Scandale : critique Atomic Blondes

Geoffrey Crété | 28 novembre 2021 - MAJ : 28/11/2021 09:50
Geoffrey Crété | 28 novembre 2021 - MAJ : 28/11/2021 09:50

Scandale, ce soir à 21h05 sur France 2.

C'est le scandale qui a ébranlé l'Amérique, fissuré le géant Fox News et mis à terre un des hommes les plus puissants du pays : la chute de Roger Ailes, PDG de la chaîne de télévision suite à des accusations de harcèlement sexuel par plusieurs femmes de premier plan. Une affaire qui a inspiré la mini-série The Loudest Voice, et donne maintenant le film Scandale, de Jay Roach, avec Charlize Theron en Megyn Kelly, Nicole Kidman en Gretchmen Carlson, John Lithgow en Roger Ailes, et également Margot Robbie.

3 GIRLS 1 PORC

Avant le futur et inévitable film sur Harvey Weinstein, Roger Ailes a eu ses moments de triste gloire. Le scandale de harcèlement sexuel qui a secoué Fox News et l'a mis hors jeu en 2016, les multiples révélations jusqu'à sa mort en 2017, la mini-série The Loudest Voice où Russell Crowe l'incarnait face à Naomi Watts l'été dernier, et maintenant le film Scandale où John Lithgow lui prête ses traits.

Contrairement à la mini-série, centrée sur lui, le film le place en arrière-plan. Au premier, il y a les présentatrices vedettes Gretchen Carlson et Megyn Kelly, par qui le scandale arrive et explose, et incarnées par Nicole Kidman et Charlize Theron. Margot Robbie, elle, est Kayla, un personnage créé pour cette fiction, qui retrace l'éveil des consciences et la tornade qui a secoué le paysage de la télévision américaine, provoquant la chute historique d'un homme qui semblait intouchable.

Le nom du réalisateur Jay Roach peut sembler absurde pour ceux qui l'associent à Austin Powers, Mon beau-père et moi et leurs suites. Ce serait oublier qu'il a brillé avec les téléfilms politiques Recount (sur le dépouillement très médiatisé des bulletins de votes en Floride, lors de l'élection présidentielle de 2000, que Bush a remportée), Game Change (où Julianne Moore incarne Sarah Palin), et All the Way (un biopic sur Lyndon B. Johnson). Scandale est donc parfaitement dans ses cordes, et avec ce casting en or jusque dans ses seconds rôles, et son approche très frontale, le film est une arme de destruction massive.

 

Photo Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot RobbieUn trio du feu de dieu

 

L'ARMÉE DES MAUX

Quatrième mur brisé, présentation des enjeux et codes par ses personnages qui deviennent des présentatrices du film lui-même : Scandale a des airs de The Big Short : Le casse du siècle quand la machine se lance. Normal, c'est le même Charles Randolph qui est derrière les scénarios (il a aussi signé Love, et autres drogues, et L'Interprète avec Nicole Kidman). Sans aller dans la virtuosité étourdissante, voire fatigante, d'Adam McKay (d'autres scènes de quatrième mur brisé ont d'ailleurs été coupées), Jay Roach emporte d'abord par l'énergie de sa mise en scène, qui donne l'impression de prendre un train en marche. Tout est placé et livré au spectateur, plongé dans l'univers impitoyable de l'immeuble du pouvoir new-yorkais.

Scandale se lance alors pour ne plus s'arrêter, et le cap est tenu pendant près de deux heures palpitantes et passionnantes, où l'étau se resserre autour de Roger Ailes. L'issue a beau être connue, le film est solidement mené et raconté avec une telle efficacité que c'est un bulldozer dans le genre. Toutes les notes sont touchées les unes après les autres, provoquant consternation, choc et émotion, avec une peinture édifiante et fascinante de la situation.

Ce vertige est d'autant plus présent que le casting ressemble à une armée. Autour de Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie et John Lithgow, il y a Kate McKinnon, Mark Duplass, Connie Britton, ou encore Allison Janney, et chacun pourra reconnaître quelques visages familiers (notamment les amateurs de séries) le temps de quelques scènes. Ici comme ailleurs, le but est d'écraser le spectateur, maintenir son attention dès les premiers instants et ne plus le lâcher, à n'importe quel prix.

 

photo, Charlize TheronQuand t'es même plus sûre que ce soit Charlize Theron

 

L'ŒIL DU CYCLONE

Mais à trop vouloir foncer dans le tas, mener le récit tambour battant et être dans l'efficacité pure, Scandale passe à côté de choses qui en auraient fait un film immense. La première, c'est le recul sur la situation, et le dézoome sur la facette politique de la situation. Que le film se termine si vite une fois que Roger Ailes a chuté, avec les rapides et incontournables cartons de conclusion sur les faits, en dit long sur ce manque de distance. Le scandale a été raconté, les victimes ont gagné, la Terre des puissants a tremblé, et hormis l'avertissement que Ailes ne sera pas le dernier à chuter, le film clôt trop vite son affaire.

C'est d'autant plus frappant que la trajectoire bien connue de Megyn Kelly croise celle de Donald Trump, mettant alors en jeu de lourdes questions sur les liens entre le président et les Murdoch (la riche famille derrière Fox News), et les manipulations et coups tordus en coulisses. Scandale reste centré sur les personnages au premier plan, à juste titre. Mais ces hommes et femmes évoluent dans un écosystème si riche et passionnant que naturellement, il aurait pu et dû exister plus largement. Reste alors la sensation que cette facette de l'histoire est souvent freinée, reléguée au second plan, privant le récit d'une dimension qui l'aurait grandement servi.

 

photo, Kate McKinnon, Margot RobbieDes personnages créés pour mieux représenter la réalité

 

SAINTE-PRESQUE-TRINITÉ

Cet effet bulldozer se retrouve aussi dans le traitement des personnages. Ils sont nombreux, et même s'ils sont bien caractérisés, ils restent des rouages dans la machine scénaristique. Kayla a été inventé pour expliquer au mieux la situation, aucune scène n'a été (re)créée entre Megyn Kelly et Gretchen Clarkson, alors qu'un face-à-face était attendu, pour les personnages comme pour les actrices Charlize Theron et Nicole Kidman. Même leur simple, mais important, échange silencieux semble traité à toute vitesse. De quoi décevoir ceux qui attendaient des affrontements entre ces actrices, largement mises en avant dans la promo.

C'est d'autant plus dommage que la scène entre Charlize Theron et Margot Robbie est l'une des meilleures du film, qui floute avec intelligence la ligne entre les innocents et les coupables, les victimes et les bourreaux. Scandale ne se complaît pas bêtement dans une vision manichéenne et simpliste des relations et des rapports de force, pour désigner les méchants et les gentilles. C'était le grand risque d'un tel projet et il évite de se vautrer dans la grossièreté.

 

photo, John LithgowJohn Lithgow, empâté, impérial

 

C'est particulièrement clair sur le Roger Ailes magistralement interprété par John Lithgow. Il est présenté comme un homme abîmé qui s'écroule sur lui-même, un dinosaure qui rabaisse peu à peu la tête à mesure que l'affaire l'engloutit et fissure sa personne publique pour révéler l'enfant derrière l'ogre. Loin d'en faire une piñata pour calmer la colère, le film le présente comme le symptôme d'un mal qui va bien au-delà de lui.

Cette finesse se retrouve sur les personnages féminins, et notamment Megyn Kelly. Elle est le moteur de l'histoire, mais n'en ressort pas bêtement innocente et blanche. Son silence, son ambition, ses doutes, ses peurs, sa fausse candeur et même son moment polémique sur la couleur de peau du père Noël sont traités. Charlize Theron (méconnaissable avec ses prothèses et du gros maquillage) est sans surprise excellente, tout comme Margot Robbie. Dans un rôle complexe de fausse ingénue créé pour les besoins du film, l'actrice récolte les scènes les plus fortes et frontales, certainement parce qu'il n'y a aucun filtre appliqué face à la réalité d'une personne concernée. Plus en retrait même si elle allume la mèche, Gretchen a moins de moments pour briller. Nicole Kidman est nettement en arrière-plan.

Loin de délivrer un film-pensum qui surfe bêtement sur l'ère MeToo, Jay Roach transforme ce triste scandale en édifiante course contre le mâle, qui donne autant envie de sourire que de trembler.

 

affiche française

Résumé

Lorsqu'il s'agit du scandale sexuel qui a ébranlé l'Amérique, Scandale est un bulldozer d'efficacité, rondement mené comme un thriller palpitant et réjouissant. Dommage qu'il freine dès qu'il semble important de dézoomer sur la situation pour voir l'aspect plus politique, au-delà des bureaux de la Fox.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.4)

Votre note ?

commentaires
Rufus
30/11/2021 à 21:19

Le style se rapproche trop de celui d'Adam McKay ( The big short, Vice) mais en beaucoup moins bien. J'ai trouvé le film poussif, et vraiment mou par moments. Pourtant les actrices et acteurs sont top, et le scénario pas mal. Mais ça veut trop ressembler à du McKay, et ça ne rend pas aussi bien

Miami81
13/12/2020 à 01:08

On retrouve effectivement le style de Charles Randolf, mais de manière très légère, avec parfois quelques raccourcis et partis pris qui nuisent un peu à l'impression finale que donne le film. Sa dénonciation est efficace et la situation fait d'autant plus froid dans le dos qu'on imagine qu'elle a dû et doit encore se dérouler dans de nombreux domaines. Les acteurs sont parfaits avec un paquet issus de série dont The Morning Show qui traite du même problème. Au final, le film est salvateur et rajoute une pierre à l'édifice pour permettre aux femmes d'oser dénoncer ce genre de comportement et aux autres d'arrêter de baisser la tête pour ne pas faire de vague..

jorgio6924
26/01/2020 à 16:22

Assez d'accord avec votre critique.
Cependant je trouve que le film affiche une trop longue galerie de personnages, certes tous portés par des acteurs de talents mais apparaissant 5 secondes de bobine. Des avocats, aux administratifs etc... Ce la génère une espèce de cacophonie où le message se dilue.
Seules les scènes plus "posées" et particulièrement celles avec Margot Robbie, décidément très forte, fonctionnent le mieux à mon goût, non seulement dans leur dénonciation d'une situation insupportable mais aussi, comme vous dites, dans ce respect de ne pas rendre l'ensemble bêtement manichéiste.

Geoffrey Crété - Rédaction
24/01/2020 à 17:43

@Stroodge

La manière dont sont écrits les personnages de Margot Robbie et Charlize Theron, ne va clairement pas dans ce sens. Le film ne fait pas dans la démarcation bête et facile des coupables/innocents.

Stroodge
24/01/2020 à 17:41

Film qui reflète tout le manichéïsme de la société manichéenne:

Soit les conservateurs soit les bien-pensants

Galt
22/01/2020 à 20:47

Au moins, quand il fallait coucher, on avait droit à de vrais casting !
Je suis sorti -->

Levendis
22/01/2020 à 18:09

J 'adore ce mouvement hollywodien , et ces actrices, tellement au taquet pour pourfendre les horribles predateurs salaud, issu de la droite conservatrice forcement pro trump, mais c est les memes qui "oublient" de faire la meme pour les weinstein et cie qu'ils ont caliné pendant des années

Néfasse
24/12/2019 à 09:25

@ Geoffrey Crété - Rédaction
Merci pour l’info. Elle est méconnaissable. Jamais je n’aurais su que c’est elle. C’est un vrai caméléon cette femme mais là wah.

Geoffrey Crété - Rédaction
12/12/2019 à 18:27

@Néfasse

Elle porte des prothèses et un gros maquillage pour ressembler à Megyn Kelly.

Néfasse
12/12/2019 à 18:22

C’est moi où elle est méconnaissable Charlize Theron. Je l’ai reconnais pas du tout.

Plus
votre commentaire