Le Mystère des pingouins : critique démystifiée

Christophe Foltzer | 14 août 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 14 août 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

L'été 2019 est à marquer d'une pierre blanche pour les fans d'animation japonaise parce que c'est la première fois, depuis presque 20 ans, que nos salles obscures ont connu autant d'oeuvres de qualité en si peu de temps. Et il ne pouvait se finir autrement qu'en apothéose avec Le Mystère des pingouins...

NUT - NUT

Depuis quelques années, nous avons l'impression que l'animation japonaise s'est fait une spécialité de nous parler uniquement des turpitudes de l'adolescence, du passage à l'âge adulte et de la disparition progressive de la magie qui l'accompagne fatalement. La faute à Hayao Miyazaki, quelque part, qui a imposé cela avec son fantastique Voyage de Chihiro. La faute aussi à Mamoru Hosoda (Le Garçon et la Bête) et à Makoto Shinkai (Your Name) dont les succès n'ont pas aidé l'originalité à s'imposer.

 

photo Penguin HighwayDes pingouins qui n'ont rien à faire là

 

Quand on couple cela à la recherche active d'un successeur du studio Ghibli, on pourrait facilement en conclure que les créateurs japonais ne prennent plus aucun risque parce qu'ils ont besoin de ces succès garantis pour continuer leur travail, dans une démarche au fond pas si éloignée de ce que font les studios américains (capitaliser sur une formule le temps que ça fonctionne, sans rien apporter de neuf).

Ce serait une énorme erreur de penser de cette manière parce que, plus qu'aucun autre cinéma actuellement, l'animation japonaise ne se laisse pas faire. Hiroyasu Ishida en est un magnifique exemple.

 

photo Penguin HighwayElle

 

HIGHWAY TO ELLE

Adapté d'un roman de ce gros taré de Tomihiko Morimi (on vous laisse lire notre dossier récent consacré à son oeuvre pour prendre pleinement la mesure de cette affirmation), Le Mystère des pingouins nous raconte l'histoire, en apparence classique, d'Aoyama, élève de CM1, dans sa petite ville tranquille. Élève doué, mais extrêmement cérébral, Aoyama a tout planifié dans sa vie et n'attend qu'une chose : devenir un homme. Il faut dire que l'assistante du cabinet dentaire voisin, la mystérieuse Elle, n'est pas étrangère à cette impatience puisqu'il en est amoureux.

Un jour, des pingouins apparaissent mystérieusement un peu partout en ville, semant le trouble et l'interrogation. Pour Aoyama, cela produit l'effet inverse, il est captivé et décide d'enquêter avec son meilleur ami sur la nature du phénomène, découvrant rapidement que ce dernier partagerait un lien avec Elle. La jeune femme le met alors au défi : s'il trouve l'explication de cette apparition inopinée de pingouins, il trouvera aussi la réponse la concernant. Aoyama redouble donc d'efforts.

 

photo Mystère des pingouinsUn phénomène on ne peut plus étrange

 

À partir d'un postulat plus que classique (un élément fantastique perturbateur symbolise la quête d'évolution du personnage principal), Le Mystère des pingouins égraine immédiatement quelques indices quant à sa nature réelle et le fait que nous n'avons pas affaire à une aventure comme les autres. Aoyama est ainsi présenté dès le départ comme un enfant très particulier, très sûr de lui, limite autiste et bien plus fasciné par les seins d'Elle et la perspective de sa maturité prochaine que les choses de son âge.

Un angle d'approche assez comique au départ, mais qui donne le ton pour la suite de l'aventure. Là où une autre histoire verserait sans aucun doute dans l'acceptation de soi, l'intégration sociale et une certaine idée d'un parcours normatif, Hiroyasu Ishida prend un chemin de traverse dont il ne déviera jamais et qui fonctionne par petites doses au sein d'une grande aventure fantastique.

 

photo mystère des pingouinsAoyama, un peu trop cérébral pour son jeune âge

 

LES CHOSES DE LA VIE

Ainsi, Le Mystère des pingouins nous parle davantage de l'éveil des sens, de l'amour et du désir, du mystère et du trouble qui entourent toutes ces notions pour un pré-adolescent, tout autant qu'il aborde la question du fantasme obsessionnel et de la désillusion nécessaire pour avancer. À travers son périple, Aoyama se reconnecte ainsi à une âme d'enfant déjà en danger, à ses émotions et sentiments, alors même qu'il a tout mis en place pour les juguler et les appréhender uniquement sur un plan intellectuel et froid.

L'intelligence du film est de ne jamais justifier son postulat ou l'état dans lequel nous faisons connaissance avec Aoyama. Bien sûr, quelques détails transparaissent ici et là (les parents du garçon, assez effacés alors même que le père semble occuper une place castratrice évidente, tournée principalement vers l'intellect), mais le réalisateur compte sur son spectateur pour se faire sa propre idée, privilégiant le parcours qui attend notre jeune héros aux raisons de cette mise en mouvement.

 

photo Penguin HighwayUne relation étrange

 

Et l'aventure vaut clairement le détour, tant elle conjugue divers éléments à priori antinomiques, compile un certain nombre de clichés pour mieux les détourner et conserve sa part de mystère qui risque d'en laisser plus d'un perplexe quant à la finalité de ce que l'on nous raconte. Nanti d'une réalisation au top, Le Mystère des pingouins enchaine les scènes audacieuses, complexes techniquement, et prouve que le jeune Hiroyasu Ishida (qui n'a que 31 ans) est destiné à une grande carrière s'il continue sur sa lancée.

Pourtant, à l'image de son héros, Ishida commet quelques erreurs, notamment dans l'équilibre du scénario qui prend quelques raccourcis malheureux par endroits et laisse de côté des éléments pourtant importants. On ne lui en voudra pas trop, ceci n'étant dû qu'à un trop-plein d'ambition et un manque d'expérience évident dans le format du long-métrage. Autant de défauts qui seront, à coup sûr, corrigés lors de son prochain film.

 

photo Penguin HighwayUne femme plus complexe qu'elle n'en a l'air

 

GOOD BYE, GOOD NIGHT

Il n'en reste reste pas moins que Le Mystère des pingouins est un excellent film pour petits et grands, aux multiples niveaux de lecture. Fascinant, envoûtant, tout autant que rafraichissant, il rassure quant à l'état de la production japonaise et de sa volonté de domination mondiale au prix de son identité.

Nous avons clairement besoin de plus de films de ce genre, capables de jouer avec les codes sans jamais s'y vautrer inutilement, suffisamment solides et talentueux pour porter le média encore plus loin. À l'image du destin d'Aoyama et de la séquence finale du film, d'une simplicité désarmante, dévastatrice sur le plan émotionnel et qui nous prouve que, oui, Le Mystère des pingouins est un film nanti d'une profonde mélancolie lumineuse.

 

photo Mystère des pingouinsBeau comme un premier amour

 

Le tout fait avec énormément de bienveillance et de douceur, il se conclut par un nouveau morceau de la chanteuse Hikaru Utada d'une très haute qualité qui prouve encore une fois que, qu'importent l'âge et certaines approximations, quand les étoiles s'alignent au-dessus d'une oeuvre, tout se passe bien.

À l'image de son héros d'ailleurs, dont la transformation ne fait que commencer. Le film faisant le choix judicieux de nous laisser imaginer dans quelle direction il va aller. Et on le remercie pour ça.

 

Affiche française

 

Résumé

Le mystère des pingouins est pareil à un premier amour : maladroit et passionné, pressé et remuant, il laisse un goût doux-amer, une mélancolie joyeuse et nécessaire pour évoluer et grandir. Et, comme cette première rencontre déterminante, on y repense régulièrement longtemps après.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(4.0)

Votre note ?

commentaires
Denver
28/08/2019 à 08:51

La version française est censurée, boycott pour ma part, surtout que la version US ne l'est pas, je vais attendre le Bluray Japonais ou US de mon côté.

2501
25/08/2019 à 22:04

Le film sorti en salles en France a été censuré.
Il manque 10 minutes entre cette version et la version japonaise !

J'ai pas réussi à trouver d’explication du distributeur. C'est vraiment étonnant, surtout pour ce genre de films d'animation un peu niche qui sont - on imagine - sortis par des passionnés...

Du coup sans moi pour cette version amputée.

Joseph
22/08/2019 à 11:29

Je vous remercie pour votre lecture critique sur le film , elle est fine et pertinente.

Birdy
19/08/2019 à 14:13

thanks christophe

Christophe Foltzer - Rédaction
19/08/2019 à 08:21

@Birdy :
Là, ça devrait être plus sympa pour un enfant de cet âge que Your name. Y a pas mal d'action, d'humour, de suspense, les personnages ont plus ou moins le même âge...

Joss
18/08/2019 à 08:43

Mon smiley précédent s'est transformé en points d'interrogation, c'était un smiley qui sourit

Joss
18/08/2019 à 08:40

Critique qui donne envie de le voir ????
Une micro coquille : « a priori » s'écrit sans accent car c'est du latin.

Birdy
17/08/2019 à 11:38

@ Christophe : merci pour ta critique enthousiasmante, me le recommandes tu pour un enfant de 6 ans ? Tu mets "pour petits et grands" mais petits à quel point (trop cérébral et "lent", il va s'ennuyé) ? Par ex je viens de voir Your Name (sublime), c'est pas avant 10 ans facile.

votre commentaire