Malcolm & Marie : critique qui se déchire sur Netflix

Alexandre Janowiak | 5 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Alexandre Janowiak | 5 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Après Another Happy Day (que personne n'a vu ou presque) et son exubérant Assassination NationSam Levinson a complètement explosé avec la série Euphoria, probablement l'une des (la ?) meilleures séries du moment. Et en attendant de pouvoir se lancer dans la saison 2, le cinéaste s'est lancé le défi de réaliser Malcolm & Marie en plein confinement avec Zendaya et John David Washington, acheté par Netflix en toute hâte à Toronto.

UNE NUIT EN ENFER

Difficile de ne pas avoir envie de remercier la Covid, rien que pour avoir donné la possibilité à Levinson de faire ce Malcolm & Marie. Assurément, le long-métrage n'aurait jamais vu le jour sans la pandémie, lui qui s'était lancé dans le tournage de la saison 2 de Euphoria à la veille du shutdown hollywoodien et des mesures restrictives imposées par les autorités. Et finalement, parce que le monsieur aime travailler dans la contrainte, est né Malcolm & Marie.

Le film raconte l'histoire d'un couple, Malcolm et Marie, rentrant de l'avant-première du long-métrage de Malcolm. Très bien reçu par les journalistes et le public, il attend avec fermeté les critiques. Mais la nuit va prendre un tournant lorsque le couple va régler ses comptes et remettre en cause sa relation, son amour et finalement tout ce qui gravite autour. 

Tourné secrètement dans une villa californienne durant l'été 2020, uniquement de nuit et en comité restreint (12 personnes maximum en même temps sur le tournage) à cause des protocoles sanitaires, le long-métrage est donc un pur produit de la pandémie. Ce qui en fait un objet tout bonnement fascinant rien qu'à travers son processus créatif unique et les obligations auxquelles s'est confrontée l'équipe pour mener à bien le tournage. En résulte un huis clos dans un noir et blanc somptueux (signé Marcell Rév), tourné en 35mm et porté par un unique duo : l'éblouissante Zendaya et le charismatique John David Washington.

 

Photo Zendaya, John David WashingtonUn duo électrique

 

SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE

Lors de l'annonce de ce nouveau long-métrage de Levinson racheté par Netflix, il a rapidement été présenté comme un Marriage Story bis, se focalisant sur l'incapacité d'un couple à communiquer. Il y a évidemment de ça, mais il faut dire que le film emprunte surtout aux oeuvres de John Cassavetes (Faces), Ingmar Bergman et son fameux Scènes de la vie conjugale voire essentiellement à Qui a peur de Virginia Woolf ? de Mike Nichols, que le film se permet même de pasticher à travers son affiche. Et c'est sans doute ces influences et les disputes conjugales qui fondent le meilleur de Malcolm & Marie.

Dès son plan-séquence de quasi-ouverture, le message est net et précis. La caméra observe depuis l'extérieur le couple discuter, mais en les laissant toujours à distance. Toutefois, le couple se parle (ou plutôt, elle écoute et lui déblatère) sans véritablement être ensemble. Elle fume sur le perron pendant que lui boit un verre en marchant dans le salon. Il fait les cent pas pendant qu'elle est stoïque. Il est enjoué, elle a l'air désabusée et fatiguée. Elle est à moitié à l'extérieur quand il est pleinement ancré dans la villa.

Très rapidement, on comprend donc que les deux personnages sont deux personnalités. Tant qu'ils gardent leur espace, la caméra peut donc se poser et les suivre sans à coups. Mais quand Marie referme la baie vitrée et que le duo se retrouve enfermé ensemble, l'interaction commence vraiment. Le plan-séquence se stoppe, la caméra se projette à l'intérieur, filme en gros plans les mouvements du couple, zoome sur leur visage et les enlise, les étouffe dans le cadre, les obligeant alors à imploser devant l'impossibilité de fuir.

 

Photo Zendaya, John David WashingtonLa séquence qui va tout enflammer

 

Ainsi, en quelques minutes, la note d'intention de Sam Levinson est assimilée et l'entièreté du film sera construite autour de ce postulat. Cela peut paraître simpliste, voire déjà vu, mais c'est particulièrement efficace et d'une puissance rare. Le virtuose cinéaste se refuse les folies scéniques de Euphoria et préfère les longues séquences délicates, sobres, et les cadrages précis.

D'abord presque futile, la dispute de ce couple fatigué d'une longue soirée se transforme rapidement en une longue conversation entre détestation et réconciliation, jalousie et admiration, haine et amour. Le moyen pour Malcolm et Marie de refaire leur vie, retracer leur couple, en dessiner de nouveaux contours ou mettre en relief d'anciens. Et par conséquent, le long-métrage avance au gré de leurs sentiments, de leurs émotions, de leurs réactions et livre une nuit infernale intimiste très séduisante, et surtout harassante, entre les cris, les rires et les pleurs.

Levinson s'attarde énormément sur les dialogues, les regards, les jeux de miroir pour mieux agrémenter l'engueulade du couple et surtout électriser chaque plan, chaque scène, chaque tension, et chaque sujet abordé au fil de la nuit.

 

Photo John David Washington, ZendayaJeux de miroir, expérimentation du cadre... la réalisation est fascinante

 

CRIONS DANS LA NUIT

Car en effet, Malcolm & Marie est loin d'être la simple nuit d'un couple s'entredéchirant pour mieux se retrouver, se conspuant pour mieux se comprendre. Malcolm & Marie ausculte aussi le cinéma moderne et en parallèle le regard de l'artiste. En tant que cinéaste, le personnage de Malcolm invective énormément les critiques durant tout le long-métrage, jusqu'à complètement péter un câble dans un monologue impressionnant où il détruit la journaliste qui a pourtant écrit un avis positif sur son film (elle le qualifie de chef d'oeuvre).

L'occasion de poser alors un regard critique sur l'entièreté de l'industrie et la légitimité d'être et de s'exprimer de chaque individu à travers l'art. Est-il légitime de réaliser un film sur un noir quand on est blanc (et inversement) ? Comment alors ne pas donner la sensation de s'approprier ce qui n'est pas à soi ? Comment parler de son époque sans plonger son oeuvre dans un pamphlet politique ? Chaque oeuvre est-elle forcément politique ?

De cette manière, Malcolm & Marie évoque alors en filigrane des sujets tout aussi éclectiques que le male gaze (le regard masculin) et donc la place des femmes à Hollywood (d'autant plus après #MeToo) que le rôle de la critique sur la vie d'une oeuvre ou l'importance du processus de création. Il y a quelque chose qui rappelle Assassination Nation qui déployait une multitude de sujets et le martelait dès son ouverture tarée, mais cette quantité astronomique de thématiques collait avec l'exubérance du film, là où celle de Malcolm & Marie fait défaut à son atmosphère.

 

photo, Zendaya, John David WashingtonUn couple qui se marche dessus

 

C'est ici que le long-métrage coince la plupart du temps, et perd la splendeur de ses débuts. Malheureusement, si beaucoup de choses sont dites pendant les 1h46 du film, il y a la terrible sensation que Sam Levinson s'est un peu perdu et qu'il n'y a alors pas grand-chose à en retenir. Non pas que le film ne soit pas jonché de jolies réflexions et belles joutes verbales. Plus on avance, plus on comprend bien que Sam Levinson parle intrinsèquement de création et d'inspiration. Plus qu'une dispute entre un couple, Malcolm & Marie raconte la dispute d'un artiste et de sa muse.

Un peu dans la lignée de Phantom Thread (mais en moins bon), c'est un examen de l'inspiration artistique, de la relation (presque) perverse entre le créateur et sa muse. Ce sont sans doute les plus beaux passages sur l'Art, lorsque chacun à leur tour, plus apaisé, ils se confient l'importance qu'a eu l'autre dans sa progression : sortir de la drogue pour elle, écrire un film aussi inspiré et inspirant pour lui. 

Toutefois, ces séquences jonglant entre la rage et la douceur se noient souvent au milieu des autres plus foutraques ou trop verbeuses, et finissent par perdre en valeur. De quoi mettre le film le cul entre deux chaises, incapable de décider réellement de quoi il veut le plus parler et surtout le mieux.

 

Photo ZendayaZendaya, entre fragilité et domination

 

ALL ABOUT HER

Seule une certitude perdure alors, qu'il doive diriger une ribambelle de comédiens dans de nombreux décors ou simplement deux acteurs dans une villa, Sam Levinson est un excellent directeur d'acteurs. De Malcolm & Marie, on retient en premier lieu et avant tout la performance de Zendaya. La jeune actrice américaine, très loin de Shake It Updélivre une performance ahurissante. Dans un délire meta, Marie pourrait même être une version plus âgée de Rue, ayant réussi à évoluer, mûrir et sortir de la spirale infernale de la drogue.

Assurément, son duo avec Sam Levinson est la plus belle chose qui pouvait arriver à Zendaya, tant les deux s'élèvent mutuellement pour titiller d'autres niveaux. Et évidemment, si John David Washington (après Tenet) donne de la voix, presque trop, à travers l'égocentrisme et l'outrance de Malcolm et illumine quelques scènes de magnifiques monologues (le très rude passage de la salle de bain), il n'est jamais aussi bon que Zendaya. À chaque séquence, elle impressionne tant elle est capable d'avoir une fragilité et en même temps une domination naturelle face à son acolyte.

Quelques mois avant la sortie de Dune qui pourrait la faire exploser aux yeux du grand public après ses passages dans les Spider-Man du MCU, la jeune comédienne a en tout cas toutes ses chances pour finir son parcours aux Oscars, et qui sait, remporter une statuette pas démérité.

Malcolm & Marie est disponible sur Netflix depuis le 5 février 2021 sur Netflix en France

 

Affiche française

Résumé

Pas toujours convaincant, Malcolm & Marie n'en reste pas moins une oeuvre radicale, harassante et transcendante. Sam Levinson enferme et enlise ses personnages dans leur amour, haine, tourment, beauté et toxicité pour mieux les fendre et (ré)unir, dans un noir & blanc somptueux et élevé par l'hypnotisante Zendaya.

Autre avis Simon Riaux
Sam Levinson se rêve entre Cassavetes et Bergman, mais échoue à tous les niveaux. Son autopsie du couple et des névroses américaines n'est qu'un ennuyeux trip égotique, qui dissimule mal le néant qui l'habite derrière une esthétique de publicité pour parfum industriel.
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commentaires
Coachisa
30/09/2021 à 20:18

J'ai aimé ce film....beaucoup....surtout la forme:le blanc et noir en 35 mm est extraordinaire et Zendaya joue magnifiquement bien. A mon avis elle est nettement supérieure que Washington.
Rien que pour ceci le film vaut la peine d'être vu.
C'est un film que demande d'être revisité plusieurs fois. Les dialogues sont particulièrement réussis même si un peu trop réussis...
J'ai trouvé tres original cette superposition de sujets: l'art, le cinéma, la critique mais aussi ( et ce qui donne toute la puissance au film) la façon dont le couple fait contacte l'un come l'autre avec leurs propes démons, entre eux et leur besoin de se faire reconnaître tant Zendaya par Malcom comme Malcom para ses critiques... Un film different qui fait réfléchir.

cla :)
15/04/2021 à 14:56

Très bonne analyse, très bonne critique, merci !

Roy
19/03/2021 à 05:04

Juste magnifique ! À revoir

Neo
19/02/2021 à 17:15

Film sympathique mais vite oublié après son visionnage. Dans un style « similaire » Marriage Story est largement supérieur. Je comprends difficilement l’engouement et tout le bâchage médiatique pour cette réalisation et encore moins pour la prestation de Zendaya. Washington est tout aussi bon dans son rôle.

Terryzir
10/02/2021 à 01:39

De l'avis de Simon Riaux.
Mauvais revival, insincère et pesant.

Ozymandias
07/02/2021 à 09:29

Hâte de le voir !

Mu'm
07/02/2021 à 06:35

Personnellement j'ai adoré ce film ! Et particulièrement comment cela a été filmé en 35mm en noir et blanc d'où sa splendeur. Très belle performance des acteurs, surtout le monologue de Malcolm que j'ai vraiment adoré.

Alo
07/02/2021 à 04:44

Topppp

Birdy au top
05/02/2021 à 20:28

@ passant : tu ne connais pas les acteurs, mais les juges sur leur physique alors que l'actrice est portée aux nues par la critique (en général, pas que EL), et insinues ne sans doute pas voir le film pour cette raison. Cherche la cohérence sur la superficialité dénoncée.

passant
05/02/2021 à 19:36

Le noir est blanc est toujours pertinent pour les huis-clos. C'est aussi un symbole lourdingue quand le couple est bi-colore. Je ne connais aucun des interprètes de ce film : j'ai comme l'impression que ce sont des top-modeles. Si c'est le cas je n'irai sans doute pas voir le film. J'ai toujours vomi les top-modeles.

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