr que votre critique aurait été plus élogieuse s'il n'avait pas s'agît d'un film des frères Russo.
A vouloir donner des leçons, c'est encore EL qui reçoit mes mauvais points.
14/03/2021 à 05:30
complètement d'accord avec toi @fourtwo
Sinon personnellement, j'ai bien aimé ce film... Tom Holland est assez étonnant (ça fait du bien), c'est bien réalisé et l'histoire est prenante... ça mérite 4 étoiles ou largement 3 et demi.
13/03/2021 à 01:07
Je n'ai pas souvenir d'une critique noté une étoile par Simon riaux ... Ça sent la purge de haut vol mais Je me le regarderai un après-midi pluvieux pour juger de l'œuvre .
12/03/2021 à 16:53
non merci... je n'ai plus aucune empathie en reserve concernant les ricains.
toujours a faire les mèmes guerres... encore et encore...
... au nom de la democratie...bien sur...hum!!!
....puis vient le temps de la pleurniche... suivit de l'oublie...
....et rebelote... une nouvelle guerre... avec son cortege de patriotisme de pacotilles.
au final... les soldats americains ne sont que de la chair a canon... interchangeable au gré des interets de leurs dirigeants.
et comme dirait l'autre... c'est pas ma gueeere!!!
12/03/2021 à 16:15
*sur-estimé
12/03/2021 à 15:10
Ah parce que vous avez cru que les frères Russo étaient bons ? MDR...
12/03/2021 à 14:46
Ah ça m'intrigue, ça me donne envie de le voir
12/03/2021 à 12:57
N’est pas Ang Lee qui veut.
12/03/2021 à 12:31
C'est la faute de marvel ?
12/03/2021 à 12:01
Arf c'est dommage pour les Russo mais on imagine que c'est un peu normal que ce film post Marvel soit bouffie de trop de choses superflues.
Mais hâte de découvrir quand même la perf de Holland, que j'apprécie vraiment depuis sa première apparition dans le MCU, les Russo ont vraiment eu le bon feeling en le castant.